Le traitement fiscal en France des sociétés en commandite allemande (GmbH & Co. KG) : de nouvelles précisions
Par deux décisions rendues à quelques semaines d’intervalle, le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions concernant le régime fiscal des distributions faites par (ou à) des sociétés en commandite allemandes. Leur portée dépasse cependant le cadre franco-allemand et s’étend également aux sociétés de personnes françaises ou étrangères.
Les spécificités des sociétés en commandite
Les deux affaires impliquent des sociétés en commandite allemande (Kommanditgesellschaft, KG). Celles-ci présentent des caractéristiques similaires à celles de la société en commandite simple (SCS) française, qu’il est utile de rappeler.
On sait que la SCS se caractérise par l’existence de deux catégories d’associés : les commandités qui sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales et qui assurent la direction de l’entreprise, d’une part, et les commanditaires dont la responsabilité est en principe limitée au montant de leur apport, d’autre part.
A cette dualité des associés répond un régime fiscal lui aussi dual : la SCS est soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) à proportion de la participation des commanditaires, alors que les commandités relèvent du régime des sociétés de personnes et sont ainsi soumis personnellement à l’impôt (CGI, art. 206, 4). La SCS peut mettre fin à cette dichotomie en optant pour l’IS, auquel cas elle devient seule redevable de cet impôt sur l’intégralité du résultat (CGI, art. 206, 3).
En Allemagne, la responsabilité des commanditaires est comme en France limitée au montant de leur apport tandis que celle des commandités est illimitée. Il est toutefois fréquent que le commandité soit une société à responsabilité limitée (GmbH), de sorte que la responsabilité de ce dernier est en pratique également limitée. Afin que les tiers aient pleinement connaissance de la limitation (indirecte) de la responsabilité du commandité, la société doit signaler la qualité de son commandité à travers une dénomination spécifique (GmbH & Co. KG). Par ailleurs, les commandités ne sont pas tenus de souscrire au capital de la société, ce qui conduit fréquemment à ce que les commanditaires détiennent l’intégralité des droits aux bénéfices.
Sur le plan fiscal, la société en commandite allemande est totalement transparente et son résultat est intégralement imposable au niveau des associés, y compris pour la fraction du résultat revenant aux commanditaires.
Précisions concernant les distributions réalisées par une GmbH & Co. KG
L’affaire « Masterfoods Holding »1 porte sur le régime fiscal des distributions réalisées par une GmbH & Co. KG en faveur d’une société française qui en est la commanditaire (dividendes « entrants »).
Dans cette affaire, la société française avait considéré que les revenus distribués n’étaient imposables qu’en Allemagne en application de l’article 4(3) de la convention franco-allemande aux termes duquel « les participations d’un associé aux bénéfices d’une entreprise constituée sous forme de société en commandite simple » ne sont imposables que dans l’Etat où cette dernière dispose d’un établissement stable (en l’espèce l’Allemagne).
A l’occasion d’une vérification de comptabilité, l’administration française a toutefois remis en cause cette approche en opérant une distinction entre la réalisation des bénéfices, qui relève de l’article 4(3) de la convention, et leur distribution aux associés, qui entrerait quant à elle dans le champ de l’article 18 de la convention relatif aux revenus innomés.
Confirmant la position des juges du fond, le Conseil d’Etat censure l’approche de l’administration et fait droit à la position de la société. Il juge qu’au regard du seul droit interne, les sommes reçues par une société française en provenance d’une société en commandite simple étrangère entrent dans le bénéfice net imposable à l’IS.
L’imposition prévue par le droit interne ne s’applique cependant que sous réserve de l’application d’une convention fiscale internationale. Or, juge le Conseil d’Etat, le droit d’imposer le résultat des sociétés en commandite simple est intégralement régi par l’article 4(3) de la convention fiscale franco-allemande, y compris au stade de sa distribution effective. La répartition des bénéfices d’une société en commandite de droit allemand, qui est transparente fiscalement, ne constitue ni un dividende au sens de l’article 9 de la convention, ni un autre revenu au sens de l’article 18 de la convention. En l’espèce, seule l’Allemagne avait donc le droit d’imposer le résultat de la société allemande.
Il est à noter que l’article 20(2) de la convention prévoit, pour les revenus visés à l’article 4(3), que la double imposition est éliminée par un crédit d’impôt égal à l’impôt français, ce qui équivaut en pratique à une exonération.
Précisions concernant les distributions réalisées en faveur d’une GmbH & Co. KG
La seconde décision2 concerne la situation, symétrique à la première, des distributions réalisées par une société française en faveur d’une GmbH & Co. KG (dividendes « sortants »).
