Innover en matière d’abus de position dominante ne permet pas d’échapper à l’amende
Dans une décision 12-D-24 du 13 décembre 2012, l’Autorité de la concurrence avait sanctionné les entreprises Orange et SFR pour avoir mis en œuvre une pratique consistant à offrir des forfaits illimités à leurs abonnés lorsque ces derniers appelaient des numéros dans leur réseau respectif (appels on-net). A l’inverse, les appels émis vers un réseau concurrent (appels off-net) ne permettaient pas de bénéficier de cet avantage.
De telles offres ne pouvaient être pratiquées que par des opérateurs disposant d’une large base d’abonnés et par conséquent ne pouvaient pas être proposées dans des conditions viables par le dernier entrant sur le marché, Bouygues Telecom.
Estimant que les deux opérateurs étaient en position dominante sur les marchés amont de la terminaison d’appel vers leur propre réseau, l’ADLC avait considéré que cette offre de forfait sur le marché aval de détail de la téléphonie mobile était contraire aux articles L.420-2 du Code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
La Cour d’appel de Paris avait réduit de 20% l’amende prononcée par l’ADLC en prenant en compte le caractère inédit de la pratique.
Devant la Cour de cassation, Orange et SFR arguaient en premier lieu que le principe de sécurité juridique n’avait pas été respecté en soutenant que la mise en place d’un nouveau test pour évaluer le caractère abusif de cette pratique était incompatible avec la nécessité pour les sociétés d’apprécier la validité de leur pratique en amont. Après avoir constaté que la Cour d’appel avait estimé que le nouveau test était fondé sur des éléments objectifs et une analyse logique, la Cour de cassation a rejeté ce moyen.
En deuxième lieu, les parties faisaient valoir que les deux conditions permettant de sanctionner un abus sur un marché autre que celui sur lequel les entreprises en cause sont en position dominante n’étaient pas remplies. Pour rappel, la sanction d’un tel abus nécessite que les deux marchés soient étroitement liés et que des circonstances particulières justifient l’application des règles prohibant les abus de position dominante. La Cour de cassation valide la position de la Cour d’appel qui avait relevé que la terminaison d’appel (marché sur lequel une position dominante était reconnue) était une prestation technique nécessaire à la réalisation d’un appel depuis le réseau de l’appelant vers le réseau de l’appelé (marché sur lequel la pratique abusive était mise en œuvre). S’agissant de l’exigence des circonstances particulières, la Cour d’appel avait constaté que leur position dominante avait permis à Orange et SFR de proposer des prestations à leurs concurrents à des prix « supra-concurrentiels » ayant pour effet l’éviction de ces concurrents du marché de détail.
En troisième lieu, les deux opérateurs condamnés estimaient que la réduction d’amende qui leur avait été accordée n’était pas suffisante. Selon eux, dans la mesure où les pratiques reprochées n’étaient pas considérées lors de leur mise en œuvre comme anticoncurrentielles par les autorités de concurrence, elles ne pouvaient pas donner lieu à une sanction. La Cour de cassation soutient la Cour d’appel lorsque celle-ci relève que le caractère inédit de la pratique « ne fait pas disparaître ni même n’atténue la contrariété au droit de la concurrence ».
Pour finir, la Cour de cassation rejette la demande de renvoi des onze questions préjudicielles posées par Orange et SFR en raison de l’absence de doute raisonnable quant à l’interprétation de l’article 102 et son application aux faits de l’espèce.
Cass. com 5 avril 2018 n°16-19.186
Auteur
Marine Bonnier, avocat, droit de la concurrence et droit de la distribution