Obligation de désignation des salariés auteurs d’infractions routières : qu’apportent les premières décisions ?
2 avril 2019
Depuis le 1er janvier 2017, les employeurs doivent désigner les salariés auteurs d’infractions routières commises au volant d’un véhicule de société. Les premières contraventions pour manquement à cette nouvelle obligation ont été envoyées dès le début de l’année 2018 et les premières décisions de la Cour de cassation sur le sujet viennent d’être publiées. Analyse.
Rappel sur l’obligation de désigner les salariés auteurs d’infractions routières
Le Code de la route impose à l’employeur mettant à la disposition de ses salariés des véhicules de désigner, par lettre recommandée avec accusé d’avis de réception ou par voie dématérialisée, le conducteur ayant commis une infraction constatée par un appareil de contrôle automatique (art. L.121-6) telle que :
- le non port d’une ceinture de sécurité ;
- l’usage du téléphone tenu en main ;
- le non-respect des signalisations imposant l’arrêt des véhicules ;
- le non-respect des vitesses maximales autorisées ;
- etc.
À défaut d’indiquer le nom, l’adresse et la référence du permis de conduire de la personne physique qui conduisait le véhicule appartenant à l’entreprise dans un délai de 45 jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention et à moins d’établir l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure, le représentant légal encourt une amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, d’un montant maximum de 750 euros.
Personne morale et représentant légal peuvent être indifféremment poursuivis
Première précision apportée par la Cour de cassation : l’infraction de non-désignation est imputable tant au représentant légal qu’à la personne morale (Cass. crim., 11 déc. 2018, n°18-82.628).
Dans cette affaire, un avis de contravention pour non-désignation avait été directement adressé à la société en tant que personne morale. Or, l’article L.121-6 du Code de la route prévoit expressément que « le représentant légal de cette personne morale doit indiquer […] l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule ». La société en a déduit que seule la responsabilité pénale de son représentant légal pouvait être mise en cause.
La Cour de cassation admet au contraire la possibilité d’imputer l’infraction de non-désignation à la personne morale en retenant que l’article L.121-6 du Code de la route « n’exclut pas qu’en application [de l’article 121-2 du Code pénal], la responsabilité pénale de la personne morale soit aussi recherchée pour cette infraction, commise pour son compte, par ce représentant » (Cass. crim., 11 déc. 2018, n°18-82.628). Il en résulte qu’en cas de refus de transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur, le représentant légal et l’entreprise peuvent être cumulativement poursuivis.
Cette solution rejoint celle préconisée par le ministère de la Justice qui avait indiqué dans une circulaire du 15 février 2018 que « le fait que l’avis de contravention pour non-désignation soit adressé à la personne morale est l’expression du choix d’engager sa responsabilité pénale du fait de son responsable légal […]. Ce choix permet également un levier dissuasif plus efficace, par la possibilité d’infliger une amende quintuplée ».
En effet, l’objectif que le législateur a tenté d’atteindre en adoptant l’article L.121-6 du Code de la route est de dissuader les entreprises de recourir à la pratique consistant à refuser délibérément de désigner le conducteur de leur véhicule et à payer leurs amendes et ce afin d’éviter que les salariés ne perdent des points sur leur permis de conduire et qu’ils puissent continuer à exercer leurs fonctions.
Le montant maximum de l’amende due par la personne morale étant quintuplé par rapport au montant initial, les condamnations peuvent s’élever jusqu’à 750 euros, pour le représentant légal, et 3 750 euros, pour la personne morale, soit jusqu’à 4 500 euros cumulés. À ce montant s’ajoute également celui de l’amende due au titre de l’infraction initiale.
Rappelons en outre que, lorsque l’employeur fait le choix de payer l’amende initiale réprimant une contravention au Code de la route commise par le salarié, il :
- ne peut pas opérer une retenue sur salaire pour le remboursement de l’amende (Cass. soc., 17 avr. 2013, n°11-27.550) ;
- est redevable des cotisations et contributions de sécurité sociale puisqu’il s’agit d’un avantage en nature qui doit être intégré dans l’assiette de cotisations de sécurité sociales (Cass. 2e civ., 14 févr. 2019, n°17-28.047 ; Cass. 2e civ., 9 mars 2017, n°15-27.538).
