URSSAF : nouvelles précisions de la Cour de cassation
15 octobre 2020
Deux récentes affaires, suivies par le cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats, concernant des redressements de cotisations sociales opérés par l’URSSAF viennent enfin de trouver leur épilogue devant la Cour de cassation.
La première affaire concernait les modalités de calcul des sommes qui, en cas de redressement, doivent être réintégrées dans l’assiette des cotisations (Cass. 2e civ., 24 septembre 2020, n° 19-13.194) ;
La seconde affaire portait sur le point de savoir si des soirées entre collègues, organisées par l’entreprise, pouvaient constituer ou non des frais d’entreprise (Cass. 2e civ., 8 octobre 2020, n° 19-16.898). Focus sur les principaux apports des deux décisions rendues par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
En cas de redressement, les sommes versées n’ont pas à être reconstituées en base brute pour le calcul des cotisations de sécurité sociale
Il résulte de la combinaison des articles L.242-1 et L.243-1 du Code de la sécurité sociale, que sauf dispositions particulières contraires, les cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales sont calculées sur le montant brut des sommes et avantages compris dans l’assiette de cotisations, avant précompte, s’il y a lieu, de la part des cotisations et contributions supportée par le salarié.
Par l’arrêt commenté (Cass. 2e civ., 24 septembre 2020, n° 19-13.194), la Cour de cassation met fin à la pratique des URSSAF qui consistait jusqu’à présent à reconstituer la base brute des sommes allouées aux salariés afin d’y appliquer les taux de cotisations en vigueur pour calculer le montant du redressement, ce qui conduisait mathématiquement à une majoration du montant dû par l’entreprise au titre des cotisations sociales.
En effet, au cas particulier, les salariés avaient bénéficié d’avantages en nature, de frais professionnels, de primes diverses, d’acomptes, d’avances, de prêts non récupérés, de rémunération non déclarée, qui n’avaient pas été soumis à cotisations sociales par l’entreprise. A l’issue d’un contrôle, ces différentes sommes requalifiées en salaire avaient été réintégrées dans l’assiette des cotisations par l’URSSAF qui, pour chiffrer le montant du redressement, avait alors procédé à la reconstitution en brut des différentes sommes accordées aux salariés.
Contestant, non le principe du redressement, mais la reconstitution en brut de l’assiette de cotisations servant de base à l’établissement du redressement, l’entreprise a saisi la juridiction de sécurité sociale. A l’appui de sa demande, l’employeur faisait notamment valoir que la reconstitution en brut ainsi opérée ne reposait sur aucun fondement – l’assiette de cotisations étant constituée de la somme effectivement allouée au salarié pour son montant nominal – de sorte que seule la somme perçue par le salarié et non celle qu’il serait présumé avoir reçue, pouvait être retenue.
Il soulignait également le fait que, dans un avantage non soumis à cotisations, les notions de brut et de net n’ont pas d’objet et que la pratique de l’URSSAF revenait à lui faire supporter économiquement la contribution du salarié. Il invoquait enfin que la conversion ainsi opérée rendait indéterminable sa dette dès lors que le calcul de la reconstitution d’un montant brut est inconnu et invérifiable, la lettre d’observations n’expliquant nullement le calcul permettant de déterminer l’assiette sur laquelle est calculé le redressement.
La Cour de cassation censure la décision des juges du fond qui, pour valider les redressements opérés par l’URSSAF, avaient retenu que « les cotisations à la charge de l’employeur et des salariés ou assimilés au titre de la législation des assurances sociales, sont calculées lors de chaque paie, sur l’ensemble des sommes comprises dans ladite paie, y compris le cas échéant la valeur des avantages en nature et qu’il s’en déduit que toutes les rémunérations versées aux salariés doivent, pour être réintégrées dans l’assiette des cotisations être reconstituées en base brute ».
Revenant sur une décision antérieure (Cass. 2e civ, 16 septembre 2010, n° 09-10.346, non publié), la deuxième chambre civile décide en effet que la société n’avait pas procédé au précompte de la part des cotisations et contributions dues par les salariés, de sorte que la réintégration des sommes afférentes aux avantages litigieux correspondait à leur montant brut.
Peuvent constituer des frais d’entreprise, les soirées entre collègues organisées par l’entreprise
Il résulte de l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale que toutes les sommes, ainsi que les avantages et accessoires en nature ou en argent qui y sont associés, dus en contrepartie ou à l’occasion d’un travail sont en principe assujettis aux cotisations de sécurité sociale. Ainsi, lorsque l’employeur met à la disposition du salarié des biens ou services, il s’agit en principe d’éléments de rémunération soumis à ce titre aux cotisations de sécurité sociale. Néanmoins, lorsque cette mise à disposition correspond à la prise en charge de frais relevant de l’activité de l’entreprise et non de frais liés à l’exercice normal de la profession du salarié, ils constituent, sous certaines conditions, des frais d’entreprise et sont exclus de l’assiette de calcul des cotisations et contributions sociales.
