Cessions d’entreprises en difficulté : typologie des risques en droit social
1 octobre 2018
La jurisprudence sociale récente apporte d’intéressantes illustrations des risques auxquels sont exposées les opérations de cession d’entreprises en difficulté. Ces risques sont présents en amont de ces opérations, au stade des procédures d’information consultation, mais également postérieurement à leur réalisation.
Point d’arrêt sur ces décisions et les précautions à prendre.
Les tribulations suscitées par la cession de sociétés titulaires de contrats de franchise McDonald’s à Marseille, fortement médiatisée du fait notamment des soutiens politiques dont les salariés et leurs représentants ont bénéficié, ne constituent pas un exemple isolé.
Les praticiens des opérations de cession constatent en effet la propension de plus en plus grande des représentants du personnel à contester judiciairement des opérations pouvant conduire des groupes à se défaire d’activités non suffisamment rentables dans l’espoir de leur donner un second souffle.
Par ces actions, les contestataires peuvent rechercher à assurer leur ancrage avec un actionnaire disposant de moyens économiques et financiers conséquents, quitte à préférer être licenciés, plutôt que de risquer participer à une aventure entrepreneuriale qu’ils considèrent plus incertaine.
Ces actions en contestations peuvent également intervenir une fois l’opération réalisée, afin de rechercher la responsabilité de cet actionnaire en lieu et place de celle de leur nouvel actionnaire ou employeur qui peut être défaillant.
Les actions visant à empêcher la réalisation des opérations de cession
Les actions en contestation peuvent survenir avant même que ces opérations se réalisent soit au stade où celles-ci sont soumises à la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel.
Rappelons à cet égard qu’à l’occasion de ces procédures, l’employeur doit communiquer des informations précises et écrites aux représentants du personnel. Or, ces derniers peuvent parfois trouver des moyens de contestation tenant à la suffisance, à la qualité ou encore à la loyauté de l’information transmise. La fraude peut également servir de fondement à de telles actions.
L’affaire récente ayant conduit le groupe de presse Prisma Media à céder son titre VSD, qui était abrité au sein d’une filiale, à un entrepreneur indépendant, offre une première illustration de ce type de contestation.
Dans cette affaire, les représentants du personnel reprochaient au cédant de ne pas avoir communiqué l’ensemble des informations afférentes à des suppressions de postes et ce, alors même que la viabilité du projet impliquait une nette diminution de l’effectif au moyen de l’exercice par les journalistes de leurs clauses de cession.
Cette action visant ainsi à interdire cette cession n’a pas prospérée, le Tribunal ayant considéré que les demandeurs ne rapportaient pas la preuve d’un trouble manifestement illicite au regard notamment de la qualité des informations transmises par l’employeur et du sérieux du projet de reprise (TGI de Nanterre, 25 mai 2018, n°18/01228).
Inversement, le TGI de Marseille a bloqué une des cinq cessions de sociétés qui exploitaient des McDonald’s après avoir considéré que celle-ci était accompagnée d’un projet de reprise insuffisamment viable économiquement (TGI Marseille, 7 septembre 2018, n°18/03389).
Seconde illustration récente avec un fondement de contestation sensiblement différent, celui visant à soutenir que la consultation du comité d’entreprise (ou du comité social et économique) sur un projet ponctuel de cession devrait être précédée de la consultation périodique en lien avec son objet (la principale concernée étant la consultation périodique sur les orientations stratégiques).
Ce raisonnement a été singulièrement suivi par le TGI de Versailles dans l’affaire de la cession par le groupe SFR de sa filiale Mobipel (TGI de Nanterre, 28 mai 2018, n°18/01187, Mobipel) – conduisant donc l’opération à devoir être différée de plusieurs mois – et mis en échec par le TGI de Créteil à propos de la cession par le groupe SNCF d’une de ses filiales qui était économiquement viable (ordonnance du 5 juillet 2018, n°18/00733).
Ces différentes affaires illustrent en tout état de cause la nécessaire attention devant être portée à la qualité et à la complétude de l’information transmise, celle-ci devant permettre de convaincre les juges éventuellement saisis du sérieux et de la viabilité économique du projet de reprise.
Lorsque ces actions ne prospèrent pas, comme dans cette dernière affaire, reste aux salariés et à leurs représentants à tenter d’engager des actions postérieurement à la réalisation de l’opération.
Les actions visant à faire sanctionner l’opération de cession intervenue
Dans les affaires de cession d’entreprises en difficulté, les difficultés post-cession surviennent le plus souvent à la suite des licenciements que peut être contraint de mettre en œuvre le cessionnaire.
Les salariés peuvent dès lors avoir la tentation d’agir contre le cédant si les conditions de leur licenciement sont moins favorables que celles auxquelles ils auraient pu prétendre avant la cession.
Pour que la responsabilité du cédant soit retenue, il faut qu’il ait commis des fautes, voire des négligences, ou qu’il ait manqué à l’obligation de loyauté dans l’exécution des contrats de travail ou encore qu’il ait contourné de façon frauduleuse les dispositions sur le transfert d’une entité économique autonome.
La sanction est alors généralement indemnitaire et compense la perte de chance de conserver un emploi ou de bénéficier des dispositions d’un plan social plus favorable (Cass. soc., 14 novembre 2007, Bull n°05-21239 ; Cass. soc., 18 juin 2014, n°12.18589).
Dans une seule affaire particulièrement remarquée, dans laquelle le Tribunal puis la Cour d’appel ont retenu la démonstration du caractère frauduleux de l’opération, la sanction est de façon surprenante allée jusqu’au prononcé de la nullité de la cession (CA Douai, 17 mai 2018, Samsonite n°16/06041).
Les salariés licenciés par le cessionnaire peuvent également tenter de rechercher la responsabilité de la société mère du cédant généralement plus solvable.
La voie du co-emploi était jusqu’alors privilégiée sans grand succès (Cass. soc., 26 juin 2008, n°07-41.294 à n°07-41.312).
L’arrêt Bouyer du 24 mai 2018 (n°16-18.621) confirme qu’une « absence d’autonomie décisionnelle » de la société fille doit être démontrée afin que le co-emploi soit établi.
Dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation ouvre également la possibilité de rechercher la responsabilité délictuelle de la société mère postérieurement à la cession réalisée par l’une de ses filiales.
En l’espèce, la responsabilité de la société mère n’avait pas été retenue mais l’arrêt apporte des enseignements importants sur les conditions devant être réunies à cet effet : la société mère doit, par les décisions de gestion prises, avoir commis une faute ayant compromis la bonne exécution par sa filiale de ses obligations ou contribué à sa situation de cessation de paiements.
Ces différentes décisions confirment donc la nécessaire vigilance qui doit accompagner l’élaboration et la bonne mise en œuvre des opérations de cession des entreprises en difficulté.
Ces risques judiciaires obligent en particulier la société mère cédante à devoir trouver un équilibre entre un soutien trop appuyé, révélant une immixtion et une atteinte à la nécessaire
indépendance économique de la filiale, et un désintéressement tout aussi condamnable.
Article paru dans La Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity, supplément n°1479 du magazine Option Finance du 01/10/2018
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