Procédure de licenciement et entretien préalable : la tenue à distance peut être possible
19 janvier 2021
La crise sanitaire, les différents confinements et le recours massif au télétravail ont inévitablement entrainé le recours par l’employeur aux nouveaux moyens de communication pour la tenue de réunions légalement obligatoires. Si le Gouvernement a adopté des Ordonnances pour fonder le recours à la visioconférence, voire à la téléconférence, en matière de réunion du comité social et économique (CSE), la question de la tenue de l’entretien préalable n’a pas été expressément réglée par les textes. La cour d’appel de Versailles (1) a toutefois récemment validé, sous certaines conditions, le recours à la téléconférence dans le contexte d’une procédure de licenciement.
Une jurisprudence encore incertaine
L’entretien préalable a un éventuel licenciement, dont la tenue est obligatoire (2), permet à l’employeur d’indiquer les motifs de la décision envisagée et au salarié de faire valoir ses explications (art. L.1232-3 du Code du travail).
Aucune disposition du Code du travail n’impose une rencontre physique entre l’employeur et le salarié. Cela semble toutefois se déduire de l’article R. 1232-1 du Code du travail, lequel prévoit que la lettre de convocation à l’entretien préalable doit préciser « le lieu de cet entretien ».
Il y a maintenant 30 ans, la Cour de cassation a eu l’occasion de considérer, dans un arrêt non-publié, qu’une conversation téléphonique ne pouvait pas valoir entretien préalable au licenciement (Cass. soc., 14 novembre 1991, n°90-44.195). Cette décision semble toutefois aujourd’hui désuète face à l’essor des moyens de télécommunication en entreprise.
De leur côté, les juges du fond ont adopté des positions discordantes. Si la cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 11 mai 2016, a considéré que l’employeur n’avait commis aucun manquement en acceptant de mener l’entretien préalable par visioconférence, plus nombreuses sont les décisions s’opposant à un tel procédé notamment en l’absence d’accord de la part du salarié (CAA Bordeaux, 18 décembre 2017, n°16BX00818 et, bien plus récemment, CA Grenoble, 7 janvier 2020, n°17/02442).
La tenue de l’entretien préalable à distance validée par la cour d’appel de Versailles
Dans l’espèce ici commentée, une procédure de licenciement a été engagée, au début de l’année 2016, à l’encontre d’une salariée expatriée à Dubaï. L’employeur se situant à Cergy-Pontoise et la personne assistant la salariée étant en congés, l’entretien préalable avait été organisé par téléphone. La salariée soutenait, en vain, que compte tenu de l’utilisation de ce procédé, elle n’avait pas été en mesure de se défendre utilement lors de l’entretien préalable.
Dans sa décision du 4 juin 2020, la cour d’appel de Versailles considère que « s’il est de principe que l’entretien se tienne en présence physique des parties, les circonstances de l’espèce […] expliquent la décision de l’employeur de recourir à un entretien à distance via une téléconférence ».
Ainsi, pour la Cour d’appel, l’éloignement géographique de chacun des participants, du fait notamment du statut d’expatriée de la salariée dont le licenciement était envisagé, justifiait qu’il soit fait exception à la règle de la rencontre physique entre l’employeur et le salarié.
Ces circonstances ne sont toutefois pas suffisantes. Encore faut-il que les droits de la défense du salarié soient préservés, ce qui était le cas en l’espèce. Il ressortait, en effet, du compte rendu de l’entretien préalable que celui-ci avait duré une heure, que l’employeur et la personne assistant la salariée s’étaient exprimés, la salariée ayant indiqué « qu’elle ne souhaitait pas intervenir ». En conséquence, la tenue de l’entretien préalable par téléconférence n’avait aucunement été préjudiciable à la salariée, dont le licenciement avait été prononcé quelques jours plus tard.
L’entretien préalable à distance légitimé en période de crise sanitaire ?
La décision rendue par la cour d’appel de Versailles conduit inévitablement à s’interroger sur la régularité de l’organisation de l’entretien préalable à distance dans le contexte de la crise sanitaire. En effet, les confinements imposés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, ainsi que le recours massif au télétravail, ont contraint un grand nombre d’employeurs à organiser la tenue d’entretien préalable à distance.
Dans une note non publiée, la Direction générale du travail (DGT) avait admis, sous certaines conditions, le recours à la visioconférence pendant la période qui s’est écoulée entre le 12 mars et le 10 mai 2020.
Ouvrant la voie à l’organisation de l’entretien préalable à distance en cas de circonstances particulières dues à l’éloignement géographique des participants, la décision de la cour d’appel de Versailles confirme, à notre sens, la régularité de ce procédé lors de la période de crise sanitaire.
Les conditions de validité de l’entretien préalable à distance
Malgré la position administrative et l’arrêt de la cour d’appel de Versailles, tant que la Cour de cassation ne se sera pas prononcée sur le sujet, la prudence doit rester de mise en matière d’entretien préalable à distance.
Outre le fait que cette option ne doit être envisagée que dans des circonstances exceptionnelles, il est recommandé de :
-
- privilégier l’utilisation de la visioconférence à l’entretien téléphonique, ce procédé permettant de s’assurer de l’identité des interlocuteurs participant à l’entretien préalable ;
-
- s’assurer que les moyens techniques à disposition des participants, c’est-à-dire de l’employeur, du salarié, mais également de la personne qui est susceptible de l’assister, leur permettent effectivement d’accéder à la visioconférence et de s’exprimer ;
-
- garantir la confidentialité des échanges ;
-
- solliciter l’accord du salarié ou, à tout le moins, s’assurer qu’il ne s’oppose pas à cette modalité.
Un éclairage de la Cour de cassation sera naturellement le bienvenu pour affiner les conditions de validité et d’organisation de tels entretiens.
(1) CA Versailles, 4 juin 2020, n°17/04940
(2) Sauf licenciement économique collectif de plus de 9 salariés.
Article paru dans Les Echos le 19/01/2021
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