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Impossibilité de déduire des charges nées avant un apport : une nouvelle application de la théorie du prix d’acquisition

Impossibilité de déduire des charges nées avant un apport : une nouvelle application de la théorie du prix d’acquisition

Dans une affaire récente (CE 6 juin 2018, n°410164, Uniper France Power), le Conseil d’Etat refuse la déduction de coûts de démantèlement provisionnés antérieurement à un apport partiel d’actifs, sur le fondement de la théorie du prix d’acquisition.

Un litige s’est noué avec l’administration sur la question de la déduction des provisions pour coûts de démantèlement, dans le cadre d’un changement de méthode comptable.

Deux sociétés avaient reçu en 1995, par voie d’apport, des centrales thermiques à raison desquelles la société apporteuse avait déduit des provisions pour coûts de démantèlement. Les apports ayant été placés sous le régime de droit commun en matière d’impôt sur les sociétés, ces sociétés ont reconstitué ces provisions à leur passif (les provisions ont, par ailleurs, été réintégrées aux résultats fiscaux des sociétés apporteuses). Les deux sociétés ont ensuite été absorbées en 2003 par leur société mère, qui a inscrit les provisions au passif de son bilan.

Cette absorption a été placée sous le régime de faveur du sursis prévu par l’article 210 A du Code général des impôts.

En 2005, de nouvelles règles comptables issues de la transposition dans les comptes individuels des entreprises françaises de la norme internationale IAS 16 ont imposé le provisionnement immédiat de la totalité des coûts de démantèlement et de remise en état incombant aux entreprises à l’issue de l’utilisation d’une installation ou d’un site lorsqu’ils ont pour objet de couvrir une dégradation immédiate nécessaire à l’exploitation. En contrepartie, ces coûts doivent être inscrits à l’actif comme une composante du prix de revient de l’immobilisation sous-jacente et faire l’objet d’un amortissement linéaire sur la durée d’utilisation de l’installation ou du site. Sur le plan fiscal, les dispositions de l’article 39 ter C du Code général des impôts issues de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 prévoient que la provision comptabilisée directement au passif du bilan n’est pas déductible mais que les entreprises peuvent déduire l’amortissement de l’actif de contrepartie.

Pour se conformer à cette nouvelle règlementation, la société requérante avait inscrit les coûts de démantèlement à l’actif du bilan d’ouverture de l’exercice 2005 en contrepartie de la constitution d’une provision de même montant au passif et repris en capitaux propres l’ensemble des provisions antérieures pour coûts de démantèlement tout en procédant à la réintégration extra comptable des seules provisions constituées depuis 1995. Elle avait également reconstitué de manière rétrospective l’amortissement cumulé de cet actif qu’elle avait déduit de manière extra comptable de son résultat fiscal.

A l’occasion d’une vérification de comptabilité, l’administration a remis en cause cette déduction de l’actif de contrepartie à proportion des provisions constituées antérieurement aux apports partiels d’actifs intervenus en 1995.

Dans son arrêt du 6 juin 2018, le Conseil d’Etat confirme la position de l’administration fiscale en considérant que ces provisions avaient été incluses dans l’actif net apporté dont elles avaient minoré la valeur d’acquisition et que par suite les coûts de démantèlement correspondant ne pouvaient être déduits ni des résultats des sociétés bénéficiaires des apports ni de ceux de la société requérante qui les avaient absorbées en 2003.

1. Le Conseil d’Etat confirme dans un premier temps le principe de la déduction de l’amortissement rétrospectif de l’actif de contrepartie correspondant à des coûts de démantèlement comptabilisés…

Le Conseil d’Etat valide en premier lieu, sur le principe, la méthode de reconstitution rétrospective de l’actif de contrepartie adoptée par l’entreprise pour tirer les conséquences du changement de règlementation comptable. Cette approche n’est pas surprenante puisque l’administration fiscale avait indiqué dans son instruction du 30 mars 2007 (BOI 4E-2-07) que, bien que la déduction fiscale d’un amortissement correspondant à l’actif de contrepartie par une imputation en capitaux propres ne soit en principe pas possible dans la mesure où les provisions et amortissements doivent faire l’objet d’une dotation comptable préalable par le compte de résultat pour pouvoir être déduites, il serait admis que les variations négatives de l’actif net qui résulteraient de la première application de la nouvelle méthode de comptabilisation des coûts de démantèlement puissent être déduites du résultat fiscal au titre de l’exercice du changement.

Le Conseil d’Etat apporte toutefois une précision essentielle puisqu’il indique que les entreprises ne sont fondées à déduire l’amortissement reconstitué de manière rétrospective de l’actif de contrepartie que sous réserve que ce dernier corresponde à l’activation de charges qui auraient été déductibles. C’est cette dernière considération qui va conduire les juges à confirmer la position de l’administration fiscale pour rejeter la déduction pratiquée par l’entreprise en faisant application de la théorie jurisprudentielle dite du prix d’acquisition.

