Télétravail : une nouvelle forme d’organisation du travail pour les entreprises ?
4 janvier 2021
Le télétravail a connu un essor considérable dans les entreprises en 2020
Le télétravail en chiffres
En 2017, la France se situait largement en retrait des autres pays européens s’agissant du recours au télétravail : seuls 3 % des salariés français pratiquaient alors un télétravail régulier – dont 61 % de cadres[1]- contre 12 % de salariés en Allemagne, 27 % au Royaume Uni et 37 % en Suède, avec une forte disparité entre le nord et le sud de l’Europe[2].
Expressément recommandé par le Gouvernement comme l’une des mesures permettant de lutter efficacement contre le Covid-19, le télétravail a connu un essor considérable dans les entreprises entre mars et juin 2020, période durant laquelle il a concerné près de cinq millions de salariés, soit plus d’un actif sur quatre.
Après la sortie du premier confinement, si de nombreuses entreprises ont continué à pratiquer le télétravail à titre de mesure de prévention, force est de constater que ce mode d’organisation du travail a connu un recul considérable dans les mois qui ont suivi puisqu’il ne concernait plus que 12 % des salariés contre 27 % pendant la période de confinement, soit une chute du télétravail de 44 %[3].
Cette diminution du recours au télétravail a coïncidé avec la modification des recommandations des protocoles sanitaires régulièrement publiés par le ministère du Travail.
Après avoir indiqué que « le télétravail doit être mis en place chaque fois que c’est possible », les protocoles suivants et notamment celui publié le 31 août dernier, indiquaient que « le télétravail reste une pratique recommandée en ce qu’il participe à la démarche de prévention du risque d’infection au SARS-CoV-2 et permet de limiter l’affluence dans les transports en commun ». Le télétravail n’était donc plus la norme.
Le rebond de l’épidémie et la décision du Gouvernement de reconfiner la population pour la période du 30 octobre au 14 décembre 2020 s’est accompagné de nouvelles recommandations gouvernementales faisant à nouveau du télétravail, la première mesure de prévention de l’épidémie.
C’est ainsi que le nouveau protocole pour assurer la santé et la sécurité des salariés indique désormais que
« dans les circonstances exceptionnelles actuelles, liées à la menace de l’épidémie, il doit être la règle pour l’ensemble des activités qui le permettent. Dans ce cadre, le temps de travail effectué en télétravail est porté à 100% pour les salariés qui peuvent effectuer l’ensemble de leurs tâches à distance ».
Dans un tel contexte, les chiffres du télétravail ont à nouveau grimpé. Selon une enquête réalisée à la demande du ministère du Travail du 2 au 8 novembre 2020, 45 % des salariés étaient en télétravail, dont 23 % à temps complet[4].
Pratiqué à grande échelle – en particulier les grandes entreprises – durant toute la crise sanitaire, le télétravail régulier devrait connaître un essor sans précédent dans les prochaines années.
Un cadre juridique récemment réformé
Initié par l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 qui a, pour la première fois, donné un cadre au télétravail (mise en place par avenant au contrat de travail, prise en charge des frais professionnels, obligation pour l’employeur de fournir les outils nécessaires au télétravail, réversibilité, période probatoire, etc.), l’encadrement juridique du télétravail s’est poursuivi avec la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 – dite loi Warsmann – qui lui a consacré dans le Code du travail une nouvelle section.
Reprenant pour l’essentiel les stipulations de l’ANI de 2005, cette loi, tirant les enseignements de la crise sanitaire liée à l’épidémie de H1N1 en 2009, a également créé dans le Code du travail, un article L. 1222-11 aux termes duquel « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail pour permettre la continuité de l’entreprise et garantir la protection des salariés », ce qui dispense l’employeur de requérir l’accord du salarié.
Mais cette législation ne concernait que le télétravail régulier, laissant de côté le télétravail occasionnel pourtant plus répandu. L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, modifiée par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 qui l’a ratifiée, a de nouveau modifié le cadre juridique du télétravail pour appréhender toutes les formes de télétravail.
