Comment décompter l’ancienneté ?
7 juin 2019
L’ancienneté du salarié est une notion essentielle en droit du travail puisque de nombreux avantages, qu’ils soient d’origine légale, réglementaire, conventionnelle, voire contractuelle, sont subordonnés à une condition d’ancienneté (par exemple, pour être électeur ou candidat au comité social et économique, CSE, bénéficier d’un accord d’épargne salariale, etc.). Ces avantages peuvent également progresser à mesure que l’ancienneté augmente (indemnité de licenciement, indemnité de conciliation, dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, etc.).
Le calcul de l’ancienneté ne présenterait a priori aucune difficulté s’il suffisait de la décompter à partir du début du contrat de travail. Mais ce calcul peut être perturbé par des successions de contrats, des périodes de suspension du contrat de travail, de mobilité professionnelle, etc.
Rappel de certaines règles sur un vaste sujet.
Le point de départ de l’ancienneté
L’ancienneté se décompte en principe à partir de la prise d’effet du contrat de travail en cours, non de la date de sa conclusion si celle-ci est différente.
Au nom de la liberté contractuelle, le contrat de travail peut toutefois prévoir une clause de reprise d’ancienneté.
Une vigilance toute particulière doit être portée sur les mentions du bulletin de salaire car la date d’ancienneté figurant dans le bulletin de paie vaut présomption de reprise d’ancienneté sauf à l’employeur à rapporter la preuve contraire (Cass. Soc. 12 septembre 2018, n°17-11177).
La reprise d’ancienneté après un CDD, une mission d’intérim ou certains stages
Dans ces différentes situations, le Code du travail organise une reprise totale ou partielle de l’ancienneté.
Ainsi, lorsque, après l’échéance du terme du CDD, la relation contractuelle de travail se poursuit en CDI, le salarié conserve l’ancienneté qu’il avait acquise au terme du CDD (article L.1243-11 du Code du travail).
Lorsque l’entreprise utilisatrice embauche, après une mission, un intérimaire, la durée des missions accomplies au sein de cette entreprise au cours des trois mois précédant le recrutement est prise en compte pour le calcul de l’ancienneté du salarié (article L.1251-38, alinéa 1 du Code du travail).
Lorsque le stagiaire est embauché à l’issue d’un stage d’une durée supérieure à deux mois intégré à un cursus pédagogique, la durée de ce stage est prise en compte pour l’ouverture et le calcul des droits liés à l’ancienneté (article L.1221-24, alinéa 2 du code du travail).
L’ancienneté du salarié à temps partiel
L’ancienneté du salarié à temps partiel est décomptée comme s’il avait été occupé à temps complet, les périodes non travaillées étant prises en compte en totalité (article L.3123-5, alinéa 4 du Code du travail).
L’ancienneté en cas de congés familiaux
La durée du congé maternité ou du congé d’adoption est assimilée à une période de travail effectif pour la détermination des droits que la salariée tient de son ancienneté (articles L.1225-24 et L.1225-42 du Code du travail). En d’autres termes, cette période de suspension du contrat de travail n’a aucun impact négatif sur le calcul de l’ancienneté.
La durée du congé parental d’éducation est prise en compte pour moitié pour la détermination des droits que le salarié tient de son l’ancienneté (article L.1225-54 du Code du travail).
S’agissant du congé de paternité et d’accueil de l’enfant, le Code du travail est silencieux de sorte que cette suspension du contrat de travail ne devrait pas être prise en compte dans le calcul de l’ancienneté, sauf usage ou accord collectif plus favorable.
L’ancienneté en cas de changement d’employeur
Différentes hypothèses doivent ici être envisagées selon que le changement d’employeur s’inscrit ou non dans le cadre d’un transfert d’entreprise, voire d’une mobilité intragroupe.
Lorsqu’un salarié change d’employeur avec rupture du contrat de travail initial (par exemple en démissionnant) et conclusion d’un nouveau contrat de travail avec un nouvel employeur, son ancienneté repart à zéro, sauf à ce que les parties soient convenues d’une reprise d’ancienneté.
Dans le cadre d’un transfert d’entreprise emportant transfert automatique des contrats de travail (succession, vente, fusion, etc.), les contrats de travail en cours subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise dans les conditions mêmes où ils étaient exécutés au moment du transfert. Par conséquent, l’ancienneté à prendre en considération pour l’appréciation des droits des salariés est l’ancienneté acquise dès l’embauche par le premier employeur (Cass. Soc. 17 mars 1998, n°9542100), de sorte que les salariés conserveront chez le repreneur leur ancienneté antérieure au transfert.