2. … mais en rejette la déduction sur le fondement de la théorie du prix d’acquisition lorsqu’il se rapporte à des coûts provisionnés antérieurement à un apport partiel d’actif

Que ce soit dans le cadre d’un apport partiel d’actif ou d’une fusion, on sait que la doctrine administrative et la jurisprudence s’accordent pour refuser à la société bénéficiaire des apports la déduction des charges qui se rapportent à l’activité apportée lorsqu’elles sont nées antérieurement à l’opération. Ce refus de déduction est fondé sur l’idée que ces charges et dettes ont nécessairement été prises en compte dans la rémunération des apports et qu’elles doivent donc être considérées comme ayant déjà été déduites de la valeur d’acquisition de l’actif apporté.

La société bénéficiaire des apports garde en revanche la possibilité de déduire celle qui n’étaient ni connues ni prévisibles à cette date.

Selon la jurisprudence, à l’exception de certaines provisions par nature non déductibles, les provisions afférentes à l’activité apportée sont assimilables à des dettes et entrent dans le champ d’application de la théorie du prix d’acquisition. Dans un arrêt Oddo du 25 septembre 2013, le Conseil d’Etat avait ainsi jugé que la prise en compte des provisions pour la détermination de la valeur de l’actif apporté faisait obstacle à leur reprise en franchise d’impôt chez la bénéficiaire de l’apport, peu important à cet égard la circonstance que ces provisions n’aient pas été déduites du résultat de l’apporteuse.

Dans l’affaire Uniper France Power, le litige ne portait pas sur le traitement fiscal des reprises de provisions dont la déduction extra comptable pratiquée par la société se trouvait couverte par la prescription mais sur celui de l’amortissement rétrospectif de l’actif de contrepartie correspondant, que les dispositions de l’article 38,4 bis du CGI avaient permis au service vérificateur de réintégrer au résultat fiscal du premier exercice non prescrit.

Le raisonnement adopté par le Conseil d’Etat est toutefois le même, fondé sur la logique économique de la théorie du prix d’acquisition. Reprenant le considérant de principe de l’arrêt Oddo, il juge ainsi que la cour administrative d’appel avait pu à bon droit estimer souverainement que les provisions constituées antérieurement à l’apport de 1995 étaient incluses dans l’actif net apporté dont elles avaient minoré la valeur d’acquisition. Il en découle que les coûts de démantèlement ayant fait l’objet de ces provisions ne pouvaient donc donner lieu à aucune déduction chez la société bénéficiaire de l’apport fut-ce par le biais d’un amortissement.

Cette décision qui pouvait être pressentie à la lecture de la jurisprudence Oddo donne au Conseil d’Etat l’occasion de confirmer que le traitement fiscal des provisions chez une société apporteuse et en particulier la circonstance que ces provisions aient été reprises et imposées lors de l’opération d’apport en régime de droit commun est sans incidence sur l’impossibilité pour la société bénéficiaire de l’apport de déduire les coûts correspondants.

La solution retenue interroge dès lors par le résultat auquel elle peut conduire, à savoir l’absence définitive de déduction de coûts de démantèlement pourtant bien effectivement à la charge de la société bénéficiaire des apports dans le cas où les provisions n’ont pas été déduites chez l’apporteuse et ne sont pas venues réduire les plus-values d’apport.

Elle devrait toutefois rester sans portée lorsque le régime de faveur de l’article 210 A du CGI s’applique. On sait que dans ce cas, la doctrine administrative reconnait de longue date le droit à une société absorbante ou bénéficiaire d’apports de reprendre en franchise d’impôts les provisions non déductibles constituées par l’apporteuse. L’administration fiscale avait précisé à ce propos qu’en cas de provision non déduite par l’absorbée pour des raisons de convenances personnelles (existence de déficits, par exemple), l’absorbante ne pouvait déduire des charges qui se rattachent à l’activité de la société absorbée (BOI-IS-FUS-10-20-40-10, § 220), ce qui laisse penser qu’en dehors de ce cas, la société absorbante devrait pouvoir déduire lesdites charges. Soulignons d’ailleurs que seule la déduction des coûts provisionnés avant la réalisation des apports de 1995 avait été contestée par l’administration fiscale qui n’avait en revanche pas remis en cause ceux correspondant aux provisions constituées entre 1995 et 2003, date de la fusion par voie d’absorption en régime de faveur de la société bénéficiaire des apports. Cette jurisprudence doit inciter les entreprises à apporter une vigilance particulière au traitement comptable et fiscal des opérations notamment dans la détermination des valeurs retenues pour le calcul des plus-values d’apport.

 

Auteur

Sophie Mahy, avocat spécialisé en fiscalité directe

 

Impossibilité de déduire des charges nées avant un apport : une nouvelle application de la théorie du prix d’acquisition – Article paru dans le magazine Option Finance le 17 septembre 2018