Elle a, également, fixé les modalités de mise en place du télétravail qui doit se faire par accord collectif ou, à défaut, dans une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique dont le contenu a été précisé (conditions de passage en télétravail, modalités d’acceptation par le salarié, modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail, détermination des plages horaires auxquelles le salarié peut être contacté, modalités d’accès des salariés handicapés à une organisation en télétravail).
Dans les entreprises dotées d’organisations syndicales représentatives, l’élaboration d’une charte doit nécessairement être précédée d’une tentative de négociation. Enfin, en présence d’un accord ou d’une charte, l’employeur doit motiver son refus d’accorder le télétravail à un salarié qui remplit les conditions pour en bénéficier.
En l’absence d’accord ou de charte, employeur et salarié peuvent toujours convenir de recourir au télétravail en formalisant leur accord par tout moyen. Dans un tel cas, le refus de l’employeur ne doit être motivé que si la demande émane d’un salarié handicapé ou d’un proche aidant.
Il est également précisé que les télétravailleurs ont les mêmes droits que les salariés qui exécutent leur travail dans les locaux de l’entreprise. Outre ses obligations de droit commun à l’égard de ces salariés, l’employeur est tenu de les informer de toute restriction à l’usage d’équipements, outils informatiques ou services de communication, de leur donner une priorité d’accès à un poste sans télétravail et d’organiser chaque année avec eux un entretien sur leurs conditions d’activité et leur charge de travail.
De plus, l’ordonnance du 22 septembre 2017 est venue préciser que l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle est présumé être un accident du travail au sens de l’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale.
En revanche, les dispositions légales qui imposaient la formalisation du télétravail par un avenant au contrat de travail ainsi que la prise en charge par l’employeur des frais professionnels exposés par le télétravailleur ont été supprimées. Ces obligations subsistaient toutefois pour les entreprises entrant dans le champ d’application de l’ANI du 19 juillet 2005 qui prévoyait expressément ces obligations.
Or, si le nouvel ANI pour une mise en œuvre réussie du télétravail – auquel sont parvenus les partenaires sociaux le 26 novembre dernier – a supprimé l’exigence d’un avenant au contrat de travail pour y substituer « une formalisation de leur accord par tout moyen » et de préférence par écrit, il a maintenu l’obligation de prise en charge des frais afférents au télétravail par l’employeur. Certes les entreprises pourraient conclure un accord à leur niveau pour écarter cette dernière disposition. Néanmoins, l’intérêt de conclure un tel accord doit être relativisé.
En effet, si l’obligation de prise en charge des frais professionnels ne figure plus formellement dans le Code du travail, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une obligation générale de l’employeur selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation[5].
La crise sanitaire qui s’est traduite par un confinement total de la population, annoncé le lundi soir pour le mardi midi et qui a duré près de deux mois, a profondément bouleversé ce cadre juridique.
Le télétravail à l’épreuve du confinement
Le développement de l’épidémie, la décision du Gouvernement de recourir, à deux reprises, au confinement de la population et la quasi-obligation faite aux entreprises de recourir à ce mode d’organisation du travail a conduit toutes les entreprises dont l’activité le permettait, à mettre en place le télétravail – dans des conditions parfois rocambolesques – afin d’assurer la continuité de leur activité.
Compte tenu de l’urgence, les entreprises se sont affranchies de toutes les règles posées par le Code du travail qui encadrent habituellement la mise en place du télétravail. Dispensées de demander l’accord du salarié en application de l’article L.1222-11 précité, les entreprises ont massivement mis en place le télétravail pendant toute la durée du confinement, parfois sans accord collectif et sans charte.
De même, les employeurs se sont abstenus de procéder à toutes les vérifications (conformité électrique, assurance, etc.) et d’appliquer toutes les mesures (période probatoire, réversibilité) prévues tant par l’ANI du 19 juillet 2005 sur le télétravail que, le cas échéant, par les accords ou les chartes déjà en vigueur dans l’entreprise.
De même, la consultation préalable du comité social et économique (CSE), pourtant requise en l’absence d’accord collectif pour mettre en place ce mode d’organisation du travail a, elle aussi, souvent été omise.
