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«Name, shame and punish»

«Name, shame and punish»

L’une des mesures phares de la loi n°2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude est la mise en place d’un « name and shame » à la française qui s’inscrit dans le contexte plus général du renforcement des sanctions administratives et pénales.

Le « name and shame » en France

Le « name and shame », entendu dans un sens strict, est prévu par l’article 18 de la loi contre la fraude. Il s’agit d’un mécanisme permettant à l’administration fiscale, après avis conforme et motivé de la Commission des infractions fiscales, de publier sur son site internet les amendes ou majorations appliquées à l’encontre de personnes morales à raison de manquements graves. Ceux-ci sont définis en référence à un critère objectif, à savoir un montant de droits fraudés d’un minimum de 50 000 €. S’y ajoute un critère plus ambigu, à savoir la commission d’un abus de droit ou de manœuvres frauduleuses. La publication, qui ne pourra excéder une durée d’un an, portera sur la nature et le montant des droits fraudés et des pénalités appliquées, la dénomination du contribuable ainsi que, le cas échéant, l’activité professionnelle et le lieu d’exercice de l’activité. Le contribuable pourra faire suspendre (s’il agit dans les soixante jours de la notification de la décision de publication) ou cesser (s’il agit ultérieurement) la publication en exerçant un recours portant sur les impositions et pénalités correspondantes. La suspension ou le retrait de la publication durera jusqu’à l’intervention d’une décision juridictionnelle confirmant de manière définitive le bien-fondé de la décision de publication. Au cas où les impositions et les amendes ou majorations auraient fait l’objet d’une publication, l’administration devra également rendre publique sur son site internet toute décision juridictionnelle revenant sur ces impositions ou majorations.

Dans un sens plus large, le « name and shame » trouve une autre illustration à l’article 16 de la loi. Celui-ci crée, pour le juge pénal qui prononce une condamnation pour fraude fiscale, une obligation d’ordonner l’affichage et la diffusion de sa décision (il ne s’agissait jusqu’à présent que d’une simple faculté). Le juge pourra toutefois décider de ne pas y procéder en justifiant cette décision par les circonstances de l’infraction et la personnalité de son auteur.

On peut observer que le législateur a ainsi mis en place deux modalités de publication : l’une, à l’issue de la procédurale pénale ; l’autre, dès le prononcé de la sanction administrative et à la seule initiative de l’administration. La nouvelle loi protège ainsi moins bien, au regard de la publication des manquements qu’ils ont commis, les contribuables qui, pourtant, ne font l’objet d’aucune poursuite pénale, ce qui n’est pas sans susciter quelques questions qui pourraient trouver un prolongement constitutionnel.

Le contexte général de la réforme française

Les deux mesures précitées reposent sur l’objectif de stigmatisation publique des personnes qui se rendent coupables de manquements graves à la loi fiscale. Elles procèdent du constat que l’atteinte à la réputation est un risque que les entreprises craignent désormais autant, voire plus, que les sanctions financières.

La France n’est pas le premier Etat à se doter d’un tel dispositif. La publication des pénalités fiscales infligées aux contribuables est en effet prévue par certains droits étrangers depuis plusieurs années. A titre d’exemple, l’article 94 de la loi de finances britannique pour 2009 a mis en place un tel dispositif qui concerne les contribuables qui ont commis une erreur délibérée dans leurs déclarations fiscales ou se sont délibérément abstenus de respecter leurs obligations fiscales. Le seuil d’application de la règle britannique est plus bas que celui du droit français car elle s’applique à compter de 25 000 livres de droits fraudés. En outre, les personnes physiques sont concernées au même titre que les personnes morales, alors que le législateur français a finalement fait le choix de restreindre le mécanisme aux seules personnes morales. Le site de l’administration fiscale britannique contient une rubrique intitulée « current list of deliberate tax defaulters »1 qui précise notamment, de façon instructive, que le comportement des contribuables visés peut avoir changé entre le moment où les manquements ont été commis et celui où leurs noms sont publiés, et que la gestion de l’entreprise peut avoir été totalement modifiée.

Plus généralement, le « name and shame » fait entrer le comportement fiscal dans l’ère de la société de communication et de la responsabilité sociale des entreprises. Le défi de cette évolution est toutefois de résister à la stigmatisation incontrôlée en l’assortissant de garanties pour les contribuables. Compte tenu notamment de la grande incertitude qui accompagne la définition de l’abus de droit en matière fiscale, il est à craindre qu’une publication prématurée (au cas où le contribuable n’aurait pas exercé un recours dans un délai que la loi rend extrêmement bref) puisse produire des effets irréversibles au détriment de contribuables dont le principal tort aura finalement été de s’être montré habiles.

L’introduction du « name and shame » en droit français pose également la question de savoir s’il conviendrait, pour l’avenir, d’opérer une évolution symétrique en valorisant publiquement les entreprises vertueuses d’un point de vue fiscal. Une telle perspective pose également un certain nombre de questions relatives aux critères du civisme fiscal et aux modalités par lesquelles seraient ainsi reconnues les entreprises concernées.

Le renforcement des sanctions administratives et fiscales

Il est intéressant de noter que la loi du 23 octobre 2018, largement innovatrice en tant qu’elle s’appuie sur le levier de la stigmatisation publique pour dissuader les entreprises de se livrer à des manquements graves, reste fortement attachée à l’outil traditionnel de la répression pénale ou administrative. C’est ainsi que son article 36 procède à une réforme importante du « verrou de Bercy » en prévoyant des cas de transmission obligatoire par l’administration de certains dossiers au parquet. L’administration est désormais tenue de dénoncer au procureur de la République les faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle qui ont conduit à l’application, sur des droits dont le montant est supérieur à 100 000 €, des majorations de 100% et 80% prévues par le code général des impôts, et même de la majoration pour manquement délibéré de 40% lorsqu’au cours des six années civiles précédant son application le contribuable a déjà fait l’objet lors d’un précédent contrôle de l’application d’une de ces majorations ou d’une plainte de l’administration.

En parallèle d’un relâchement des conditions de la poursuite des contribuables au pénal, on observe un renforcement des sanctions pouvant être infligées aux conseils dont les clients se voient infliger, notamment, une pénalité pour abus de droit. L’article 19 de la loi relative à la lutte contre la fraude introduit ainsi dans le code général des impôts un article 1740 A bis qui prévoit que toute personne physique ou morale qui, dans l’exercice d’une activité professionnelle de conseil à caractère juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d’un tiers, a intentionnellement fourni à un contribuable certaines prestations (limitativement énumérées par le texte) permettant directement la commission par ce contribuable d’agissements passibles de sanctions, est redevable d’une amende qui est égale à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable sans pouvoir être inférieur à 10 000 €.

Les conseils, quel que soit leur profession, qui se livrent à ce type de pratique seront donc désormais soumis à un contrôle accru, ce qui rejoint ici encore une tendance plus générale. Rappelons à cet égard que la directive (UE) 2018/822 du 25 mai 2018, qui s’inscrit dans la ligne de l’action 12 du plan BEPS de l’OCDE, a pour objet de mettre à la charge des entreprises et de leurs conseils fiscaux (les « intermédiaires fiscaux » au sens de la directive) de nouvelles obligations déclaratives portant sur les « dispositifs transfrontières » comportant certains indices d’une évasion fiscale. Si la directive ne prévoit pas de sanction à l’encontre des entreprises et des conseils concernés, le droit français devra néanmoins y pourvoir. L’article 22 de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude prévoit à cet égard que le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, les mesures relevant du domaine de la loi propres à transposer la directive du 25 mai 2018. Un projet de loi de ratification sera déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance mentionnée ci-dessus.

La boucle est ainsi bouclée, et l’étau resserré.

Note

1 https://www.gov.uk/government/publications/publishing-details-of-deliberate-tax-defaulters-pddd/current-list-of-deliberate-tax-defaulters.

 

Auteur

Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale, professeur à l’École de droit de la Sorbonne, expert du Club des juriste

 

« Name and shame » – Article paru dans le magazine Option Finance le 26 novembre 2018