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Refus d’une modification du contrat lors d’un transfert d’entreprise : quelles conséquences ?

Refus d’une modification du contrat lors d’un transfert d’entreprise : quelles conséquences ?

Lorsque l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement d’employeur, le salarié est en droit de s’y opposer ; la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à la personne, constitue un licenciement pour motif économique.

 

Telle est la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt publié au bulletin du 17 avril 2019 (n°17-17.880). Par cette décision, la Haute juridiction complète sa jurisprudence en apportant une réponse à une question jusqu’ici restée en suspens, à savoir : quelle est la nature juridique du licenciement prononcé après le refus par un salarié de la modification de son contrat de travail consécutif à un transfert d’entreprise ?

 

Refus de la modification du contrat suite au transfert d’entreprise …

Pour mémoire, lorsque les conditions d’un transfert d’entreprise, au sens de l’article L.1224-1 du Code du travail, sont réunies, un salarié ne peut s’y opposer au motif que le changement d’employeur constituerait une modification de son contrat dans la mesure où le transfert, par l’effet de la loi, intervient de façon automatique.

La situation est, en revanche, toute autre lorsque ce transfert entraîne, en sus, une autre modification du contrat tel qu’un changement de lieu de travail hors du secteur géographique initial.

En pareil cas, en effet, le salarié est en droit de refuser une telle modification.

Face à ce refus, s’ouvre pour le cessionnaire plusieurs possibilités :

    • soit maintenir les conditions antérieures de travail ;
    • soit formuler de nouvelles propositions ;
    • soit en tirer les conséquences en engageant une procédure de licenciement.

 

Si la troisième hypothèse est privilégiée, se posera l’épineuse question du motif de licenciement.
En effet, si la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’indiquer que le refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, autre que le changement d’employeur, entraînée par le transfert d’entreprise pouvait entraîner son licenciement pour cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 1er juin 2016, n°14-21.143), elle avait été jusqu’ici silencieuse sur la nature juridique de la rupture de la relation contractuelle.

Le voile est dorénavant levé par cet arrêt du 17 avril 2019 dans lequel la Cour de cassation pose comme principe que la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail, autre que le changement d’employeur, proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique (Cass. soc. 17 avril 2019, n°17-17.880).

 

… entraînant un licenciement pour motif économique

En l’espèce, une société implantée à Nantes avait cédé son activité de vente et de commercialisation de fleurs par internet à une société établie à Orléans. Cette cession, entrant dans le champ d’application de l’article L.1224-1 du Code du travail, entraînait non seulement le changement d’employeur mais surtout un changement de lieu de travail dans la mesure où le repreneur a souhaité rapatrier le poste de travail des salariés à Orléans.

Les salariés ont toutefois usé de leur droit de refuser une telle modification de leur contrat de travail. Le repreneur en a alors pris acte et a procédé à leur licenciement pour motif personnel.

Contestant le motif personnel de la rupture de leur contrat, les salariés ont saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir requalifier leur licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour d’appel de Rennes, suivie par la Cour de cassation, a fait droit à leur demande en estimant que, dès lors que le motif de la modification proposée n’était pas inhérent à la personne du salarié, le licenciement consécutif au refus de cette modification avait la nature juridique d’un licenciement économique.

Partant, faute pour le cessionnaire d’avoir invoqué un tel motif économique, le licenciement prononcé pour motif personnel ne pouvait qu’être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour écarter le motif personnel au profit du motif économique, plusieurs éléments de fait ont été retenus en l’espèce :

    • d’une part, le fait que la modification du contrat s’inscrivait dans la volonté de l’entreprise de ne conserver qu’un seul lieu de production dans le but de réaliser des économies ;
    • d’autre part, que l’objectif affiché était la pérennisation de son activité internet ;
    • et enfin, que le motif réel du licenciement résultait de la réorganisation de la société cessionnaire à la suite du rachat d’une branche d’activité de l’entreprise cédante.

 

Il est à noter que, à l’appui de son pourvoi, le repreneur avait tenté de se prévaloir d’une décision citée ci-avant, à savoir celle du 1er juin 2016 (n°14-21.143).

Son argumentation n’était pas sans pertinence puisque les faits de l’espèce étaient similaires, à savoir un salarié qui avait été licencié suite à son refus de la modification de son lieu de travail consécutif à un transfert d’entreprise.

La Cour de cassation avait alors considéré que, bien que le salarié soit en droit de refuser, son licenciement reposait néanmoins bel et bien sur une cause réelle et sérieuse du fait que le transfert à la nouvelle société située dans un autre lieu géographique que celui auquel était rattaché initialement le salarié avait « entraîné par lui-même » une modification de son contrat de travail.

Certains, à l’instar du repreneur dans cette affaire, y avaient vu là un motif autonome de licenciement.

Cet argumentaire n’a toutefois pas prospéré dans l’arrêt du 17 avril 2019 sans pour autant qu’il puisse être considéré que la Haute juridiction soit revenue sur sa jurisprudence. De fait, elle n’a fait que la compléter dans la mesure où, comme indiqué précédemment, la question de la qualification du licenciement n’avait pas, jusqu’ici, été tranchée.

Cette précision dorénavant faite mériterait néanmoins d’être confirmée. Dans cette attente, les repreneurs, qui projettent de licencier les salariés transférés ayant refusé la modification de leur contrat, sont invités à faire preuve de prudence dans la rédaction de leur lettre de licenciement et de notifier des licenciements pour motif économique avec toutes les conséquences que cela implique.

 

Article publié dans Les Echos Executives le 13/06/2019