Ce télétravail contraint, destiné à faire face à une situation d’urgence, constitue un télétravail « en mode dégradé » dans la mesure où il a été mis en place à la hâte pour permettre aux entreprises d’assurer la poursuite de leur activité sans pour autant disposer de leurs ressources habituelles. Cette contrainte a été forte pour les entreprises, en particulier pour celles qui ne pratiquaient pas le télétravail puisqu’elles ont été obligées de doter rapidement leurs salariés des outils nécessaires à la poursuite de l’activité à distance.
Elle a également été très forte pour les salariés dont beaucoup ont été obligés de concilier la poursuite de leur activité à distance avec leur contraintes familiales – compte tenu de la nécessité d’assurer parallèlement la garde des enfants et la poursuite de l’école à la maison – et personnelles, selon qu’ils disposent ou non d’une pièce dédiée au travail à leur domicile, d’une connexion Internet de qualité, d’une formation suffisante à l’utilisation des outils numériques et de connexion à distance.
Malgré ces contraintes parfois extrêmes, un constat s’impose : le télétravail, ça marche. Toutes les entreprises dont l’activité permettait le télétravail, même celles qui ne le pratiquaient pas auparavant, ont été capables de s’adapter en urgence pour fournir à leurs salariés les outils nécessaires à la poursuite de leur activité.
Parallèlement, il semble que ce télétravail, pourtant contraint et confiné, n’ait eu qu’un impact négatif minime sur la productivité des salariés – 1% de perte de productivité en partie explicable par le fait que beaucoup d’entre eux devaient concilier leur activité professionnelle avec leurs contraintes familiales[6].
Cependant l’incidence du télétravail sur la productivité doit être différencié selon les secteurs d’activité. En effet, si « la productivité peut augmenter avec le télétravail pour les tâches individuelles, à fort contenu intellectuel, en revanche, les fonctions créatives et celles qui nécessitent de travailler en équipe peuvent pâtir de la mise en place du télétravail »[7].
Enfin, cette expérience du télétravail menée à marche forcée a contribué à faire tomber dans les directions d’entreprise les freins psychologiques relatifs au télétravail. Ce constat doit, tout de même, être nuancé, certaines entreprises restant très attachées au présentiel et ayant fait revenir tous leurs salariés sur site dès le 11 mai 2020[8].
Ce mode d’organisation a, en revanche, été largement plébiscité par les salariés puisque près de deux tiers de ceux qui sont éligibles à ce mode d’organisation du travail souhaitent aujourd’hui pouvoir continuer à travailler sous cette forme de manière régulière ou occasionnelle[9].
Quels enseignements pour l’avenir ?
Le télétravail intensif, généralisé et à plein temps de ces derniers mois, a constitué un laboratoire grandeur nature de ce que pourrait être une société dans laquelle le travail à distance occuperait une place prépondérante. Il en a montré les avantages mais aussi les contraintes.
L’heure est donc désormais au bilan et à la réflexion sur les conditions à réunir pour que ce mode d’organisation du travail permette de concilier efficacité économique et aspirations des salariés.
C’est à cette tâche que se sont d’ailleurs attelés, dès le mois de juin, les partenaires sociaux au niveau national et interprofessionnel qui ont dressé un diagnostic paritaire relatif au télétravail pour tirer les enseignements de cette expérience inédite[10].
D’une manière générale, la plupart des auteurs et des spécialistes du télétravail s’accordent à reconnaitre que la généralisation du travail à distance suppose que tous les enjeux de ce mode d’organisation – mis en lumière au cours de la période récente – aient été appréhendés. Ces enjeux sont de plusieurs ordre.
Un enjeu juridique tout d’abord
Le télétravail contraint de ces derniers mois n’a rien à voir avec le télétravail régulier qui fait l’objet d’un accord entre l’employeur et le salarié. Or, à l’exception du consentement du salarié, l’ensemble des règles juridiques du télétravail de droit commun a vocation à s’appliquer au télétravail en situation exceptionnelle.
Il devrait en être ainsi notamment de l’obligation de prendre en charge les frais professionnels exposés par les salariés. Ainsi, dans la mesure où il ne peut être exclu qu’une telle situation se reproduise à l’avenir, on pourrait envisager que le régime du télétravail de crise fasse l’objet de dispositions spécifiques distinctes du droit commun.
