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Les fiches méthodologiques sur les taux d’intérêt intragroupe : vers une sécurité fiscale accrue ?

Les fiches méthodologiques sur les taux d’intérêt intragroupe : vers une sécurité fiscale accrue ?

Depuis une réforme de 2005, la loi permet aux contribuables de rémunérer un prêt intragroupe au-delà du taux fiscal prévu par l’article 39-1-3 du CGI. Cette opportunité est, en pratique, regardée par l’administration et le juge de façon très restrictive. Les fiches aujourd’hui établies par l’administration sur la méthodologie à suivre pour rapporter la preuve du caractère de marché d’un taux intragroupe étaient donc particulièrement attendues.

A l’occasion de la réforme de 2005 du dispositif de lutte contre la sous-capitalisation, le législateur a permis aux contribuables de rémunérer un prêt intragroupe au-delà du taux de l’article 39-1-3 du CGI (dit « taux fiscal »), pour autant qu’ils rapportent la preuve que cette rémunération correspond à celle qu’ils auraient pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.

Les contribuables y ont vu une opportunité, l’administration fiscale une mesure anti-abus et, assez rapidement les contrôles fiscaux ont permis de mesurer l’approche extrêmement restrictive que retenait l’administration, suivie en cela par la majorité des juges du fond[1].

Face à une situation de blocage, qui ne s’était – en pratique – que faiblement améliorée à la suite de l’avis Wheelabrator[2], des organismes professionnels ont instauré un dialogue avec l’administration pour clarifier les méthodes de justification admises et homogénéiser le traitement de ces questions par les services vérificateurs. La publication de huit fiches méthodologiques est le résultat de ce dialogue.

Ces fiches étaient très attendues par les praticiens et les contribuables. Elles résument la méthodologie que doivent suivre, selon l’administration, les contribuables pour rapporter la preuve du caractère de marché d’un taux d’intérêt intragroupe.

L’administration rappelle tout d’abord que la preuve peut être rapportée par tout moyen, y compris a posteriori, et tant via des comparables internes (prêts consentis au contribuable) qu’externes (prêts consentis à d’autres contribuables présentant un risque de crédit analogue). « A défaut de mieux », la justification du taux d’intérêt intragroupe peut reposer sur l’application de modèles économiques qui tentent d’approcher le taux d’intérêt de pleine concurrence en distinguant différentes composantes (schématiquement, un taux sans risque, auquel on ajoute une prime de risque de crédit et des ajustements). Les avis écrits émanant de banque ne doivent pas être considérés comme apportant la preuve que le principe de pleine concurrence a bien été respecté mais ils peuvent corroborer une analyse.

Passées ces considérations générales, l’administration développe sur plusieurs fiches la question de la comparabilité, tant en ce qui concerne le scoring (i.e., l’établissement du risque de crédit de l’emprunteur), qu’en ce qui concerne les transactions qui peuvent être retenues comme comparables pour justifier du taux d’intérêt.

  1. Le scoring

S’agissant du scoring, et de façon très surprenante, l’administration consacre de longs développements, aux publications méthodologiques des agences de notation, mais ne dit rien, ou presque, des logiciels de scoring.

Sur la méthodologie des agences de notation, l’administration n’attend pas que les contribuables produisent une étude aussi rigoureuse que celle qui aurait été produite par une agence de notation, mais il doit produire un « travail suffisamment rigoureux au regard du critère essentiel que constitue le risque de crédit » tenant compte des principaux critères retenus par une agence de notation et soutenu par « des éléments de justification suffisants ».

L’administration entend par ailleurs accorder une place importante à l’éventuelle garantie implicite prétendument consentie par le groupe, alors que le Conseil d’Etat en a plutôt écarté le principe[3], et que la règle doit rester celle de replacer les entités liées dans des situations de pleine concurrence. Certes, les prises de position récentes de l’OCDE en la matière doivent être intégrées à la réflexion, mais l’Organisation indique elle-même qu’en fonction des circonstances, il y a une forte incertitude quant à l’effectivité du soutien envisagé. Par ailleurs, et à supposer que ce soutien implicite doive être envisagé, il ne paraît être pris en compte par l’administration qu’au travers d’un renforcement de la note de crédit de l’emprunteur, mais il pourrait également jouer en sens inverse, si l’emprunteur a des filiales en difficultés éventuelles, ou s’il est envisagé des distributions significatives à ses associés directs ou indirects ayant pour effet une dégradation des capitaux propres.

