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Justification du caractère de pleine concurrence des taux d’intérêt : l’incertitude demeure malgré les orientations de l’OCDE

Justification du caractère de pleine concurrence des taux d’intérêt : l’incertitude demeure malgré les orientations de l’OCDE

Un rapport de l’OCDE du 3 juillet 2018 apporte certaines précisions bienvenues sur les transactions financières, mais de nombreuses zones d’ombre persistent quant aux analyses à mettre en œuvre afin de justifier du caractère de pleine concurrence d’un taux d’intérêt.

Le 3 juillet 2018, l’OCDE1 a publié un rapport non-consensuel sur les transactions financières qui s’inscrit dans le cadre des actions 8-10 du plan de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices dit BEPS2. L’OCDE appelle la communauté des affaires à apporter ses commentaires sur le projet, dont elle a par ailleurs précisé qu’il n’a pas fait l’objet d’un consensus des membres du comité des affaires fiscales, c’est-à-dire qu’il faut comprendre qu’il y aura de nouvelles versions du rapport.

Ce rapport couvre les principales transactions financières intragroupe, dont les prêts qui peuvent être consentis entre des sociétés d’un même groupe. Compte tenu des difficultés rencontrées par les entreprises appartenant à des groupes internationaux pour justifier du caractère de pleine concurrence de leurs prêts intragroupe et d’une jurisprudence incertaine quant aux preuves pouvant être apportées3, les recommandations de l’organisation internationale étaient particulièrement attendues. Si le rapport apporte des clarifications bienvenues, d’autres apparaissent en revanche plus discutables.

1. Vers une requalification plus fréquente des prêts intragroupe ?

L’OCDE propose une série de facteurs pour apprécier la nature et les conditions des transactions financières intragroupe : le cycle de vie d’un produit ou d’une activité, la régulation financière ou le niveau de liquidité sur un marché, par exemple. Pour caractériser une transaction financière intragroupe, l’OCDE indique qu’il convient de prendre en compte les perspectives de l’emprunteur et du prêteur, et la capacité de remboursement de l’emprunteur.

Selon l’OCDE, ces facteurs permettront d’apprécier, tant du point de vue de l’emprunteur que du prêteur, l’opportunité de conclure une transaction financière intragroupe et d’estimer si sa nature et ses conditions sont de pleine concurrence. L’OCDE précise également que la structure de financement d’une société membre d’un groupe pourrait être différente de celle qu’elle aurait été si elle avait été indépendante.

Ce faisant, l’OCDE laisse la porte ouverte à une requalification des transactions financières intragroupe lorsqu’il n’est pas certain que l’emprunt intragroupe aurait été conclu entre deux parties non liées avec les mêmes caractéristiques et dans les mêmes conditions, à la lumière des facteurs évoqués ci-dessus.

La requalification peut résulter de la nature de la transaction elle-même, en considérant par exemple que les sommes prêtées au titre d’une transaction financière intragroupe auraient dû être apportées en fonds propres. Elle peut également concerner les conditions appliquées à la transaction. L’OCDE fournit l’exemple -souvent rencontré par les groupes disposant de centrales de trésorerie- de la maturité des avances en compte courant. Lorsque la maturité effective de celles-ci dépasse un certain terme, l’OCDE indique qu’elles pourraient être requalifiées en prêts à terme, et leur rémunération ajustée en conséquence.

Si les intentions de l’OCDE sont compréhensibles, il est toutefois regrettable qu’elle ne propose pas de règles claires permettant de caractériser une transaction financière intragroupe, risquant d’engendrer des situations de double imposition plus fréquentes. Il conviendra ainsi de suivre comment l’OCDE prendra en compte les commentaires de la communauté des affaires sur cette problématique.

2. Quelle approche pour la note de crédit ?

Un des sujets les plus délicats en matière de transactions financières intragroupe concerne l’estimation du risque de défaut de l’emprunteur, pour les besoins de laquelle une analyse de note de crédit est généralement réalisée. Cette problématique est souvent l’objet de vives discussions avec l’administration fiscale. Les principaux commentaires de l’OCDE à ce sujet recouvrent les outils de notation et la question du support implicite.

L’OCDE reconnait tout d’abord la pertinence des modèles de notation de crédit édités par les agences de notation (S&P ou Moody’s par exemple), en indiquant que ceux-ci permettent d’obtenir une estimation fiable de la note de crédit d’une société. Si l’OCDE tempère cette observation en indiquant que ces modèles reposent principalement sur des données quantitatives ne prenant pas suffisamment en compte les facteurs qualitatifs, l’organisation propose toutefois différentes pistes pour améliorer leur fiabilité. Ces commentaires de l’OCDE apparaissent positifs et permettront d’appuyer le recours à ces outils de notation.

