La fourniture implicite de services d’investissement
On savait, depuis le Q&R1 du 19 avril 2010 du Comité Européen des Régulateurs des Marchés de Valeurs Mobilières (CERVM)2, qu’une recommandation personnalisée pouvait être formalisée de manière implicite et qu’ainsi, une entreprise d’investissement pouvait bien être considérée comme ayant fourni un conseil en investissement, sans peut-être en avoir eu réellement conscience.
En particulier, le CERVM soulignait : « Oui, un instrument financier peut être présenté comme adapté à un investisseur alors que tel n’est effectivement pas le cas… Il importe de rappeler toutefois que, malgré l’ajout d’un avertissement clair, bien visible et compréhensible précisant que l’entreprise ne fournit pas un conseil ou une recommandation, l’entreprise peut néanmoins être réputée avoir présenté une recommandation comme adaptée au client ». Ce risque pointé par le CERVM avait également été relevé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans sa position 2008-23.
Une question importante était donc de savoir si les tribunaux français appliqueraient cette analyse. En effet, on sait, depuis des années, que la Banque est tenue d’une obligation d’information qui a pour objet de permettre à son client de mesurer les conséquences de son engagement3. Pour autant, la Cour de cassation rappelle régulièrement le principe selon lequel4 :
« Sauf disposition légale ou contractuelle contraire, la banque n’est pas tenue à une obligation de conseil à l’égard de son client et n’est susceptible d’engager sa responsabilité que dans le cas où elle lui a fourni un conseil inadapté à sa situation dont elle a connaissance ».
De ce fait, la découverte de la fourniture d’un conseil en investissement dans une relation entre une banque et un client ne pouvait, à la lettre de la jurisprudence passée, être présumée. Pour autant, dans une décision du 20 juin 20185, la Cour de cassation a considéré que :
« Si le banquier prestataire de services d’investissement [(PSI)] n’est pas, en cette seule qualité, tenu d’une obligation de conseil à l’égard de son client, il est tenu, lorsque, à la demande de celui-ci ou spontanément, il lui recommande un service ou un produit et lui prodigue ainsi un conseil, de le faire avec pertinence, prudence et loyauté, en s’enquérant de ses connaissances, de son expérience en matière d’investissement, ainsi que de sa situation financière et de ses objectifs, afin que l’instrument financier conseillé soit adapté ».
Ce faisant, la Haute juridiction approuve la Cour d’appel6, dont « l’arrêt relève que dans la convention litigieuse, la banque intervient comme partie et non comme conseil de la société Acometis … qualifiant cette dernière mention de « clause de style« .
Dès lors, conformément à la doctrine constante des régulateurs, si le banquier PSI n’est pas, en cette seule qualité, tenu d’une obligation de conseil à l’égard de son client, la fourniture d’un conseil en investissement exprimé implicitement reste possible, nonobstant la convention contraire des parties.
Cet arrêt, qui confirme que les tribunaux ne s’arrêtent pas à la lettre de l’accord des parties mais s’attachent à la réalité des faits, doit à notre avis être également mis en lien avec l’accord de composition administrative conclu le 14 juin 2018 avec la société Guinefolleau Finance.
Dans cette affaire, l’AMF a en effet pu reprocher une activité de commercialisation de fonds non autorisée en France alors que le professionnel concerné n’intervenait que dans le cadre d’une convention d’apport d’affaires qui avait pour objet exclusif la commercialisation des actions du fonds concerné au profit d’un PSI chargé du placement desdits titres.
Si le compte rendu de cet accord reste laconique sur les circonstances de l’espèce, on peut toutefois noter à nouveau que la volonté des parties à la convention litigieuse d’inscrire leur activité en dehors du champ des règles applicables en matière de commercialisation n’a pas arrêté l’AMF.
Ainsi, en matière de commercialisation et, plus largement de fourniture de services d’investissement, c’est bien la réalité de leur intervention qui contraint les parties, n’en déplaise à leurs accords.
Notes
1 « Question & Réponses : Comprendre la définition de la notion de conseil aux termes de la Directive MIF« , Réf.: c/10-293
2 Le prédécesseur de l’ESMA
3 Cass. com., 3 déc. 2013, n°12-23.976
4 Cass. com., 13 janv. 2015, n°13-25.856
5 Cass. com., 20 juin 2018, n°17-11.473
6 C. Appel Colmar, 30 nov. 2016
Auteur
Jérôme Sutour, avocat associé, Head of financial services