Sur les outils de scoring, l’administration précise uniquement que ces derniers « sont à distinguer des publications méthodologiques des agences de notation indépendantes, objets de la présente fiche » et « s’appuient parfois sur des méthodologies sensiblement différentes, à certains égards, de celles employées par les agences de notation indépendantes (…) et il convient de prêter attention à l’impact de ces différences éventuelles ». L’approche retenue par l’administration est assez étonnante dans la mesure où la méthodologie des agences de notation est peu pratiquée par les contribuables en raison de sa complexité et de l’insécurité juridique liée aux nombreux éléments qualitatifs à prendre en compte, contrairement aux logiciels de scoring. Au demeurant, la comparaison entre les résultats rendus par ces logiciels de scoring et des notations données par les agences au terme d’une analyse complète pour les mêmes sociétés démontre un certain alignement ; dans ces conditions, les réticences de l’administration peuvent paraître exagérées, alors que le Conseil d’Etat a lui-même admis que les résultats fournis pas de tels logiciels peuvent être exploités au contentieux[4]…

2. Les comparables

S’agissant des comparables, l’administration consacre plusieurs fiches aux ajustements. Pour elle, sont recevables les ajustements d’application relativement simple et aboutissant à un résultat fiable et très précis (différence de durée assez courte, différence relative à la nature variable ou fixe du taux d’intérêt, ou une différence de devise). D’autres ajustements, documentés mais aboutissant à des résultats un peu moins précis, peuvent être admis, par exemple, un ajustement effectué pour tenir compte d’une différence de durée plus importante ou pour tenir compte d’une subordination réelle. Tout autre ajustement semble a priori non recevable pour l’administration, ce qui est assez insatisfaisant, car on aurait peut-être pu admettre un principe de démonstration a fortiori, lorsque le prêt retenu comme comparable revêt des caractéristiques différentes de celles du prêt intragroupe, mais globalement plus favorables que celles de ce dernier.

Deux hypothèses, courantes en pratique sont également évoquées : celle du prêt consenti au contribuable par une banque tierce, et celle des prêts miroirs. Ces prêts peuvent servir de comparables, sous réserve que l’entreprise justifie de la comparabilité, ce point n’étant qu’imparfaitement développé par l’administration.

Si le principe même du recours à des comparables obligataires a été reconnu par le Conseil d’Etat, l’administration apporte deux précisions intéressantes dans ses fiches. D’une part, il est en général possible d’élargir le panel à des entreprises ne poursuivant pas la même activité ou relevant d’autres secteurs que celui de l’entreprise emprunteuse, « en particulier dans les situations où un critère de recherche plus restrictif conduirait à un panel très restreint, dès lors que le critère de la notation est respecté avec précision par le panel retenu ». D’autre part, une émission qui ne porterait pas sur un montant comparable à celui de l’emprunt intragroupe ne devrait pas être exclue du panel pour ce seul motif.

  1. Portée des fiches

La portée exacte de ces fiches, qui n’ont pas été publiées au BOFiP, est encore à définir, et en particulier leur opposabilité à l’administration. De fait, cette dernière recourt de plus en plus à des canaux non traditionnels de communication de sa doctrine : cartes des pratiques et montages abusifs, FAQ pour les mesures COVID, communiqués de presse, et donc, fiches pour la justification des taux d’intérêt. Dans une chronique[5], le magistrat Benoît Bohnert indiquait que si une FAQ révèle par elle-même une décision de l’administration ou une interprétation de la loi, elle devrait être regardée comme comportant des énonciations impératives à caractère général et ses dispositions seraient opposables[6]. Ce critère pourrait vraisemblablement être étendu aux énonciations des fiches.

L’administration indique pour sa part qu’elles ont vocation à être appliquées dans les contrôles et instances en cours, ce qui suggère qu’elle les considère comme étant opposables. Mais elle précise que « ces fiches doivent être prises ensemble et non isolément, et ne prétendent pas à l’exhaustivité ». La portée exacte de ces fiches pour l’administration n’est donc pas forcément limpide, même si des principes énoncés dans une fiche et non contredits dans une autre devraient à notre sens être pleinement opposables, ce qui renforcerait la sécurité fiscale en cas de contrôle.

En conclusion, on relèvera que si les fiches se contentent principalement d’entériner un certain nombre de solutions favorables aux contribuables déjà rendues par les juridictions administratives, elles traduisent un effort louable de pédagogie, notamment à destination de certains services vérificateurs particulièrement inflexibles.

Article paru dans Option Finance le 15/03/2021

[1] Pour une synthèse de la jurisprudence rendue, voir notamment « Emprunts intragroupes : la preuve du taux de marché enfin possible ? », par Alexia CAYREL et Thomas LOUVEL, Option finance du 18 janvier 2021.

[2] CE, avis, 10 juillet 2019, n° 429426 et n° 429428, Wheelabrator Group SAS.

[3] CE, 19 juin 2017, n°392543, 392544 et 392545, Stés General Electric France et General Electric Capital ; CE, 18 mars 2019, n°411189, SNC Siblu.

[4] CE, 11 décembre 2020, n° 433723, SA BSA.

[5]   CE, 17 mai 2017, n° 404270, Lacquemant.

[6]   Benoit Bonhert, « Une foire aux questions peut-elle faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ? », FR 27/17.

Auteurs

Jean-Charles Benois, Avocat associé en droit fiscal

Benoît Fournier, Avocat en banque & finance