PSE : de nouvelles précisions sur le champ de compétence respectif des deux ordres juridictionnels
8 mars 2019
Il est désormais bien établi que le contentieux des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) relève de la seule compétence du juge administratif. La frontière entre le juge du PSE et le juge du licenciement reste toutefois à préciser sur certains points, tel que l’illustrent deux récents arrêts de la Cour de cassation.
La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a consacré au profit du juge administratif un bloc de compétences en matière de PSE. Après avoir confié à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), c’est-à-dire à l’Administration, le soin de valider (en présence d’un d’accord collectif) ou d’homologuer (en présence d’un document unilatéral) le PSE, elle en a logiquement transféré le contentieux afférent aux juridictions administratives.
En d’autres termes, la compétence de la juridiction administrative est indissociable du domaine d’intervention de la Direccte : l’ensemble des éléments qu’elle examine et qui font l’objet d’une décision de validation ou d’homologation relève de la compétence, en premier ressort, du Tribunal administratif, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux1. Tel est par exemple le cas de la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel, dont la régularité ne peut être appréciée par le juge judiciaire.
Par deux récents arrêts, la Haute juridiction apporte d’utiles précisions sur le juge compétent pour vérifier le respect de l’obligation de recherche d’un repreneur et de l’obligation de reclassement.
Le contrôle du respect de l’obligation de recherche d’un repreneur relève du juge administratif
Lorsqu’une entreprise d’au moins 1 000 salariés envisage la fermeture d’un établissement qui aurait pour conséquence un projet de licenciement économique collectif, elle est soumise à l’obligation de rechercher un repreneur2. Dans une affaire Caterpillar, des salariés licenciés avaient saisi la juridiction prud’homale d’une demande de dommages et intérêts pour inexécution de bonne foi de cette obligation.
Ces salariés pouvaient-il saisir le juge judiciaire d’une telle demande alors que le PSE et la procédure afférente avaient été contrôlés par la Direccte ?
A cette question, la Haute juridiction répond fermement par la négative en relevant d’office son incompétence dans un arrêt rendu le 16 janvier 20193. Après avoir rappelé le principe de la séparation des pouvoirs, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme que « l’appréciation du respect de l’obligation de recherche d’un repreneur relève de la seule compétence de la juridiction administrative ».
Cette décision constitue une application pure et simple de la compétence de principe attribuée à la juridiction administrative en matière de PSE : l’obligation de recherche d’un repreneur faisant partie des éléments sur lesquels porte le contrôle exercé par la Direccte lorsqu’un PSE est soumis à sa validation ou à son homologation, le contentieux relatif au respect de cette obligation échappe au juge judiciaire, que la question posée soit celle de sa mise en œuvre effective ou de son exécution « de bonne foi ».
Si dans le cas particulier, la frontière entre la compétence du juge administratif et du juge judiciaire semble bien claire, elle n’est toutefois pas toujours d’une étanchéité absolue.
La nature particulière de l’obligation de reclassement à l’origine d’un partage de compétence entre le juge administratif et le juge judiciaire
Délicate est la question du juge compétent pour apprécier le respect par l’employeur de son obligation de reclassement. En effet, cette obligation a une nature particulière en ce qu’elle présente à la fois :
- un caractère collectif lors de la phase d’élaboration du PSE, qui doit contenir notamment des mesures favorisant le reclassement interne des salariés (souvent appelé le « plan de reclassement ») ;
- un caractère individuel lors de la mise en œuvre du PSE, l’employeur devant procéder à des recherches loyales et sérieuses de reclassement au profit de chaque salarié impacté.
Pour la première fois, la Chambre sociale de la Cour de cassation a procédé dans un arrêt du 21 novembre 20184 à un partage de compétence entre la juridiction administrative et judiciaire à propos de l’obligation de reclassement.
Dans cette affaire, la cour d’appel de Douai avait considéré que les licenciements prononcés étaient sans cause réelle et sérieuse en se fondant sur l’insuffisance de PSE. Raisonnement censuré par la Cour de cassation qui distingue clairement les deux facettes de l’obligation de reclassement :
- dans un premier temps, elle confirme l’unicité du bloc de compétences en considérant que le plan de reclassement contenu dans un PSE homologué ou validé par la Direccte relève de la compétence exclusive du juge administratif. Le juge judiciaire ne peut donc se prononcer sur la régularité ou la suffisance de ce plan de reclassement ;
- dans un second temps, la Cour de cassation reconnaît une compétence résiduelle au juge prud’homal qui demeure compétent pour apprécier le respect par l’employeur de son obligation individuelle de reclassement.
En définitive, le contrôle de l’obligation collective de reclassement relève de la juridiction administrative alors que le contrôle de l’obligation individuelle de reclassement relève de la juridiction judiciaire, sans que celle-ci ne puisse invoquer le contenu du PSE pour fonder son appréciation.
En pratique, cela signifie que même en présence d’un PSE contrôlé et validé par l’Administration, les entreprises doivent rester vigilantes au moment de la mise en œuvre effective du projet et chercher à reclasser individuellement chaque salarié conformément à l’article L.1233-4 du Code du travail.
Dès lors, si le principe même du bloc de compétence administrative en matière de PSE ne fait plus aucun doute, la nature particulière de certaines obligations à la charge de l’employeur conduit à certains ajustements. Notamment, la question délicate du juge compétent pour apprécier le respect par l’employeur de son obligation de sécurité dans le cadre d’un projet de réorganisation reste encore débattue5.
Notes
1 Article L.1235-7-1 du Code du travail
2 Articles L.1233-57-9 et suivants du Code du travail issus de la loi dite « Florange » du 29 mars 2014
3 N°17-20.969
4 N°17-16.766 et 17-16.767
5 Sur ce point, voir « Le bloc de compétence administrative en matière de PSE à l’épreuve des faits », Les Echos Executives, par O. Dutheillet de Lamothe
Auteurs
Emilie Bourguignon, counsel, droit social
Camille Mathelin, juriste, droit social
PSE : de nouvelles précisions sur le champ de compétence respectif des deux ordres juridictionnels – Article paru dans Les Echos Exécutives le 7 mars 2019
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