Détachement transnational de salariés : le rôle du donneur d’ordre renforcé pour lutter contre le travail illégal
31 juillet 2019
Le régime du détachement transnational de salariés a une nouvelle fois été modifié avec la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, précisée par le décret et l’arrêté du 4 juin 2019.
Si les dernières évolutions législatives prévoient l’allègement de certaines formalités en cas de détachement de salariés par des employeurs étrangers en France, retenons la volonté du législateur d’impliquer toujours plus le donneur d’ordre dans la lutte contre le détachement illégal de salariés.
Le détachement transnational intervient lorsqu’un employeur établi hors de France détache temporairement des salariés sur le territoire français pour l’exécution d’une prestation de service et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement (article L.1262-1 du Code du travail). En pratique, ces opérations sont régulièrement contrôlées par l’Administration et peuvent caractériser une situation de travail illégal susceptible d’avoir des conséquences tant pour l’employeur que pour l’entreprise d’accueil du salarié détaché, si les précautions légales en la matière ne sont pas respectées.
Le donneur d’ordre constitue un maillon essentiel de la lutte contre le travail dissimulé, en particulier lorsque de la main d’oeuvre étrangère est détachée pour la réalisation de la prestation.
En premier lieu, le donneur d’ordre doit s’assurer que son cocontractant a effectivement réalisé l’ensemble des formalités administratives qui lui incombe. En cas de détachement transnational de salariés, le donneur d’ordre joue un rôle de garant et doit s’assurer que l’employeur étranger a effectué la déclaration préalable de détachement et qu’il a désigné un représentant en France. En pratique, le donneur d’ordre ne doit plus demander une copie de la déclaration de détachement SIPSI mais un accusé de réception de cette formalité. Autre modification de forme, la désignation du représentant de l’employeur en France, qui couvre l’intégralité de la période de détachement, est désormais directement intégrée à la déclaration SIPSI. Ainsi, la déclaration de détachement indique notamment les coordonnées électroniques et téléphoniques du représentant ainsi que le lieu de conservation des documents liés au détachement.
En second lieu, le devoir de contrôle du donneur d’ordre est désormais étendu à la vérification du paiement des éventuelles amendes administratives qui ont été notifiées à son co-contractant.
Ainsi, depuis le 1er juillet 2019, il est tenu de vérifier que le prestataire détachant des salariés en France s’est acquitté des éventuelles amendes administratives dont il est débiteur et obtenir une attestation sur l’honneur avec mention du nom, prénom, raison sociale et signature du représentant légal de la société prestataire.
Cette dernière mesure confirme l’alourdissement des sanctions en cas de manquement aux règles du détachement prévu par le législateur en vue de lutter contre le travail illégal.
Des dérogations ont été prévues pour certaines prestations de courte durée
Toutefois, le donneur d’ordre est dispensé de ces vérifications pour les détachements de courtes durées dont la liste a été fixée par l’arrêté du 4 juin 2019. En effet, pour faciliter le détachement pour des prestations de courte durée ou dans le cadre d’événements ponctuels, l’employeur n’a plus à effectuer de déclaration ni à désigner de représentant pour les salariés détachés qui exercent notamment les activités suivantes : artistes, sportifs (lorsque leurs prestations ne durent pas plus de 90 jours sur 12 mois consécutifs), les apprentis en mobilité à l’étranger pour moins de 12 moins consécutifs, les participants à des colloques, séminaires dont les interventions ne durent pas plus de 12 mois consécutifs, etc. Cette dispense n’est toutefois pas applicable au personnel
accompagnant ces manifestations (relevant des équipes de monteurs, de sécurité ou de transport par exemple).
La procédure d’injonction et les pouvoirs de l’inspection du travail en cas de manquement aux règles du détachement ont également été renforcés
L’inspecteur du travail peut désormais informer l’employeur ou son représentant et lui enjoindre de faire cesser le manquement en procédant au paiement des sommes dues. Dans l’hypothèse où le prestataire étranger ne respecterait pas cette injonction en refusant de payer les sommes dues, l’autorité administrative a désormais le pouvoir d’ordonner, au regard de la gravité du manquement, l’interdiction temporaire de la prestation de service pour une durée de deux mois avant le début de l’activité et jusqu’à la régularisation.
De toute évidence, cette procédure d’interdiction temporaire est susceptible d’impacter le donneur d’ordre, impliquant la prolongation du projet en fonction de l’importance des services ciblés par la procédure de suspension. Le donneur d’ordre a ainsi d’autant plus intérêt à contrôler la régularité du détachement des salariés de ses prestataires dès le début de la prestation, puis régulièrement.
Le plafond des sanctions administratives encourues en cas de manquement aux formalités de détachement a été augmenté
Ainsi, en cas de manquement aux formalités de détachement, l’employeur et le donneur d’ordre sont passibles d’une amende de 4 000 euros par salarié concerné, alors qu’auparavant le montant maximum de l’amende encourue était de 2 000 euros. De plus, le non-respect d’une décision de suspension d’activité en cas de non régularisation d’amendes administratives impayées est sanctionné par le prononcé d’une autre amende administrative plafonnée à 10 000 euros par salarié concerné par le manquement.
En conclusion, le donneur d’ordre devra donc être particulièrement vigilant lorsque des salariés étrangers sont détachés par l’un de ses prestataires pour la réalisation de son projet. En effet, les sanctions en cas de non-respect des formalités de détachement et de non-paiement des amendes administratives notifiés à ce titre à l’employeur étranger sont susceptibles d’impacter directement le donneur d’ordre.
Les cas d’allègement des formalités pour le détachement en France de salariés étrangers doivent être envisagés strictement et confirment qu’en principe le co-contractant étranger et le donneur d’ordre doivent être vigilants dès le début de l’exécution d’une prestation de service en France par des salariés étrangers détachés. En effet, l’augmentation du nombre de contrôles et des redressements ainsi que le renforcement des sanctions encourues en cas de fraude au détachement
attestent de la volonté des pouvoirs public de lutter contre le travail illégal en y associant les acteurs économiques français qui ont recours à des salariés étrangers notamment par le biais de détachement transnationaux.
Auteurs
Maïté Ollivier, avocat counsel, droit social
Améla Ardanuy, avocat, droit social
Haiyan Cai, juriste, droit social
Détachement transnational de salariés : le rôle du donneur d’ordre renforcé pour lutter contre le travail illégal – Article paru dans Les Echos Exécutives le 31 juillet 2019
A lire également
Travail dissimulé : tout salarié travaillant en France doit être déclaré en... 30 avril 2019 | CMS FL
Accords d’entreprise : les modalités de validation par référendum sont fixÃ... 24 janvier 2017 | CMS FL
La demande de requalification d’un CDD en CDI et les conséquences financière... 11 octobre 2022 | Pascaline Neymond
La négociation sur la qualité de vie au travail (QVT) : un outil de sortie de ... 6 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Quel impact de la loi climat en droit du travail ? Rappel des principales mesure... 27 octobre 2021 | Pascaline Neymond
TVA : fin programmée de l’exonération de certaines mises à disposition à p... 24 décembre 2015 | CMS FL
Détachements et sous-traitance : le dumping social sur la sellette... 6 mars 2014 | CMS FL
Les risques sociaux dans les opérations atypiques : les enjeux liés aux nouvel... 28 octobre 2022 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?