A cet égard, il serait notamment souhaitable que soient précisées les conditions permettant de mobiliser ce dispositif sans l’accord du salarié. En effet, l’appréciation de l’imminence « d’une menace épidémique » permettant d’imposer le télétravail ne peut être laissée à la seule appréciation de l’employeur sans placer celui-ci dans une situation d’insécurité juridique.
A côté de cette distinction entre le télétravail destiné à répondre à une situation d’urgence sanitaire et le télétravail de droit commun, il pourrait être envisagé d’opérer également une distinction selon que le télétravail est mis en place à la demande du salarié ou de l’employeur.
Il semble en effet discutable de faire supporter à l’employeur des obligations et, en particulier celle de prendre en charge les frais professionnels, lorsque la mise en place du télétravail répond à la seule volonté exprimée par le salarié dans le but d’assurer une meilleure articulation de ses temps de vie[11].
Plus largement, c’est aujourd’hui l’ensemble des dispositions du Code du travail, et notamment celles qui concernent l’hygiène et la sécurité, lesquelles ont vocation à s’appliquer au domicile du salarié en télétravail, ce qui pour beaucoup d’entre elles peut s’avérer impossible voire absurde[12].
Le développement du télétravail suppose donc qu’il existe un cadre juridique adapté, permettant à l’employeur et au salarié de bénéficier d’une réelle flexibilité, loin des postures actuelles de certaines organisations syndicales (CGT, FO) qui plaident pour la définition « d’un cadre régulateur renvoyant à des négociations de branche et d’entreprises[13] ».
D’autant plus que le cadre juridique existant doit permettre d’éviter les dérives en ce qu’il reconnait comme accident du travail l’accident survenu au lieu où est exercé le télétravail, institue un droit à la déconnexion du salarié et prévoit l’organisation chaque année d’un entretien portant sur ses conditions d’activité et sa charge de travail.
C’est d’ailleurs parce qu’elles considéraient que le corpus juridique actuel suffisait à encadrer le télétravail que les organisations nationales interprofessionnelles ont hésité dans un premier temps à s’engager dans une négociation interprofessionnelle.
L’ANI du 26 novembre 2020 pour une mise en œuvre réussie du télétravail – qui modifie certaines stipulations de l’ANI du 19 juillet 2005 – auquel sont parvenus patronat et syndicats, est le reflet de ce souhait de ne pas alourdir le cadre juridique du télétravail.
A vocation plus pédagogique que normative, cet accord rappelle que « c’est au niveau de l’entreprise que les modalités précises de mise en œuvre du télétravail sont définies » et que l’accord a principalement « pour objet d’expliciter l’environnement juridique applicable au télétravail et de proposer aux acteurs sociaux dans l’entreprise et dans les branches professionnelles un outil d’aide au dialogue social et un appui à la négociation leur permettant de favoriser une mise en œuvre réussie du télétravail ».
Portant aussi bien sur le télétravail régulier que sur le télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure, l’accord traite différents domaines qui doivent constituer autant de points de vigilance pour les négociateurs (mise en place et organisation du télétravail, accompagnement des collaborateurs et des managers, continuité du dialogue social de proximité en situation de télétravail).
Certaines stipulations comportent néanmoins une portée normative (période d’adaptation, réversibilité, formation aux outils, etc.), en particulier l’obligation pour l’employeur de prendre en charge les frais professionnels liés au télétravail, qu’il s’agisse d’un télétravail régulier ou d’un télétravail en circonstances exceptionnelles.
Un enjeu organisationnel et managérial
Le développement du travail à distance doit amener les entreprises à revoir leurs organisations. En effet, si la crise sanitaire a brusquement fait basculer toutes les entreprises, même les plus rétives, dans l’ère du digital, ce passage s’est fait dans l’urgence et souvent de manière improvisée. La pérennisation de ce mode d’organisation du travail dans l’entreprise passe par la mise en place d’outils de communication communs, fiables et efficaces permettant la poursuite d’un travail collaboratif dans des conditions assurant la sécurité des données et le respect des règles de confidentialité.
