Elections professionnelles et représentation équilibrée femmes-hommes : l’exigence se limite aux listes syndicales

31 mars 2021
Au fil des récents arrêts rendus par la Cour Suprême, les contours de l’exigence de représentation équilibrée des femmes et des hommes lors des élections professionnelles issue de l’article L.2314-30 du Code du travail, apparaissent de plus en plus nets.
Par une décision récente (Cass. Soc., 25 novembre 2020, n°19-60.222), la Cour de cassation restreint la règle de la représentation équilibrée aux seules listes syndicales et considère que les dispositions de l’article susvisé, éclairées par les travaux parlementaires, ne s’appliquent pas aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles.
Représentation équilibrée des hommes et des femmes
Les principes gouvernant la présentation des listes de candidats lors des élections professionnelles sont les suivants : au premier tour, les syndicats intéressés ont le monopole des candidatures ; au second tour, les candidatures sont libres.
Pour augmenter le taux de féminisation et rétablir un équilibre, le législateur est intervenu à de nombreuses reprises et notamment par la loi Rebsamen n°2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, reprise et modifiée par l’ordonnance du 22 septembre 2017.
Le principe de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans la composition des listes électorales s’applique aux listes de candidats présentées dans le cadre des élections du comité social et économique.
L’article L.2314-30 du Code du travail impose en pratique :
-
- pour chaque collège électoral, que les listes de candidats soient composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale ;
-
- une obligation d’alterner les candidatures des deux sexes sur les listes jusqu’à l’épuisement des candidatures d’un des sexes.
Une telle règle rend naturellement plus épineuse l’étape de l’élaboration des listes de candidats.
La jurisprudence s’est rapidement densifiée pour clarifier l’application de ces règles s’agissant des conditions de validité des listes de candidats constituées dans le respect de l’obligation de proportionnalité.
La représentation équilibrée réservée aux seules listes syndicales
Le domaine d’application de la représentation équilibrée des femmes et des hommes lors des élections professionnelles semblait devoir être conçu de manière large en intégrant les candidatures libres pouvant être présentées au second tour éventuel des élections professionnelles.
En effet, la lettre de l’article L.2314-29, auquel renvoie l’article L.2314-30, ne fait aucune distinction selon que les listes sont présentées ou non par des organisations syndicales, ni selon qu’il s’agit du premier ou du second tour.
L’arrêt cité plus haut poursuit le mouvement d’éclaircissement jurisprudentiel en tranchant la question sensible du champ d’application du dispositif.
Dans la présente affaire, une entreprise avait procédé à l’organisation du second tour des élections professionnelles, le premier tour ayant donné lieu à procès-verbal de carence à défaut de quorum. Une liste de candidats libres constituée de trois hommes était alors déposée, le collège concerné comprenant 13,36 % de femmes et de 86,61 % d’hommes.
Les trois candidats avaient été élus. Un syndicat a demandé l’annulation des deux derniers membres élus obtenus par cette liste au motif que celle-ci n’était pas conforme aux règles de représentation équilibrée des femmes et des hommes.
Compte tenu de la finalité du texte (garantir une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les instances représentatives du personnel) et de sa rédaction (ne distinguant pas entre les listes de candidats présentées par les syndicats et celles déposées par des candidats libres), on aurait pu s’attendre à ce que le tribunal d’instance fasse droit à sa demande.
Toutefois, le Tribunal d’instance , approuvé par la Cour de cassation, juge que la liste de candidats est régulière.
Une interprétation à la lumière des travaux préparatoires
Dans cet arrêt du 25 novembre 2020, publié au bulletin, la Cour de cassation relève que « les dispositions de l’article L.2314-30, éclairées par les travaux parlementaires, s’appliquent aux organisations syndicales qui doivent, au premier tour pour lequel elles bénéficient du monopole de présentation des listes de candidats et, par suite, au second tour, constituer des listes qui respectent la représentation équilibrée des femmes et des hommes. Elles ne s’appliquent donc pas aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles ».
Les Hauts magistrats restreignent donc les règles de la proportionnalité et considèrent ainsi que l’obligation de représentation équilibrée et d’alternance n’est opposable qu’aux seules organisations syndicales, un peu comme une contrepartie de l’exclusivité dont elles disposent s’agissant de la présentation de listes électorales au premier tour. Les listes de candidatures libres présentées à l’occasion du second tour ne sont donc pas tenues de respecter ces règles..
Une interprétation contra legem ?
Ce faisant, la Cour de cassation a préféré recourir à une interprétation « éclairée par les travaux parlementaires » plutôt qu’à une interprétation littérale du texte.
Les hauts magistrats ont en effet déplacé le débat en dehors du dispositif légal et exclu les candidatures libres de l’exigence légale en matière de représentation équilibrée lors des élections professionnelles.
Si la solution peut sembler pragmatique notamment au regard de la difficulté d’appliquer la règle de la représentation mixte (en particulier pour la confection des listes libres), on ne peut que regretter que la solution adoptée par la Cour de cassation aboutisse à priver de résonance et d’efficacité le dispositif légal de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes.
Article publié dans Les Echos du 31/03/2021.Â
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