L’appel à commentaires qui suscite le plus de controverse concerne la prise en compte du support implicite. L’OCDE évoque en effet la possibilité de poser comme postulat que la note de crédit d’un groupe dans son ensemble doit être appliquée à chacun de ses membres. L’argument principal avancé est qu’un prêteur indépendant prendrait nécessairement en considération l’appartenance à un groupe pour évaluer les conditions financières à appliquer. Même si l’OCDE prend des précautions en indiquant que ce postulat pourra toujours être inversé en fonction des faits et circonstances, cette approche nous semble s’écarter du principe de pleine concurrence dans la mesure où elle ne prend pas en compte la situation de la société emprunteuse comme si celle-ci était indépendante.

Afin d’offrir la sécurité juridique recherchée par les entreprises sur un sujet aussi débattu avec les administrations fiscales, il aurait été préférable que l’OCDE propose un cadre d’analyse clair, en affirmant le principe que la note de crédit d’une filiale doit être prise en compte de façon indépendante, quitte à laisser la possibilité de comparer la note d’une société à celle du groupe comme un test de cohérence.

3. Une standardisation des méthodes d’analyse bienvenue ?

L’OCDE indique que les bases financières commerciales (comme celles éditées par S&P ou Bloomberg) contiennent des données suffisantes pour analyser les transactions financières intragroupe et que la méthode du prix comparable sur le marché libre (« méthode CUP ») permet d’obtenir des résultats fiables. Ces orientations de l’OCDE, qui consacrent la méthode CUP pour justifier les taux d’intérêt intragroupe, semblent cohérentes avec le principe de pleine concurrence et la pratique des groupes multinationaux.

L’OCDE émet différentes recommandations relatives aux données disponibles permettant de déterminer un taux d’intérêt de pleine concurrence.

L’organisation considère tout d’abord que les émissions obligataires peuvent constituer une alternative fiable aux prêts commerciaux afin d’évaluer un taux. Ce commentaire est d’autant plus intéressant que la jurisprudence des juridictions administratives françaises semble s’orienter vers une lecture très restrictive des preuves pouvant être apportées par les entreprises. Le Tribunal administratif de Paris a ainsi récemment écarté une analyse fondée sur des émissions obligataires4, en avançant que celles-ci n’avaient pas la même nature et les mêmes caractéristiques qu’un prêt.

L’OCDE commente également l’utilisation de transactions comparables internes comme données disponibles permettant de déterminer un taux d’intérêt de pleine concurrence. L’organisation rejette à ce titre la pertinence d’une référence au coût moyen de financement externe du groupe5 dans la mesure où celui-ci ne permet pas de répondre aux critères de comparabilité. Cette précision apparaît logique puisque le coût du financement externe correspond à une moyenne de taux applicables à de multiples transactions financières pour lesquelles les conditions (maturité, devise par exemple) peuvent être très différentes de celles de la transaction intragroupe analysée. L’OCDE évoque également la possibilité de se fonder sur le coût de la ressource pour le prêteur, qui serait augmenté d’une marge. Si cette solution semble être accueillie plus favorablement, ce taux pouvant ainsi constituer un taux « plancher » pour le prêteur ; l’OCDE relève toutefois qu’il ne reflète pas nécessairement le niveau de compétition qui existe sur le marché lorsqu’une multitude de prêteurs sont actifs.

Enfin, l’OCDE rejette la comparabilité potentielle des lettres d’opinion bancaire en relevant qu’elles ne correspondent pas à des transactions réellement exécutées et qu’elles sont généralement émises par les établissements sans analyse exhaustive du dossier. Il apparaît regrettable à cet égard que l’OCDE ne prenne pas également position sur les offres bancaires, seul élément de preuve semblant être admis par l’administration fiscale française. Si sur le principe ces offres pourraient en effet constituer un moyen de preuve, elles sont en pratique très rares car les banques n’ont aucun intérêt à s’engager dans un processus long et coûteux pour un intérêt commercial limité.

Notes

1 Organisation de coopération et de développement économiques.
2 Pour Base Erosion and Profit Shifting en anglais.
3 En ce sens notamment, TA Paris, 16 janvier 2018, n°1707553/1-2, SAS Studialis, et TA Paris, 7 juin 2018, n°1613999/2-3, Sté Paule Ka Holding.
4 TA Paris, 7 juin 2018, n°1613999/2-3, Sté Paule Ka Holding
5 Correspondant au taux moyen de l’ensemble des emprunts conclus par les différentes sociétés du groupe concerné.

 

Auteurs

Antoine Faure, avocat counsel en fiscalité internationale

Badr Lamhamedi, économiste en fiscalité internationale

 

Justification du caractère de pleine concurrence des taux d’intérêt : l’incertitude demeure malgré les orientations de l’OCDE – Article paru dans le magazine Option Finance le 19 novembre 2018