La circulaire interministérielle DSS/SDFSS/5B/N°2003/07 du 7 janvier 2003 précise les conditions de la qualification de frais d’entreprise et dispose à cet égard que pour que les frais engagés puissent bénéficier de cette exonération, trois critères doivent être simultanément remplis :
-
- avoir un caractère exceptionnel ;
- être engagés dans l’intérêt de l’entreprise ;
- être exposés en dehors de l’exercice normal de l’activité du salarié.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté (Cass. 2e civ., 8 octobre 2020, n° 19-16.898), l’entreprise (la société MEUBLES IKEA FRANCE) prenait en charge, dans la limite de 30 euros par salarié, les soirées « Tertial » consistant en des repas à l’extérieur dans un restaurant ou en une soirée bowling ou karting, organisées trois fois par an pour tous les salariés d’un même service de chaque magasin de l’entreprise, en dehors du temps de travail, sans que leurs conjoints soient conviés et sans que leur participation soit obligatoire.
L’inspecteur du recouvrement a considéré que les prises en charge de ces événements dits « Tertial » ne constituaient :
-
- ni des frais professionnels pour les salariés, ces dépenses étant engagées en dehors de toute sujétion particulière et de toute situation de déplacement ;
-
- ni des frais d’entreprise, ces repas ne relevant pas, selon son appréciation, de l’activité de l’entreprise et leur régularité leur ôtant, selon lui, leur caractère exceptionnel.
Il a en conséquence procédé à une réintégration de ces dépenses dans l’assiette de calcul des cotisations de sécurité sociale et a chiffré la régularisation de cotisations à la somme de 219 552 euros, ce que l’entreprise a contesté avec succès devant les juges du fond.
La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi formé par l’URSSAF, approuve les juges du fond, sur le fondement de leur « appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve », d’avoir décidé que le remboursement par la société des dépenses relatives aux événements dits « Tertial » constituait des frais d’entreprise, exclus de l’assiette de cotisations sociales, aux motifs que :
-
- les frais engagés avaient un caractère exceptionnel en ce qu’ils n’avaient lieu que trois fois par an, qu’ils étaient engagés dans l’intérêt de l’entreprise et qu’ils sortaient du cadre de l’exercice normal de l’activité des salariés, en précisant que le caractère exceptionnel n’induit pas nécessairement une irrégularité ;
-
- ces événements, dont les conjoints sont exclus, sont manifestement un moment d’échanges permettant de renforcer la cohésion des collaborateurs au sein d’un même service et favorisant une réflexion sur leurs méthodes de travail et ce même si aucun thème de discussion et de travail n’est préalablement déterminé, même si aucun retour ou rapport n’est exigé à l’issue de cet événement, et si le fait de ne pas y participer n’est assorti d’aucune sanction ;
-
- ces événements « Tertial » étaient justifiés par la mise en œuvre des techniques de direction, d’organisation ou de gestion de l’entreprise et le développement de sa politique commerciale et donc conformes aux exigences prévues par la circulaire interministérielle du 7 janvier 2003 relative aux frais d’entreprise.
Par cette décision, conforme à la doctrine administrative, la deuxième chambre civile confirme pour la première fois que les coûts générés par des événements internes à l’entreprise, même réguliers, peuvent constituer des frais d’entreprise et bénéficier à ce titre d’une exonération de cotisations de sécurité sociale.
Article précédent
Entreprises en difficulté et redressement judiciaire : comment motiver la remise du contrat de sécurisation professionnelle ?
Article suivant
Crédit d’impôt recherche : réaliser des prestations de recherche pour un donneur d’ordre ne doit pas diminuer le crédit d’impôt recherche du sous-traitant agréé
A lire également
La réforme des dispositions applicables au contrôle URSSAF : une avancée pour... 23 septembre 2016 | CMS FL
Le droit à l’erreur en matière URSSAF : que va-t-il se passer à partir ... 23 décembre 2019 | CMS FL Social
Nouvelle prolongation des dispositifs exceptionnels d’exonération sociale app... 4 juin 2021 | Pascaline Neymond
Le Bulletin officiel de la Sécurité sociale sera opposable à compter du 1er a... 30 mars 2021 | CMS FL Social
Management package : la spécificité du régime social par rapport à l’analy... 4 décembre 2023 | Pascaline Neymond
Prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et aide au paiement des cotisation... 20 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Covid-19 : Nouveaux aménagements des délais de suspension, de report et de pro... 20 mai 2020 | CMS FL Social
Cadeaux et bons d’achat : le juge s’affranchit de la tolérance administrati... 23 mai 2017 | CMS FL
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?