Travail dissimulé : tout salarié travaillant en France doit être déclaré en France
30 avril 2019
Dans un arrêt du 12 mars 2019 (n°17-80.744), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé la responsabilité pénale d’une entreprise suisse pour des faits de travail dissimulé par dissimulation d’emploi en raison du non-respect de ses obligations déclaratives à l’égard de deux salariés domiciliés et travaillant en France. L’occasion de revenir sur l’impérativité des règles relatives aux obligations déclaratives.
Des salariés recrutés en Suisse pour travailler en France
Deux salariés domiciliés en France ont été embauchés par une banque suisse en tant que vendeurs de fond commun de placement pour lui permettre d’accroître son activité sur le territoire français.
La société ne disposant d’aucun établissement en France et les contrats de travail étant régis par le droit suisse, les démarches et déclarations relatives à ces emplois ont été accomplies auprès des autorités et organismes sociaux compétents dans ce pays.
Après plainte avec constitution de partie civile déposée par l’un des salariés licenciés, les juges répressifs ont déclaré la société suisse coupable de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié sur le territoire français.
Saisie d’un pourvoi en cassation, la Chambre criminelle devait alors se prononcer sur la question suivante : l’employeur suisse de salariés recrutés en Suisse mais exerçant leur activité en France était-il tenu de se conformer aux obligations déclaratives imposées par le droit français alors même que les relations de travail étaient régies par le droit suisse ?
En répondant par la positive, la Cour de cassation confirme ainsi la responsabilité pénale de la société suisse et la primauté du principe de territorialité de la loi française.
Applicabilité des dispositions relatives au travail dissimulé
Lorsque la relation de travail prend une dimension internationale, l’application des différentes facettes du principe de territorialité de la loi française permet de résoudre les éventuels conflits de lois s’élevant entre les parties.
Plus précisément, en matière de travail dissimulé, deux de ses règles trouvent à s’appliquer.
Territorialité de la loi pénale d’abord, puisque tout fait constitutif d’une infraction commise sur le territoire français emporte application de la loi pénale française (article 113-2 du Code pénal), même si le responsable est étranger.
Territorialité de la loi de sécurité sociale ensuite puisque, sauf hypothèse de détachement, la législation applicable est celle du territoire sur lequel s’exerce l’activité, peu important le lieu de domicile du salarié ou du siège social de l’entreprise (article L.111-2-2 du Code de sécurité sociale).
Ainsi, dans chaque relation de travail, le critère dominant est celui du rattachement entre l’activité salariée et le territoire national.
Or, comme l’ont relevé les juges du fond, les salariés avaient bel et bien été embauchés pour exercer la majorité, si ce n’est l’intégralité, de leur activité en France, pays dans lequel ils avaient d’ailleurs élu domicile. Dès lors, il importait peu que l’employeur aient régulièrement procédé aux démarches et déclarations obligatoires imposées par le droit suisse dans la mesure où le lien entre l’activité salariée et la France était caractérisé.
L’employeur aurait donc dû se conformer au droit français en y déclarant ses emplois salariés.
Si cet arrêt illustre bien l’importance donnée à l’application des règles répressives permettant de lutter contre la fraude dans l’emploi en France, encore fallait-il que les éléments constitutifs de l’infraction soient caractérisés.
Application des dispositions relatives au travail dissimulé
Catégorie de travail illégal, le délit de travail dissimulé consiste à dissimuler de façon intentionnelle aux pouvoirs publics l’exercice d’une activité ou l’emploi de salariés sur le territoire français (articles L.8221-3 et L.8221-5 du Code du travail). Tel est le cas lorsque l’employeur se soustrait à ses obligations déclaratives auprès des organismes sociaux et fiscaux, comme dans l’arrêt commenté.
En effet, tout au long de la relation de travail, l’employeur est tenu d’effectuer un certain nombre de déclarations auprès de l’administration.
Au moment de l’embauche, l’employeur procède à la déclaration nominative préalable du salarié (DPAE), au plus tôt huit jours avant son entrée en fonctions (article L.1221-10 du Code du travail). Le non-respect de cette règle est constitutif d’une dissimulation d’emploi salarié.
Au cours de l’activité salariée, l’employeur procède, chaque mois, à la déclaration sociale nominative de l’entreprise (DSN), destinée à communiquer les informations nécessaires à la gestion de la protection sociale des salariés aux organismes et administrations concernées (article R. 133-13 du Code de la sécurité sociale). Le non-respect de cette règle est, quant à lui, constitutif de dissimulation d’activité et d’emploi salarié.
Dans l’arrêt commenté, et contrairement à ce qu’avançait la société suisse, le fait de s’être conformée à ses obligations déclaratives conformément à la loi suisse, applicable au contrat, ne l’exemptait pas d’accomplir en France la déclaration préalable à l’embauche des deux salariés, dont les responsables n’ignoraient pas qu’ils étaient domiciliés en France et devaient, pour l’essentiel de leur temps, y exercer leur activité professionnelle.
Par ailleurs, il importait peu que seuls deux salariés soient visés par la dissimulation d’emploi : la Cour de cassation précise ainsi que l’importance de la masse salariale concernée ne constitue pas une condition exigée par la loi pour que le délit de travail dissimulé soit caractérisé.
Le délit de travail dissimulé était donc matériellement constitué. Restait à caractériser l’intention de l’employeur de se soustraire à ses obligations déclaratives.
Sur ce point, la Chambre criminelle procède à une interprétation rigoureuse de la notion d’intention.
Selon elle, en effet, la seule constatation de la violation d’une obligation déclarative en connaissance de cause suffit à caractériser l’intention coupable de l’employeur de dissimuler son activité (Cass. Crim., 27 février 2018, n°17-80.856).
De même, l’employeur ne peut se prévaloir d’une erreur comptable de l’entreprise pour justifier son omission de procéder à la DPAE dans la mesure où il lui appartient de veiller au respect des règles qui s’imposent à l’entreprise (Cass. Crim., 27 mars 2018, n°17-83.355).
Sur cette base, les juges du fond ont justifié leur décision en considérant que, compte tenu de leurs statuts et de leurs niveaux de responsabilités, les représentants de la société suisse ne pouvaient raisonnablement ignorer qu’ils étaient soumis aux obligations déclaratives de droit français, dans la mesure où il était parfaitement établi que les salariés avaient été embauchés pour exercer leur activité en France.
L’omission fautive et intentionnelle de la société suisse de se conformer au droit français constitue ainsi des faits de travail dissimulé.
Vigilance donc pour toute entreprise étrangère, et notamment transfrontalière, recrutant des salariés exerçant leur activité en France : même si le contrat de travail est régi par un droit étranger, le salarié doit faire l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche en France.
Article publié dans les Echos Executives le 30/04/2019
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