Négociations commerciales : plaidoyer pour une approche collaborative
Depuis la LME, le contrôle des conditions de négociation est essentiellement mené sur le fondement du déséquilibre significatif. L’administration tire de ce fondement la légitimité d’un contrôle du résultat, pour apprécier les conditions dans lesquelles l’accord a été conclu entre les parties.
Depuis un arrêt de la cour d’appel de Paris du 1er juillet 2015, confirmé depuis, ce contrôle de la régularité des négociations prend la forme d’un contrôle de la réalité et de la proportionnalité des avantages financiers consenti à l’acheteur, au regard des contreparties obtenues par le fournisseur. Ce contrôle indirect du « prix convenu » est ainsi mené par celui de la dégradation tarifaire convenue entre les parties à partir du tarif général de l’industriel.
Un tel processus invite les parties à renoncer à la seule stratégie du rapport de force, en d’autres termes à l’approche exclusivement transactionnelle, laquelle prend appui et se limite à une dégradation tarifaire elliptique dénuée de consistance, car dénuée de construction et de sens. Ce processus promeut au contraire l’approche collaborative qui emporte en elle-même l’idée que la construction du prix résulte de la construction d’un projet, in fine formalisé par un plan d’affaires étayé d’obligations réciproques et équilibrées en vue d’atteindre un objectif d’économie et de croissance.
Cette approche collaborative est, en pratique, largement pratiquée dans la distribution spécialisée. Elle l’est dans une moindre mesure dans la distribution alimentaire. Elle est pourtant recommandée par les experts en négociations, en particulier dans le cadre des coopérations à l’achat. Dans un article récent (Linkedin, 17 juillet 2018), Laurent Plantevin relève notamment : « L’approche collaborative : elle a pour finalité de conclure un accord profitable à l’achat en dépassant le cadre conventionnel de la relation achats-vente. Elle propose au fournisseur de monétiser des services innovants et inédits qui sont alignés avec la stratégie commerciale de l’industriel, ou au niveau local ou au niveau international, et qu’elle s’engage à délivrer. »
Cette approche collaborative serait ainsi conjointement promue par le droit et par la stratégie de négociation. La robustesse d’un accord au regard du droit serait ainsi obtenue par le biais d’une stratégie de négociation efficiente, notamment dans le cadre des coopérations à l’achat : là, il y aurait convergence des intérêts du juriste et du négociateur.
Certes, la négociation à l’achat demeurerait mue par l’objectif du prix d’achat optimal, mais en pratique, l’approche collaborative impliquerait une conception innovante et durable des négociations commerciales.
Conception innovante en ce sens que le négociateur complèterait l’offre initiale de l’industriel, par une proposition construite à partir des « capacités » du distributeur susceptibles d’être mobilisées au bénéfice de l’économie de la relation économique et des performances commerciales attendues. L’accord serait élaboré en considération des objectifs retenus par les parties, moyennant les moyens convenus pour y parvenir. Le plan d’affaires concrétiserait le détail de l’accord et illustrerait notamment les modalités selon lesquelles chaque partie mobiliserait ses capacités au bénéfice du projet commun. La finalité de la discussion ne serait pas réduite au prix, mais centrée autour du projet commun.
Conception durable en ce sens que le négociateur à l’achat deviendrait alors, au sein du distributeur, le mandataire de l’industriel en vue d’une mobilisation de la structure à laquelle il appartient, au service de celui-ci. Premier avocat de l’industriel auprès de ses mandants, le négociateur à l’achat veillerait ainsi à mobiliser les capacités disponibles pour générer toutes économies possibles et rendre possible le projet de développement des ventes. Le négociateur à l’achat serait ainsi porteur du projet construit avec l’industriel, lequel pourrait avoir une durée d’une année ou plus (dès lors que l’accord ne porte plus essentiellement sur le prix, mais sur un projet de collaboration, le caractère annuel de la convention ne s’avèrerait pas systématiquement adéquat).
Cette approche collaborative s’avèrerait encore plus pertinente dans le cadre des coopérations à l’achat, lesquelles justifient difficilement leur existence dans le temps en l’absence d’un projet créateur de valeur, au-delà de la simple addition des volumes. Dans le cadre de ces coopérations, le négociateur à l’achat adopterait utilement l’approche collaborative en se positionnant en interne, comme le mandataire » de l’industriel en charge d’élaborer un plan d’économie et de développement spécifique avec chaque enseigne, outre le développement de services rendus par la structure commune elle-même. L’industriel reconnaitrait alors dans la contribution de son interlocuteur, le moyen de mettre en œuvre une stratégie commerciale et promotionnelle spécifique à chaque enseigne adhérant à la coopération.
L’approche collaborative pourrait donc utilement inspirer les stratégies d’achat, comme elle pourrait inspirer celles des industriels dès l’élaboration de leurs offres initiales (cf. notre chronique du 27 août dernier sur « l’offre initiale »). Cette démarche créerait les conditions d’une sécurisation juridique et d’une optimisation des accords.
Simplement, le négociateur à l’achat devrait au préalable se départir d’un préjugé inexact : la contrepartie n’est pas en soi problématique. La contrepartie n’est problématique que si elle crée un aléa sur le prix convenu, que si le distributeur n’a pas l’assurance d’être en mesure de mobiliser les capacités promises à l’industriel et associées aux avantages financiers consentis. Pourvu que chaque contrepartie existe et soit proportionnée au budget consenti par l’industriel, l’accord trouve ainsi l’équilibre exigé par le juge, sans qu’il soit nécessaire d’emporter un aléa sur la rémunération de l’acheteur et par suite, sur le prix convenu.
Pour toutes ces raisons, certains acteurs réfléchissent activement au développement de l’approche collaborative dans les négociations commerciales… d’autres pourraient s’en inspirer.
Auteur :
Olivier Leroy, Avocat associé – CMS Francis Lefebvre Lyon avocats
Article paru précédemment dans LSA du 03/09/2018