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Pacte DUTREIL et holdings mixtes : état des lieux et perspectives

Pacte DUTREIL et holdings mixtes : état des lieux et perspectives

Les juges ont récemment tranché la délicate question de la prépondérance de l’activité d’animation d’un groupe, à l’endroit de sociétés holdings animatrices qui, outre le contrôle et la conduite de la politique du groupe, exerçaient une activité civile. Un faisceau d’indices pour caractériser la prépondérance de l’animation se dessine. A quand sa transcription dans les commentaires administratifs ?

1. Teneur des décisions

Dans la première affaire (CA Paris 5-3-2018, Financière de Rosario), un contribuable avait donné à ses descendants la nue-propriété d’actions d’une société holding, sous le régime « Dutreil » de l’article 787 B du CGI. Pendant la période d’engagement de conservation, la holding animait ses filiales et détenait par ailleurs des actifs financiers et immobiliers. L’administration a considéré que l’activité déployée par cette holding -animatrice- était à titre prépondérant une activité de gestion de titres de placement et de location d’immeubles permettant de remettre en cause l’éligibilité à l’article 787 B.

La doctrine administrative prévoit que l’activité éligible (l’animation) doit être prépondérante au regard de critères cumulatifs : le chiffre d’affaires procuré par cette activité – au moins 50% du chiffre d’affaires total – et le montant de l’actif brut immobilisé y afférent – au moins 50% de l’actif brut total. Mais aux lieu et place de ces critères, la Cour procède à une analyse bilantielle plus large et plus concrète intégrant, au – delà de la seule holding, « les activités du groupe ».

Dans la seconde affaire (CE, 13-6-2018, Cofices), des contribuables revendiquaient le régime de l’abattement renforcé pour durée de détention pouvant s’appliquer à la plus-value de cession des titres d’une holding. L’administration le contestait, considérant que la société holding cédée, qui détenait par ailleurs une société civile immobilière porteuse d’immeubles non affectés à l’activité du groupe, n’entrait pas dans les prévisions de la loi, n’étant ni une société opérationnelle, ni une société holding ayant pour objet exclusif la détention de participations dans des sociétés éligibles.

Le Conseil d’Etat juge que doivent être assimilées par capillarité à des sociétés opérationnelles les sociétés holdings animatrices de groupe qui ont « pour activité principale, outre la gestion d’un portefeuille de participations, la participation active à la conduite du groupe et au contrôle de leurs filiales (…) ».

2. Sur plusieurs points, les juges judiciaire et administratif ont une analyse partagée.

Chaque juridiction adopte une définition proche assimilant la holding animatrice mixte à une société opérationnelle, pour autant que l’activité d’animation soit « prépondérante » ou « principale ». Cette exigence (qui marque la frontière entre gestion patrimoniale et activité entrepreneuriale) semble fondée chaque fois que le régime qui la convoque est conçu en faveur de l’initiative entrepreneuriale ou de la transmission d’entreprise.

Implicitement mais nécessairement, le Conseil d’Etat (emboitant le pas au juge judiciaire) considère que la détention d’une participation non animée minoritaire ou accessoire ne fait pas obstacle à la qualification de holding animatrice.

Dans chacune des deux affaires, dès l’instant où l’activité d’animation est prépondérante / principale, la holding est reconnue animatrice pour le tout : les juges écartent la proratisation.

3. S’agissant des modalités d’appréciation de la prépondérance de l’animation, les deux arrêts montrent des convergences, mais aussi des différences d’analyse

Les juges écartent le critère du chiffre d’affaires : selon la Cour d’appel, « l’administration admet que le critère du chiffre d’affaires est inopérant pour les sociétés holdings animatrices de leur groupe » ; le Conseil d’Etat l’écarte pour sa part implicitement, mais nécessairement.

Les deux juridictions écartent également l’analyse concrète de l’activité de la société holding qui tendrait à comparer les moyens matériels et humains (effectifs, temps, énergie…) respectivement affectés par la holding à l’activité d’animation et à l’activité patrimoniale.

Elles procèdent à une approche reposant sur la pesée des actifs du bilan de la holding, marquée toutefois par des nuances importantes.

Selon la cour d’appel, il convient de substituer au critère purement comptable et manichéen de l’actif brut immobilisé de la holding (appréciée isolément), critère qui ne constitue qu’une présomption simple de la prépondérance de l’animation, une approche bilantielle plus globale, intégrant les éléments du patrimoine social de la holding qui peuvent être considérés comme affectés à l’activité d’animation des filiales, sans distinction selon qu’ils relèvent de l’actif immobilisé ou circulant.