En outre, les lieux d’exécution de ce télétravail qui sont le plus souvent le domicile du salarié mais qui peuvent être d’autres lieux (résidence secondaire, espace de co-working, etc.) doivent également être clairement identifiés par les partenaires sociaux ou l’entreprise lors de l’élaboration de leurs accords ou de leurs chartes pour éviter que la responsabilité de l’entreprise puisse être engagée pour non-conformité électrique ou pour défaut d’assurance responsabilité civile couvrant le lieu d’exécution du travail[14].
S’agissant de la protection de la santé et de la sécurité au travail des télétravailleurs, l’ANI souligne « qu’il doit être tenu compte du fait que l’employeur ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée ». Il insiste sur l’importance de prendre en compte le télétravail dans l’évaluation des risques professionnels, et notamment « les risques liés à l’éloignement » de la communauté de travail et à « la régulation de l’usage des outils numériques ».
Par ailleurs, le passage d’un traditionnel travail en présentiel à un travail à distance suppose nécessairement l’existence d’une relation de confiance entre l’employeur et le salarié qui doit faire preuve d’une autonomie et d’un sens des responsabilités suffisants, comme le rappelle d’ailleurs l’ANI du 26 novembre 2020.
A cet égard, le développement du télétravail pourrait être l’occasion de faire évoluer des organisations, traditionnellement centrées sur la durée du travail depuis l’ère industrielle, vers des organisations axées sur la réalisation, par le salarié, des missions confiées.
En outre, certains pointent du doigt l’impact possible du télétravail sur la cohésion de la « communauté » ou du « collectif de travail », en raison, notamment, de la perte du sentiment d’appartenance à l’entreprise des télétravailleurs et du fossé susceptible de se creuser entre ces derniers et les salariés dont le poste n’est pas télé-travaillable et qui ne bénéficient pas de ce fait d’une organisation permettant une meilleure articulation des temps de vie[15].
Plus généralement, le développement du télétravail est susceptible d’avoir des incidences sur la réalité du lien de subordination du fait de l’autonomie et de la délégation de responsabilité dont bénéficie le télétravailleur. Or, comme le rappelle l’ANI, le lien de subordination constitue la pierre angulaire du contrat de travail qui suppose que le travail soit réalisé sous la direction et le contrôle de l’employeur.
Ce risque de délitement est notamment appréhendé par les partenaires sociaux dans le diagnostic paritaire relatif au télétravail, lesquels préconisent une évolution et un renforcement du rôle du management et notamment du management intermédiaire pour s’assurer du maintien de ce lien.
Par ailleurs, le recours au management pour veiller à la poursuite d’un travail collaboratif est d’autant plus important que le télétravail, lorsqu’il est généralisé à temps plein – comme il l’a été durant le confinement – a montré qu’il était susceptible de créer un sentiment d’isolement du salarié et de perte de sens du travail. Les entreprises doivent donc rechercher le bon équilibre entre le travail sur site et le travail à distance[16], et nombreux sont ceux qui doutent de la faisabilité et de l’intérêt d’un travail qui serait réalisé à 100% en télétravail[17].
En tout état de cause et quelle que soit l’importance chiffrée du télétravail mis en place par l’entreprise, les modes de management vont devoir s’adapter pour trouver de nouveaux moyens de conserver le lien avec les équipes tout en évitant les intrusions dans leur vie personnelle.
A cet égard, l’ANI préconise de prévenir l’isolement en permettant au « salarié en télétravail d’alerter son manager de son éventuel sentiment d’isolement, afin que ce dernier puisse proposer des solutions pour y remédier ».
Quels gains pour les entreprises ?
Le télétravail constitue un moyen pour les entreprises d’accroître leur compétitivité et leur productivité, d’acquérir plus de flexibilité, de limiter leur empreinte carbone et de réduire leurs coûts de production, notamment leurs coûts immobiliers souvent très élevés.
En outre, selon certaines études, la mise en place du télétravail au sein de l’entreprise renforce la fidélisation des salariés et son attractivité auprès des candidats et, en particulier, des jeunes.