En l’espèce, le capital de la GmbH & Co. KG était intégralement détenu par son associé commanditaire, lui-même une société en commandite allemande (KG) détenue par des personnes physiques fiscalement domiciliées en Allemagne. En 2008, la filiale française a procédé à une distribution de dividendes qui a été soumise à une retenue à la source en France.
La GmbH & Co. KG a estimé que la retenue à la source était contraire au droit de l’Union européenne, dans la mesure où elle n’y aurait pas été soumise si elle avait été située en France. Elle soutenait notamment que les dividendes versés à une SCS française peuvent bénéficier du régime des sociétés mères, à hauteur des droits du commanditaire, dans la mesure où la société est soumise à l’IS pour cette fraction de son résultat.
Les juges du fond ont rejeté la demande en restitution au motif notamment qu’une société en commandite simple française ne saurait bénéficier du régime des sociétés mères, quand bien même la société serait soumise à l’IS pour la part de résultat du commanditaire.
Le Conseil d’Etat censure cette analyse et juge au contraire que toutes les sociétés ou personnes morales soumises totalement ou partiellement à l’IS entrent dans le champ d’application du régime fiscal des sociétés mères. Tel est notamment le cas des sociétés en commandite simple, pour l’ensemble de leurs bénéfices si elles optent pour l’IS ou, en l’absence d’une telle option, pour la seule part de résultat du commanditaire.
En outre, la Haute Juridiction considère que les juges du fond ont commis une erreur de droit en retenant que l’imposition des dividendes perçus par la requérante par voie de retenue à la source ne pouvait être regardée comme constituant une différence de traitement caractérisant une restriction à la liberté d’établissement sans vérifier l’existence d’une situation déficitaire au regard de la législation de son Etat de résidence, en l’espèce, l’Allemagne. L’arrêt de la cour est donc annulé et l’affaire renvoyée à la cour administrative d’appel de Versailles.
La décision confirme qu’une société en commandite française est éligible au régime des sociétés mères pour la part des commanditaires, même lorsqu’elle n’a pas opté pour l’IS, à hauteur des dividendes qui sont soumis en son chef à cet impôt. Cette solution, en réalité déjà admise par la doctrine administrative3, rejoint celle selon laquelle les SCS peuvent bénéficier du régime spécial des fusions, même lorsqu’elles n’ont pas opté pour l’IS, dès lors qu’elles sont légalement passibles de cet impôt, fût-ce pour une partie seulement de leurs bénéfices4.
Par ailleurs, on remarque que l’administration a spontanément appliqué le taux conventionnel prévu pour les actionnaires personnes physiques, et non le taux applicable aux sociétés mères. Elle semble donc avoir reconnu la transparence fiscale de la GmbH & Co. KG et retenu, pour déterminer les stipulations conventionnelles applicables, l’Etat de résidence des associés ultimes de l’actionnaire étranger, dans l’esprit de la jurisprudence Diebold Courtage5.
Enfin, en exigeant de vérifier l’éventuelle situation déficitaire de la GmbH & Co. KG, le Conseil d’Etat étend le champ de la jurisprudence Sofina6 aux sociétés fiscalement transparentes. Implicitement, il rappelle que toutes les sociétés peuvent invoquer les grandes libertés protégées par le droit de l’Union européenne, indépendamment de leur régime fiscal. A cet égard, on observe d’ailleurs que la possibilité pour les sociétés étrangères déficitaires d’obtenir une restitution temporaire de retenue à la source (CGI, art. 235 quater), introduite par la loi de finances pour 2020, n’est pas réservée aux seules sociétés étrangères soumises à un impôt équivalent à l’IS. Les sociétés étrangères fiscalement transparentes auront donc intérêt, lorsqu’elles réalisent un résultat déficitaire, à faire valoir leur droit à restitution en France.
Article paru dans le magazine Option Finance le 17 février 2020
1CE, 8 novembre 2019, n° 430543, min. c/ Sté Masterfoods Holding SAS.
2CE, 27 nov. 2019, n° 405496, Vorwerk Elektrowerke GmbH & Co. KG.
3BOI-IS-BASE-10-10-10-10-20190703, n° 90.
4CE, 11 avr. 2018, n° 409027, min. c/ Sté GE Medical Systems.
5CE, 13 oct.1999, n° 191191, min. c/ SA Diebold Courtage.
6CJUE, 22 nov. 2018, aff. 575/17 et CE, 27 fév. 2019 n° 398662, Sté Sofina.
Auteurs
François Hellio, avocat associé en fiscalité internationale
Pierre Burg, avocat en fiscalité directe et en fiscalité internationale
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