Selon le Conseil d’Etat, le caractère principalement animateur d’une holding est avéré, y compris en cas d’exercice simultané d’une activité civile, « à la condition que les filiales contrôlées et animées représentent plus de 50% de l’actif brut de la holding animatrice. La valeur de l’actif brut et des titres de participation dans les filiales s’entend de leur valeur vénale réelle« .

4. Vers une analyse bilantielle pragmatique ?

De notre point de vue, l’analyse bilantielle présente une réelle pertinence, si toutefois sa mise en œuvre s’opère avec nuance. Ainsi :

  • retenir l’ensemble des éléments de l’actif immobilisé n’est pas pertinent dès lors que figurent à cet actif des immobilisations qui peuvent n’avoir aucun lieu avec l’activité d’animation (ex : immeuble de rapport donné en location à des tiers) ;
  • retenir les seules participations animées en considérant qu’aucune autre immobilisation n’a lieu d’être prise en considération n’est pas plus cohérent. La prise en compte d’immeubles figurant à l’actif de la société holding et mis par cette dernière à la disposition des filiales d’exploitation n’est pas dénuée de sens quand la doctrine administrative prévoit (comme la loi1) que la holding animatrice « rend le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers« . La prise en compte, à l’actif immobilisé de la holding, de créances rattachées à des participations peut s’avérer tout aussi pertinent ;
  • exclure systématiquement les éléments de l’actif circulant ne semble pas logique : la trésorerie, les valeurs mobilières de placement, les créances… peuvent avoir un lien très direct avec l’activité d’animation de la holding.

Il ne nous semble pas nécessairement pertinent de traiter distinctement pour la pesée de l’animation une avance consentie à une filiale animée, selon qu’elle figurera à l’actif immobilisé de la holding (créance rattachée à une participation) ou à l’actif circulant (créance comptabilisée en compte courant d’associé). C’est l’objet de cette avance (le soutien à la filiale, dans le cadre de la politique du groupe définie par la holding), plus que la distinction actif immobilisé / actif circulant qui nous semble devoir déterminer sa prise en compte pour l’appréciation de la prépondérance.

S’agissant de la trésorerie figurant à l’actif, la cession d’une participation substantielle par une holding (qui post cession resterait par ailleurs contrôler et animer plusieurs filiales), parce qu’elle détériore immanquablement le ratio d’actif brut au bénéfice d’une prépondérance financière qui peut n’être que temporaire, peut compromettre l’application du régime de faveur. Pénaliser une telle situation serait néanmoins paradoxal : la cession considérée, qui caractérise le rôle animateur et procède de l’ADN même de la holding animatrice, aurait dans le même temps pour effet de la dénaturer si l’exigence de proportionnalité contenue dans le critère de l’actif brut devait se concevoir dans une stricte continuité. Rien n’indique que le législateur ait entendu sanctionner une telle situation.

Outre la situation sus-évoquée dans laquelle la prépondérance financière (que l’on suppose être temporaire) de la holding animatrice résulte de la cession par elle d’une participation substantielle, il est également courant qu’une société holding dispose de liquidités liées à la remontée des résultats des filiales (que cette distribution procède de l’affectation des résultats courants, ou d’un résultat exceptionnel consécutif à un arbitrage ponctuel : cession d’une participation sous-jacente ou d’un actif opérationnel…). Il est tout aussi courant qu’une société holding attributaire des résultats des sociétés du groupe, et instituée par des conventions ad hoc centralisatrice de la trésorerie du groupe (conventions d’animation / convention de « cash pooling » que l’administration elle-même prend en compte pour caractériser le rôle animateur), réaffecte une large partie de cette trésorerie aux filiales, venant ainsi au soutien de leur activité opérationnelle, telle que déterminée dans le cadre de la définition de la stratégie du groupe.

Il ne serait pas pertinent, dans ces diverses situations, parfaitement usuelles, d’exclure mécaniquement de la pesée de l’animation les éléments d’actif circulant que constituent la trésorerie, les créances sur les filiales, les valeurs mobilières de placement.

Au final, si le faisceau d’indices mis en œuvre par les deux décisions analysées permet d’affiner l’appréciation de la prépondérance de l’animation, c’est au prix de leur transcription concertée dans la doctrine administrative que seront garanties la mobilité des entreprises et la sécurité des contribuables.

Note

1 En particulier l’article 966 du CGI.

 

 

Auteurs

Olivier de Saint Chaffray, avocat associé spécialisé en fiscalité directe

Thomas Laumière, avocat associé, droit fiscal

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Pacte DUTREIL et holdings mixtes : état des lieux et perspectives – Article paru dans le magazine Option Finance le 122 avril 2019