En cas de mobilité intragroupe, les conventions collectives ou chartes de mobilité, voire les conventions de transfert elles-mêmes, peuvent prévoir une reprise d’ancienneté.
En l’absence de telles dispositions, l’ancienneté du collaborateur, qui passerait au service d’un nouvel employeur tout en restant au sein du même groupe, devrait néanmoins être conservée dans l’entreprise d’accueil. En effet, il a été jugé, au cas particulier d’un salarié d’une société exploitant un centre commercial Leclerc, passé au service d’une société créée afin de gérer les services communs à plusieurs sociétés relevant du même groupe, que son ancienneté devait se calculer à compter de son engagement par la première société dès lors que les mutations de ce salarié entre les sociétés du groupe, sans rupture du contrat de travail en cours, résultaient de décisions prises au niveau de ce groupe (Cass. Soc. 14 décembre 2005, n°03-47485).
Plus récemment, la Cour de cassation s’est prononcée sur les mutations intragroupe pour écarter l’application, à la convention tripartite de transfert d’un salarié entre deux employeurs successifs, de la rupture conventionnelle (Cass. Soc. 8 juin 2016, n°15-17555). En effet, cette convention de transfert a pour objet « d’organiser, non pas la rupture, mais la poursuite du contrat de travail ».
Dans sa note explicative diffusée sur internet, la Cour justifie sa décision au motif que la convention tripartite de transfert a « pour objet de garantir à l’intéressé la continuité de la relation de travail ».
Dès lors, le collaborateur transféré devrait conserver l’ancienneté acquise antérieurement à sa mobilité intragroupe.
Pour l’indemnité légale de licenciement, une ancienneté à géométrie très variable
Sauf cas de faute grave ou lourde, le salarié titulaire d’un CDI a droit, lorsqu’il est licencié, à une indemnité de licenciement dès lors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur (article L.1234-9 du code du travail).
L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à une somme calculée par année de service dans l’entreprise et tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines, soit 1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à 10 ans et 1/3 de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans. En cas d’année incomplète, l’indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets (articles R.1234-1 et R.1234-2 du code du travail).
Pour déterminer si le salarié licencié a droit à l’indemnité de licenciement, il faudra se placer à la date d’envoi de la lettre de licenciement (Cass. Soc. 11 janvier 2007, n°04-45250 ; Cass. Soc. 15 décembre 2010, n°09-40678). En outre, l’on neutralisera les périodes de suspension du contrat de travail (article L.1234-11, alinéa 1 du Code du travail).
Mais pour calculer l’indemnité de licenciement, il faudra se placer cette fois-ci à la date d’expiration du contrat de travail, c’est-à-dire à la date d’expiration du préavis (Cass. Soc. 15 décembre 2010, n°09-40678). En outre, les périodes de suspension du contrat de travail ne sont plus neutralisées (article L.1234-11, alinéa 2 du Code du travail), sauf dispositions contractuelles ou conventionnelles contraires ou sauf si elles sont assimilées par la loi ou la jurisprudence à des périodes de travail effectif.
Ainsi par exemple, un arrêt de travail résultant d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle n’aura pas d’impact sur le décompte de l’ancienneté pour calculer l’indemnité de licenciement, alors qu’un arrêt de travail résultant d’une maladie non professionnelle sera, sauf usage ou accord collectif contraire, déduit de l’ancienneté.
L’ancienneté dans le cadre du barème de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
En attendant les clarifications très attendues sur la validité ou non du barème des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’indemnisation -minimale et maximale- à laquelle peut prétendre le salarié licencié abusivement varie en fonction de son ancienneté et de la taille de l’entreprise.
Comme pour l’ouverture du droit à l’indemnité légale de licenciement, l’ancienneté du salarié s’apprécie au jour où l’employeur envoie la lettre recommandée de licenciement, date à laquelle se situe la rupture du contrat de travail (Cass. Soc. 26 septembre 2006, n°05-43841). Le préavis ne sera donc pas pris en compte.
Le Code du travail ne comportant aucune restriction en cas de suspension du contrat de travail, les périodes de maladie sont prises en compte dans le calcul de l’ancienneté (Cass. Soc. 7 décembre 2011, n°10-14156 ; Cass. Soc. 23 septembre 2015, n°14-24946).
On l’aura compris à la lecture de ces quelques rappels, le calcul de l’ancienneté est loin d’être uniforme et varie selon l’avantage ou le droit en cause.
Auteur
Vincent Duval, avocat en droit social
Comment décompter l’ancienneté ? – Article paru dans Les Echos Exécutives le 6 juin 2019
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