L’impact des nouvelles lignes directrices de l’OCDE sur l’application du principe de pleine concurrence aux transactions financières
Le rapport final de l’OCDE sur l’application du principe de pleine concurrence aux transactions financières publié le 11 février dernier apporte des précisions essentielles sur le processus de détermination d’un taux d’intérêt de pleine concurrence.
Pour rappel, l’augmentation significative des litiges et contentieux sur ces questions en France est liée aux dispositions de l’article 212 du code général des impôts (« CGI »). Cet article met en effet à la charge des entreprises la preuve du caractère de marché du taux d’intérêt auquel elles empruntent lorsque ce taux est supérieur à celui prévu par l’article 39.1.3 du CGI. Cette difficulté est devenue de plus en plus fréquente en raison, d’une part, de l’explosion des encours intragroupe au cours de ces dernières années et, d’autre part, de la faiblesse du taux de l’article 39.1.3 (environ 1,3 % au titre de 2019).
Le débat actuel avec l’administration porte essentiellement sur les preuves que peuvent apporter les contribuables afin de justifier le caractère de marché du taux appliqué au financement considéré. L’administration a en effet une position extrêmement stricte et rigoureuse à ce sujet. Elle exige le plus souvent une offre ferme émanant d’une banque et rejette de manière quasi-systématique le recours aux benchmarks de taux.
En dépit de l’avis Wheelabrator du Conseil d’Etat en date du 10 juillet 2019, fondamental en ce qu’il rappelle que la preuve peut être apportée par tout moyen et qu’il admet ainsi le recours aux référentiels obligataires, le déroulement actuel des contrôles démontre que des incertitudes demeurent en matière de justification du caractère de marché d’un taux.
Les nouvelles lignes directrices de l’OCDE apportent des précisions essentielles sur le processus de détermination d’un taux d’intérêt de pleine concurrence. L’organisation internationale rappelle notamment que l’analyse d’un financement intragroupe doit nécessairement débuter par la délimitation précise de la transaction. Elle fournit par ailleurs certaines clarifications quant aux modalités de détermination d’un taux de marché, notamment concernant l’évaluation du risque de crédit de l’emprunteur et la recherche de données de pleine concurrence.
La nécessité de délimiter avec précision la transaction financière intragroupe analysée
Une analyse de comparabilité en matière de prix de transfert nécessite de délimiter avec précision les relations entre les entreprises associées et d’analyser les circonstances économiquement significatives qui s’y rattachent.
Au cas particulier des transactions financières, le rapport de l’OCDE (« le Rapport ») précise que cette délimitation doit principalement se fonder sur une analyse (i) des termes et conditions de la transaction (nature, maturité, devise, montant, garanties éventuelles par exemple), (ii) des fonctions exercées par les parties et (iii) des spécificités du marché sur lequel la société emprunteuse évolue dans la mesure où elles peuvent influencer son niveau d’endettement. L’organisation internationale ajoute que la stratégie commerciale du groupe et sa politique de financement doivent également être prises en compte dès lors qu’elles peuvent avoir un effet significatif sur les conditions de la transaction analysée.
L’OCDE rappelle que l’identification des caractéristiques économiquement pertinentes de la transaction financière doit conduire à s’interroger sur l’opportunité pour l’emprunteur de souscrire à l’emprunt et sur celle du prêteur à avancer les fonds, compte tenu des options réalistes à la disposition de chacune des parties (emprunt à des conditions plus favorables ou existence d’investissements alternatifs plus attrayants par exemple). A cet égard, elle n’exclut pas la possibilité de devoir réévaluer cette opportunité en cas d’évolution des circonstances économiques.