Le destinataire de l’avis de contravention peut être le représentant légal ou l’entreprise
Deuxième précision apportée par la Cour de cassation : l’avis de contravention peut être libellé au nom de la personne morale, même si c’est la responsabilité du représentant légal qui est engagée (Cass. crim., 11 déc. 2018, n°18-82.820).
Là encore, malgré les termes « représentant légal » expressément employés par l’article L.121-6 du Code de la route, la Cour de cassation estime que « le juge devait se borner à vérifier si le prévenu, informé de l’obligation à lui faite de désigner le conducteur du véhicule dans les 45 jours de l’envoi de l’avis de la contravention d’excès de vitesse, avait satisfait à cette prescription, de sorte qu’il n’importait que l’avis de contravention pour non-désignation du conducteur ait été libellé au nom de la personne morale » (Cass. crim., 11 déc. 2018, n°18-82.820).En d’autres termes, l’avis de contravention ne doit pas obligatoirement être adressé au représentant légal.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation tranche une autre question. Elle affirme que l’infraction de non-désignation est constituée dès lors que l’avis de contravention est postérieur au 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur de l’obligation de dénonciation et ce, peu importe la date de commission de l’infraction initiale. Cette solution était peu évidente, dans la mesure où l’article R. 130-11 du Code de la route listant les infractions pour lesquelles l’employeur est tenu de désigner le conducteur n’est lui-même entré en vigueur que le 31 décembre 2016.
Obligation d’auto-désignation du représentant légal auteur d’une infraction routière
Troisième et dernière précision apportée par la Cour de cassation : le représentant légal auteur d’une infraction routière doit s’auto-désigner. En l’absence de cette désignation, il est redevable de l’amende spécifique pour non-désignation (Cass. crim., 15 janv. 2019, n°18-82.380)
Au cas particulier, le dirigeant de la société avait payé l’amende pour excès de vitesse qu’il avait lui-même commis en omettant de désigner le conducteur. Il avait, par la suite, reçu un nouvel avis de contravention pour refus de transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur dont il sollicitait l’exonération.
Dans cette affaire, le Tribunal de police a retenu qu’en payant la contravention initiale d’excès de vitesse, le représentant légal s’était, de fait, auto-désigné comme auteur, acceptant la perte de points correspondant. Pour le Tribunal, l’oubli de cocher la case indiquant la désignation du conducteur était une erreur matérielle sans conséquence. Il a, en conséquence, prononcé la relaxe du représentant légal.
Ce raisonnement est écarté par la Cour de cassation qui, faisant une stricte application de la lettre de l’article L. 121-6 du Code la route, a estimé que le représentant légal devait préciser l’identité, l’adresse et la référence du permis de conduire de la personne physique qui conduisait le véhicule au moment de l’infraction, même s’il s’agissait de lui-même (Cass. crim., 15 janv. 2019, n°18-82.380).
Ces décisions, parfois sévères, semblent conformes à l’esprit du texte et à l’intention du législateur de dissuader les entreprises d’acquitter les amendes dues personnellement par leurs salariés. Dans ce contexte, nul doute que les entreprises ont intérêt à se doter de moyens efficaces :
- permettant d’identifier les salariés auteurs d’une infraction routière commise avec le véhicule qu’elles mettent à leur disposition ;
- et de désigner avec soin les conducteurs auprès de l’autorité mentionnée sur l’avis de contravention.
Auteur
Louis Paoli, avocat, droit social
Obligation de désignation des salariés auteurs d’infractions routières : qu’apportent les premières décisions? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 1er avril 2019
A lire également
Exercice 2020 en matière d’intéressement et coronavirus : quelles sont l... 8 avril 2020 | Pascaline Neymond
Le contenu posté par un salarié sur un réseau social peut-il justifier son li... 6 novembre 2020 | Pascaline Neymond
Une visite de reprise est-elle possible sans reprise effective du travail ? Le c... 17 juillet 2018 | CMS FL
Ordonnance relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économiqu... 27 septembre 2017 | CMS FL
Recours abusif au statut d’auto-entrepreneur : gare à la requalification en C... 12 avril 2017 | CMS FL
L’assurance chômage « version Macron » se dévoile... 17 juillet 2019 | CMS FL
Nouvelles règles de procédure et de motivation applicables au licenciement : q... 22 février 2018 | CMS FL
Infractions routières et véhicule de fonction : la fin de l’impunité... 21 décembre 2016 | CMS FL
Articles récents
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur