Quels niveaux de représentativité syndicale pour quels niveaux de négociation collective?
19 décembre 2018
Depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, le droit des organisations syndicales de négocier et de conclure des accords collectifs est conditionné par la reconnaissance -au niveau considéré- de leur représentativité, laquelle s’apprécie notamment au regard de leur audience électorale.
A chaque niveau d’appréciation de la représentativité syndicale, le législateur a donc, en principe, associé un niveau de négociation et a défini l’audience requise pour la validation des accords conclus, afin de garantir la coïncidence du niveau d’appréciation de la représentativité syndicale et de celui de la négociation de l’accord collectif.
Force est toutefois de constater que le dispositif existant laisse subsister certaines zones d’ombre.
Un dispositif qui fait coïncider niveau d’appréciation de la représentativité et niveau de négociation
Le Code du travail fixe les différents niveaux auxquels est établie la représentativité des organisations syndicales :
- ainsi, au niveau de l’entreprise ou de l’établissement les organisations syndicales représentatives sont celles qui ont obtenu 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique (CSE). A cet égard, l’administration précise que, dans les entreprises à établissements multiples, la représentativité d’un syndicat au niveau de l’entreprise se calcule par addition de l’ensemble des suffrages obtenus par le syndicat dans l’ensemble des établissements.
- au niveau du groupe ou au niveau interentreprises, ce niveau d’audience s’apprécie par addition de l’ensemble des suffrages obtenus à ces mêmes élections dans les entreprises ou établissements concernés ;
- enfin, au niveau national et interprofessionnel, et de branche, seules sont représentatives les organisations syndicales ayant obtenu 8 % des suffrages exprimés à chacun de ces niveaux par addition des suffrages exprimés au premier tour des élections des membres titulaires du CSE des entreprises concernées.
Or, à chacun de ces niveaux d’appréciation de la représentativité syndicale, le législateur fait correspondre un niveau de négociation, en définissant les modalités de mesure de l’audience que doivent obtenir les organisations syndicales représentatives pour pouvoir valablement conclure un accord collectif.
Sont ainsi expressément reconnus comme niveaux de négociation et de conclusion possibles d’un accord collectif : l’établissement, l’entreprise, le groupe, la branche professionnelle, l’interentreprise, et l’interprofession.
Un accord collectif conclu au niveau de l’entreprise ou de l’établissement ne sera dès lors valable qu’à la condition d’avoir été signé par des organisations syndicales représentatives ayant obtenu 50 % – voire 30 % dans certains cas – des suffrages exprimés en faveur des seules organisations représentatives, ce qui suppose – au passage – de recalculer leur audience en excluant les organisations syndicales qui n’ont pas atteint le seuil de représentativité requis.
Les textes précisent que cette mesure d’audience s’apprécie à l’échelle de l’ensemble des entreprises comprises dans le périmètre de l’accord pour les accords de groupe et les accords interentreprises. Par ailleurs, les modalités de calcul de l’audience sont les mêmes s’agissant des accords de branche et des accords interprofessionnels dont la validité est subordonnée à leur signature par des organisations représentatives ayant obtenu 30 % des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives et à l’absence d’opposition des organisations syndicales représentatives non signataires dans les 15 jours de la notification de l’accord.
Un dispositif qui laisse subsister des zones d’ombre
Au-delà de ce qui précède, il existe des périmètres de négociation pour lesquels le législateur n’a pas fixé les règles de calcul de l’audience requise pour l’établissement de la représentativité des négociateurs, et/ou les règles de mesure de l’audience nécessaire à la validation de l’accord conclu.
Il en est ainsi, par exemple, de la négociation d’accords interbranches, expressément assimilés aux accords de branche par le Code du travail, sans qu’aucune précision ne soit donnée sur les conditions d’appréciation de la représentativité des organisations syndicales habilitées à les négocier, ou sur les conditions de leur validité. Dans le silence des textes, il y a sans doute lieu de considérer que l’accord interbranche doit obéir aux règles applicables aux accords de branche, dans chacune des branches concernées.
De la même façon, le législateur a reconnu la possibilité pour les organisations patronales multi-professionnelles, représentant plusieurs branches professionnelles, d’établir leur représentativité. Pour autant, il n’a pas défini les conditions d’établissement de la représentativité syndicale à ce niveau et n’a pas expressément reconnu ce niveau de négociation. Il pourrait, là encore, s’en déduire que si une organisation multi-professionnelle décide d’engager une négociation pour tout ou partie des branches qu’elle représente, elle ne pourra le faire qu’avec l’ensemble des organisations syndicales représentatives dans les branches concernées et à la condition que l’accord conclu remplisse les conditions de validité propres à chacune d’elles.
Plus délicate encore est la question de la négociation d’un accord collectif au niveau d’une unité économique et sociale (UES) reconnue conventionnellement ou judiciairement entre des entreprises distinctes. Une telle négociation n’est pas expressément consacrée par le législateur et son régime juridique demeure soumis à discussion. En effet, pour une partie de la doctrine, les accords conclus au niveau de l’UES doivent être assimilés à des accords d’entreprise et suivre leur régime juridique. D’autres auteurs considèrent, en l’absence de reconnaissance de la personnalité morale de l’UES, que la négociation d’un accord collectif à ce niveau s’inscrit dans le cadre juridique de l’accord interentreprises. Or, cette distinction n’est pas sans conséquence, notamment sur le contenu possible de l’accord. En effet, alors que la loi reconnait à l’accord d’entreprise la faculté de déroger à l’accord de branche dans un sens moins favorable aux salariés, une telle possibilité est exclue pour les accords interentreprises qui doivent respecter les accords de branche.
En dernier lieu, le Code du travail prévoit la possibilité de conclure un accord collectif au niveau d’un groupe d’établissements sans qu’il soit précisé s’il y a lieu de recalculer l’audience des organisations syndicales au niveau des établissements concernés ou de considérer qu’il s’agit d’une somme d’accords d’établissements, les conditions de validité s’appréciant au niveau de chacun d’eux.
En conclusion, si le législateur ambitionne désormais de faire correspondre périmètre d’appréciation de la représentativité des organisations syndicales habilitées à négocier et périmètre de négociation, certaines questions demeurent à ce jour en suspens. Or, la nécessaire interprétation qui en résulte est potentiellement source de contentieux portant notamment sur la validité de l’accord, et pourrait s’avérer particulièrement préjudiciable lorsque les thèmes de négociation concernés supposent la conclusion d’un accord collectif, ou que l’accord conclu déroge à un accord de branche ou interprofessionnel.
Auteurs
Florence Bonnet-Mantoux, avocat. en droit social
Béatrice Taillardat Pietri, adjoint du Responsable de la doctrine sociales
Quels niveaux de représentativité syndicale pour quels niveaux de négociation collective ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 19 décembre 2018
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