Selon l’OCDE, les critères de délimitation doivent également servir à confirmer la réalité économique de l’opération de financement. Le Rapport évoque à ce titre trois principaux éléments. Il précise tout d’abord que si le prêteur ne dispose pas de la capacité à supporter les risques associés à ses activités financières, ou qu’il n’exerce pas les fonctions décisionnelles relatives au financement considéré, il n’aura droit qu’à un rendement limité. Le Rapport semble ensuite ouvrir la porte à une éventuelle requalification du financement intragroupe s’il peut être démontré qu’il n’aurait pas été conclu dans des conditions comparables entre deux parties indépendantes. L’OCDE fournit certains indices pour procéder à ce test, comme la présence ou l’absence d’une date de remboursement, l’obligation de payer des intérêts ou encore le droit pour le prêteur d’exiger à tout moment le paiement du principal et des intérêts. Le Rapport évoque enfin la question d’une structure de financement « de pleine concurrence », à travers un équilibre pertinent entre financement par emprunt et par capitaux propres. L’OCDE laisse toutefois le choix aux Etats d’aborder cette question de manière différente, notamment pour prendre en compte les dispositifs spécifiques de sous-capitalisation adoptés par certains d’entre eux.
Des précisions importantes relatives à l’évaluation du risque de crédit de l’emprunteur et la détermination d’un taux d’intérêt de pleine concurrence
La solvabilité de l’emprunteur est un des facteurs essentiels retenus par les prêteurs indépendants pour déterminer un taux d’intérêt. Dans le cadre d’un financement intragroupe, les contribuables l’évaluent généralement au moyen de modèles de scoring proposés par les agences de notation, ceux-ci permettant d’attribuer une note à l’emprunteur. L’administration fiscale critique généralement la pertinence de ces outils en ce qu’ils ne permettraient pas d’évaluer de manière fiable le risque de crédit de la société emprunteuse, notamment parce qu’ils se fondent principalement sur des facteurs quantitatifs (c.-à -d. des données financières). A ce titre, si le Rapport rappelle l’importance des facteurs quantitatifs, il souligne également l’influence de ceux qualitatifs sur la notation de l’emprunteur (qualité du management ou secteur d’activité par exemple). L’OCDE n’exclut toutefois pas l’utilisation de ces outils mais requiert que le contribuable puisse démontrer la cohérence des résultats obtenus avec ceux qu’auraient pu obtenir des agences de notation indépendantes.
Afin de déterminer le risque de crédit de la société emprunteuse, la question de la prise en compte de l’appartenance à un groupe ou d’une garantie implicite est souvent débattue dans le cadre des contrôles fiscaux. La jurisprudence actuelle du Conseil d’Etat considère que l’appréciation du risque de crédit de l’emprunteur dépend de la capacité du débiteur seul à rembourser sa dette et refuse de présumer que la seule appartenance à un groupe modifie son risque de solvabilité. Même si elle ne fournit aucun élément permettant de la quantifier, l’OCDE précise à cet égard que l’appartenance à un groupe est susceptible d’avoir une influence sur l’évaluation du risque de crédit notamment, lorsqu’en raison de son importance relative, il est probable que la société emprunteuse reçoive un soutien de la part du groupe. L’organisation internationale évoque également certaines situations dans lesquelles une garantie implicite pourrait être prise en compte, notamment lorsque des parties indépendantes en auraient exigé une.
Outre des précisions quant à la détermination du risque de crédit de l’emprunteur, le Rapport évoque également les données pouvant être utilisées afin de déterminer un taux de marché. Compte-tenu du volume de données disponibles dans les bases financières, la méthode généralement appliquée consiste à comparer le taux du financement intragroupe à celui appliqué entre entreprises indépendantes pour des transactions comparables. A cet égard, le Rapport devrait permettre de limiter les débats actuels sur les comparables à utiliser. En effet, l’OCDE confirme la position du Conseil d’Etat dans son avis Wheelabrator sur la possibilité d’utiliser des obligations. Le Rapport admet même l’utilisation de toute transaction alternative aux caractéristiques comparables. Outre les emprunts obligataires, sont notamment visés les prêts, les rémunérations de dépôts, les titres de dette convertible ou encore les billets de trésorerie. Des ajustements de comparabilité peuvent alors être nécessaires pour éliminer les effets des différences entre le prêt intragroupe contrôlé et l’alternative choisie en termes, par exemple, de liquidité, maturité ou d’existence d’une garantie.
Article paru dans le magazine Option Finance le 16 mars 2020
Auteurs
Antoine Faure, avocat counsel en fiscalité internationale
Clément Herr, avocat en fiscalité internationale
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