Sur l’effet des clauses de renonciation générale comprises dans les transactions
27 septembre 2018
Après moult évolutions jurisprudentielles, sources d’insécurité juridique, la Chambre sociale de la Cour de cassation semble avoir, par un arrêt du 30 mai 2018, reconnu de manière définitive le plein effet libératoire des clauses de renonciation générale figurant dans les transactions conclues entre employeurs et salariés (Cass. soc., 30 mai 2018, n°16-25.426).
Sur l’interprétation des clauses conclues dans les transactions
Selon la rédaction originelle de l’article 2044 du Code civil, la transaction est définie comme « le contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ».
En pratique, et en matière sociale, une transaction est donc l’acte par lequel le salarié renonce à une action judiciaire contre son employeur, moyennant le versement d’une indemnité transactionnelle.
Nombre de transactions comprennent des formules « fleuves » de renonciation générale à toute demande selon lesquelles le salarié déclare avoir reçu toutes les sommes auxquelles il pouvait ou pourrait éventuellement prétendre et renonce à toute réclamation de quelque nature que ce soit, née ou à naître, résultant de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail.
Se pose dès lors la question de l’effet libératoire d’une telle clause.
Autrement dit, la clause de renonciation générale consentie par le salarié le prive-t-elle de toute possibilité d’agir ultérieurement contre son employeur ? Ou bien cette interdiction d’agir est-elle circonscrite aux sujets qui ont effectivement fait l’objet d’un litige, éteint par l’accord transactionnel ?
Deux interprétations des clauses de renonciation générale étaient envisageables à la lecture des textes :
- d’une part, l’article 2048 du Code civil invite à une interprétation restrictive de l’objet des transactions (« Les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ».) ;
- d’autre part, les clauses contenues dans les transactions peuvent être interprétées de manière extensive en application de l’article 2049 du Code civil qui semble autoriser les renonciations générales (« Les transactions ne règlent que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui est exprimé ».).
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation s’était prononcée en 1997 sur les clauses de portée générale contenues dans les transactions (Cass. ass. plén., 4 juillet 1997, n°93-43.375) en accordant une large portée à la formule par laquelle « la partie demanderesse renonce à toutes réclamations de quelque nature qu’elles soient à l’encontre de la partie défenderesse relatives tant à l’exécution qu’à la rupture de son contrat de travail ».
Sur la position fluctuante de la Chambre sociale de la Cour de cassation
La Chambre sociale de la Cour de cassation, pour sa part, s’est longtemps opposée à une telle conception extensive des clauses de renonciation générale.
Ainsi, par exemple, elle avait considéré qu’un accord transactionnel portant sur des heures supplémentaires et des repos compensateurs n’empêchait pas le salarié de formuler une demande de rappel de salaire et de prime (Cass. soc., 13 mai 2003, n°01-42.826 ; pour d’autres exemples : Cass. soc., 3 mai 2012, n°10-27.047 ; ou encore : Cass soc., 1er octobre 2014, n°13-18.522).
Toutefois, la Chambre sociale a réorienté sa jurisprudence dans deux arrêts de principe rendus en 2014 puis en 2017 :
- dans la première affaire, la Chambre sociale a jugé que le salarié ne pouvait pas prétendre au paiement de sommes à titre de dommages et intérêts pour perte de salaires et d’une indemnité compensatrice de préavis dès lors qu’aux « termes de la transaction, le salarié [avait] déclaré n’avoir plus rien à réclamer à l’employeur à quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit, tant en raison de l’exécution que de la rupture du contrat de travail » (Cass. soc., 5 novembre 2014, n°13-18.984) ;
- dans la seconde affaire, la Chambre sociale décidait qu’une transaction relative à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’aimante rendait irrecevable une action ultérieure fondée sur le préjudice d’anxiété dès lors que « aux termes de la transaction, le salarié [avait déclaré] être rempli de tous ses droits et ne plus avoir aucun chef de grief quelconque à l’encontre de la société du fait de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail » (Cass. soc., 11 janvier 2017, n°15-20.040).
C’est dans la continuité de ces décisions que s’inscrit le dernier arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 30 mai 2018, n°16-25.426).
Dans cette affaire, un directeur administratif avait conclu un protocole d’accord transactionnel avec son ancien employeur suite à son licenciement pour motif économique.
Par la suite, et malgré cette transaction, il avait sollicité la condamnation de la société au versement d’une retraite supplémentaire, sujet qui n’avait pas été évoqué lorsque s’était cristallisé le litige entre l’employeur et le salarié.
Dans son arrêt du 30 mai 2018, la Cour de cassation a décidé, au visa des articles 2044 et 2052 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, 2048 et 2049 du même code, que le salarié ne pouvait prétendre à aucun versement de retraite supplémentaire dès lors :
qu’aux termes de la transaction, le salarié déclarait avoir reçu toutes les sommes auxquelles il pouvait ou pourrait éventuellement prétendre au titre de ses relations de droit ou de fait existant ou ayant existé avec la société et renonçait à toute réclamation de quelque nature que ce soit, née ou à naître ainsi qu’à toute somme ou forme de rémunération ou d’indemnisation auxquelles il pourrait éventuellement prétendre à quelque titre et pour quelque cause que ce soit du fait notamment du droit commun, des dispositions de la convention collective, de son contrat de travail et/ou de ses avenants et/ou tout autre accord, ou promesse et/ou découlant de tout autre rapport de fait et de droit..
Se ralliant définitivement à la position de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (arrêt précité), la Chambre sociale reconnait pour la première fois explicitement la validité d’une clause aussi générale dans sa portée.
Sur les incidences de l’arrêt de la Chambre sociale du 30 mai 2018
Tout d’abord, la dernière position de la Chambre sociale devrait contraindre certaines juridictions du fond à abandonner l’interprétation restrictive des transactions rédigées en termes généraux.
Une interrogation pourrait demeurer en raison de la modification des articles 2044 et 2052 du Code civil par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, l’arrêt du 30 mai 2018 étant rendu au visa de l’ancien article 2052 du code civil.
Eu égard à l’interprétation extensive des clauses des transactions permise par l’article 2049 du Code civil (cet article n’ayant pas été modifié par la loi du 18 novembre 2016), les clauses de renonciation générale devraient cependant garder, à notre sens, toute leur portée.
Les employeurs pourront donc désormais, avec un bon niveau de sécurité, considérer comme définitivement clos les litiges ayant donné lieu à la conclusion d’accords transactionnels comportant une clause de renonciation générale à agir.
Auteurs
Matthieu Beaumont, avocat, en droit social
Sur l’effet des clauses de renonciation générale comprises dans les transactions – Article paru dans Les Echos Exécutives le 26 septembre 2018
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