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Caractérisation de la faute dolosive du constructeur

Caractérisation de la faute dolosive du constructeur

La jurisprudence considère, de manière constante, que « le constructeur, nonobstant la forclusion décennale, est […] contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive, lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude, ses obligations contractuelles » (Cass. 3e civ., 27 juin 2001, n°99-21.017).

Sous réserve de rapporter la preuve du dol -ce qui n’est pas chose aisée eu égard au temps écoulé- le maître d’ouvrage conserve donc un moyen d’action à l’encontre du constructeur au-delà de la période couverte par la garantie décennale.

En l’espèce, le maître d’ouvrage avait fait construire un groupe d’immeubles qu’il avait ensuite vendu par lots en l’état futur d’achèvement. Postérieurement à l’expiration de la garantie décennale, le syndicat des copropriétaires avait autorisé la réalisation de travaux de suppression de cloisons intérieures dans un local situé dans l’ensemble immobilier. Des fissures étant apparues à la suite de ces travaux, le syndicat avait assigné, après expertise, le maître d’ouvrage et le bureau d’études techniques qui était intervenu lors de la construction de l’immeuble.

Les juges du fond avaient condamné le bureau d’études techniques aux motifs que le plancher souffrait de défauts majeurs, à savoir les faibles caractéristiques mécaniques du béton et la non-conformité des plans d’armature établis par le bureau d’études techniques conduisant à un déficit en armature (seul le cloisonnement, dont ce n’était pas le rôle, avait permis de rigidifier la dalle). Ils avaient estimé que l’erreur de conception du bureau d’études techniques constituait une faute lourde tellement grave qu’elle devait être qualifiée de dolosive.

La Cour de cassation n’est pas du même avis et casse l’arrêt d’appel en considérant que la violation par le bureau d’études techniques de ses obligations par dissimulation ou par fraude n’avait pas été caractérisée.

La teneur de l’arrêt nous conduit à revenir sur la conception du dol retenue par la Cour de cassation lorsqu’elle se prononce sur la faute dolosive du constructeur.

La Cour de cassation adopte parfois une conception souple. Ainsi, dans un arrêt de 2009, elle a pu considérer qu’un constructeur n’ayant pas pris les précautions élémentaires dans la construction commet, de manière délibérée, une faute dolosive de nature à engager sa responsabilité contractuelle dans la mesure où il ne pouvait ignorer qu’il prenait « un risque de nature à entraîner presque inéluctablement un désordre tel que celui qui est survenu » (Cass. 3e civ., 8 septembre 2009, n°08-17.336). De même, en 2014, la Cour de cassation cassait un arrêt de Cour d’appel n’ayant pas recherché le caractère dolosif de la faute alors que le maître d’ouvrage soutenait que le constructeur n’avait pas fait procéder à une étude préalable du sol et avait construit un ouvrage n’ayant pas le caractère d’un mur de soutènement et que, par conséquent, il ne pouvait ignorer qu’il prenait un risque de nature à entraîner l’effondrement de l’ouvrage (Cass. 3e civ., 25 mars 2014, n°13-11.184). Citons encore un arrêt de 2016 où la Cour de cassation considérait la dissimulation établie à la suite de l’erreur grossière d’une entreprise qui ne pouvait méconnaître la fragilité de l’immeuble et la défaillance de ses appuis dont il aurait dû informer le maître d’ouvrage (Cass. 3e civ. 27 octobre 2016, n°15-22.920).

Cependant d’autres arrêts retiennent une conception du dol beaucoup plus restrictive comme récemment un arrêt qui a considéré que ne constituait pas une faute dolosive du constructeur la circonstance que celui-ci n’avait pas pris les précautions élémentaires pour surveiller l’exécution des travaux sous-traités (Cass. 3e civ., 5 janvier 2017, n°15-22.772).

Si la doctrine considère majoritairement que la conception restrictive prévaut désormais, la jurisprudence de la Cour de cassation nous paraît essentiellement casuistique. Le maître d’ouvrage qui envisagerait une action contre le constructeur sur le terrain de la faute dolosive devra donc avoir conscience du caractère fortement aléatoire du résultat d’une telle action.

Cass. 3e civ., 12 juillet 2018, n° 17-19.701

 

Auteur

Christelle Labadie, Professional support lawyer, droit de la construction et droit de l’urbanisme

 

Caractérisation de la faute dolosive du constructeur – Article paru dans la Lettre Construction-Urbanisme de septembre 2018