Néanmoins, les entreprises doivent garder à l’esprit, qu’elle peut également être source d’une double fracture sociale :
-
- d’une part, entre ceux dont les fonctions permettent le télétravail (majoritairement les cadres) et les autres (ouvriers ou employés) – qui ont davantage subi l’activité partielle et les pertes de revenus subséquentes ;
-
- d’autre part, entre les « digital natives » et « immigrants numériques »[18] – qui ont davantage besoin d’une éducation numérique.
On le voit, au-delà d’un cadre légal adapté au développement du télétravail, l’ensemble de ces paramètres doivent être appréhendés par les entreprises candidates à la mise en œuvre de ce mode d’organisation, pour que la mise en place du télétravail constitue une expérience réussie tant du point de vue des salariés que de celui des entreprises.
[1] Etude Dares 2019, « quels sont les salariés concernés par le télétravail ? ». Si l’on ajoute les chiffres du télétravail occasionnel, le télétravail concerne 1,8 million de salariés, soit 7% des salariés.
[2] « A travers l’Europe, la révolution du travail », Eric Albert, et al., Le Monde, 24 août 2020.
[3] Sondage Yougov, août 2020
[4] L’activité professionnelle des français pendant le confinement, semaine du 2 au 8 novembre 2020, Harris interactive pour le Ministère du travail
[5] Cass. soc., 25 mars 2010, n°08-43.156 ; Cass. soc. 12 décembre 2012, n°11-26.585 ; Cass. soc.27 mars 2019 n°17-31.116
[6] Etude cabinet Znet et Valoir, avril 2020
[7] « Télétravail et productivité : ce que disent les premiers travaux des économistes », Guillaume de Calignon, les Echos, 23 novembre 2020
[8] Enquête BCG-ANDRH « covid : le futur du travail vu par les DRH »
[9] Etude Institut Ipsos, juillet 2020
[10] Diagnostic paritaire relatif au télétravail du 22 septembre 2020
[11] « Télétravail, frais, quelles obligations pour l’employeur », Charlotte Michaud, bulletin Joly social, septembre 2020, n°9, p50
[12] « Ne tuons pas l’élan du télétravail », Jean Emmanuel Ray, Zevillage, 3 septembre 2020
[13] Note revendicative de force ouvrière, 17 juillet 2020
[14] Accord Framatome relatif au télétravail et au travail ponctuel à distance du 31 juillet 2020
[15] « Du télétravail au travail flexible, notre nouveau monde numérique du travail », Jean-Emmanuel Ray, Semaine sociale Lamy, n°1920, 14 septembre 2020
[16] « L’inégal accès à des conditions de télétravail de qualité », Karine Babule, Semaine sociale Lamy, n°1920, 14 septembre 2020 : chez PSA Groupe, les salariés sont sur site en moyenne 1,5jour par semaine
[17] « Le télétravail ne peut être constant permanent et exclusif », Sophie Prunie-Poulmaire, Semaine sociale Lamy, n°1920, 14 septembre 2020 ; « ne tuons pas l’élan du télétravail », Jean-Emmanuel Ray, Zevillage, 3 septembre 2020
[18] “Digital natives” : se dit de la génération qui a grandi avec les outils numériques (Internet, téléphone mobile, appareil photo, i-pod …) par opposition aux générations précédentes qui ont migré vers le numérique et que l’on appelle “immigrants numériques”.
A lire également
Indemnité d’occupation du domicile et télétravail : les dernières précisi... 6 mars 2017 | CMS FL
Covid-19 : la fin des régimes d’exception... 25 juillet 2022 | Pascaline Neymond
La mission Combrexelle sur la négociation collective : pour « quelques disposi... 17 juillet 2015 | CMS FL
Les nouveaux interlocuteurs en matière de négociation collective... 28 novembre 2017 | CMS FL
Le nouveau champ d’application des accords de groupe... 22 juin 2017 | CMS FL
Dépistage du Covid-19 en entreprise : les modalités sont précisées... 7 janvier 2021 | CMS FL Social
Activité partielle et APLD : les entreprises conservent le bénéfice du régim... 2 novembre 2020 | CMS FL Social
Obligation vaccinale ou de détention d’un pass sanitaire pour certaines p... 20 septembre 2021 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?