La crise sanitaire, une source d’innovation pour le dialogue social ?
24 septembre 2020
Le dialogue social a pour ambition de permettre une meilleure cohésion sociale en entreprise et de permettre une résolution efficace des problématiques économiques et sociales majeures en entreprise. Plus que jamais, la gestion des conséquences économiques et sociales de l’épidémie de Covid-19 a rendu indispensable une étroite implication de l’ensemble des acteurs de l’entreprise et a considérablement contribué à transformer le dialogue social.
L’état d’urgence sanitaire n’a mis fin ni à la concertation, c’est à dire à la consultation des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise, ni à la négociation d’accords collectifs. La première a fait l’objet d’importantes adaptations (1), plus limitées pour la seconde (2).
1. Le CSE, un acteur incontournable pendant la crise sanitaire
La crise sanitaire sans précédent consécutive à l’épidémie de Covid-19 a remis au cœur des discussions les sujets liés à l’organisation du travail, aux conditions de travail et aux questions de santé et de sécurité, relevant de la compétence du comité social et économique (CSE).
Pour faire face à l’urgence, le fonctionnement de l’instance de représentation dans les entreprises de plus de 50 salariés a été modifié et le contenu et les modalités de consultation ont été adaptés.
1.1. Des moyens de fonctionnement du CSE adaptés
Afin de favoriser une reprise rapide de l’activité économique dans des conditions protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 a permis aux entreprises de procéder aux consultations du CSE sur les décisions de l’employeur qui ont pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 dans des conditions adaptées temporairement.
1.1.1. Adaptation des délais de convocation du CSE
Par dérogation aux délais légaux ou aux délais fixés par les stipulations conventionnelles applicables dans l’entreprise, l’ordonnance n° 2020-507 du 2 mai 2020 a raccourci les délais applicables à la communication de l’ordre du jour au CSE lorsque la consultation portait sur les décisions de l’employeur ayant pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19. Pour les délais qui commençaient à courir entre le 3 mai 2020 et le 23 août 2020, ils étaient fixés à  :
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- deux jours au moins avant la réunion du CSE (au lieu de trois) ;
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- trois jours au moins avant la réunion du CSE central (au lieu de huit).
1.1.2. Adaptation des délais applicables aux consultations et aux expertises du CSE
Pour rappel, en l’absence de disposition légale spécifique fixant le délai de consultation, le CSE est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l’expiration d’un délai d’un mois.
Par dérogation à cette disposition, lorsque la décision de l’employeur a pour objectif de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19, le décret n° 2020-508 du 2 mai 2020 avait prévu que :
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- pour les consultations prévues à l’article R.2312-6 du Code du travail, le CSE est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif à l’expiration d’un délai de huit jours (au lieu d’un mois) ;
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- en cas de recours à un expert, ce délai est porté à 11 jours pour le CSE (au lieu de deux mois) et 12 jours pour le CSE central (au lieu de trois mois) ;
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- en cas d’intervention d’une ou plusieurs expertises dans le cadre de consultations se déroulant à la fois au niveau du CSE central et d’un ou plusieurs CSE, ce délai est également porté à 12 jours (au lieu de trois mois) ;
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- le délai minimal entre la transmission de l’avis de chaque CSE au CSE central et la date à laquelle ce dernier est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif est d’un jour (au lieu de 15 jours).
Par dérogation aux dispositions légales, à  compter de sa désignation, l’expert disposait :
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- de 24 heures (au lieu de trois jours), pour demander à l’employeur toutes les informations complémentaires nécessaires à la réalisation de sa mission. L’employeur répond à cette demande dans les 24 heures (au lieu de cinq jours) ;
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- de 48 heures (au lieu de dix jours) pour notifier à l’employeur le coût prévisionnel, l’étendue et la durée d’expertise, ou, si demande adressée à l’employeur, de 24 heures à compter de sa réponse.
L’employeur disposait d’un délai de 48 heures pour saisir le juge pour chacun des cas de recours prévus à l’article L.2315-86 du Code du travail (contestation de la nécessité de l’expertise ; du choix de l’expert ; du coût prévisionnel, de l’étendue ou de la durée de l’expertise ; du coût final de l’expertise).
Par ailleurs, le délai minimal entre la remise du rapport par l’expert et l’expiration des délais de consultation du comité était fixé à 24 heures (contre 15 jours habituellement).
Ces aménagements étaient applicables aux délais qui commençaient à courir entre le 3 mai 2020 et le 23 août 2020. Â
1.1.3. Elargissement du recours à la visioconférence
Pendant la première période de l’état d’urgence sanitaire, soit du 24 mars au 10 juillet 2020, et après que l’employeur en avait informé les membres de la délégation du personnel, en application de l’ordonnance n° 2020-389 du 1er avril 2020, les réunions du CSE et du CSE central (CSEC) pouvaient se tenir par visioconférence, par conférence téléphonique ou par messagerie instantanée et ce, sans accord et quel que soit l’objet de la réunion.
A la suite de la déclaration d’un nouvel état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020, le Gouvernement, sur l’habilitation qu’il tient de l’article 10 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, a réactivé ces mesures. Ainsi, il est à nouveau possible d’organiser l’ensemble des réunions des instances représentatives du personnel à distance jusqu’à l’expiration de la période de l’état d’urgence sanitaire aujourd’hui fixée par la loi du 14 novembre 2020, soit jusqu’au 16 février 2021 inclus.
Toutefois, l’ordonnance n° 2020-1441 du 25 novembre 2020 adapte ces mesures à ce deuxième confinement. Dans la mesure où de nombreuses entreprises ont pu maintenir leur activité, les membres élus de l’instance peuvent s’opposer, à la majorité de leurs membres appelés à y siéger et au plus tard 24 heures avant le début de la réunion, aux réunions à distance lorsqu’il s’agit de la consulter sur les sujets suivants :
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- la procédure de licenciements économiques collectifs (C. trav., ch. III, titre III, livre II, première partie) ;
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- la mise en Å“uvre des accords de performance collective (C. trav., art. L.2254-2) ;
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- la mise en Å“uvre des accords portant rupture conventionnelle collective (C. trav., art. L.1237-19) ;
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- la mise en œuvre du dispositif d’activité partielle longue durée (loi n°2020-734 du 17 juin 2020, art. 53).
Dans ce cas, la réunion devra se tenir en présentiel, sauf si la limite de trois réunions du CSE pouvant se dérouler par visioconférence, par année civile, n’a pas encore été épuisée.
En effet, en l’absence d’accord, le recours à la visioconférence est en principe possible mais limité à trois réunions par année civile (C. trav., art. L.2315-4 et L.2316-16). Toutefois, les ordonnances précitées sont venues préciser que cette limite ne s’appliquait pas aux réunions organisées durant la période de l’état d’urgence sanitaire.
1.1.4. Adaptation des règles applicables en matière d’information et de consultation du CSE
En principe, les décisions de l’employeur intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur la durée du travail, sont précédées de la consultation du CSE (C trav., art. L.2312-8).
Par dérogation à ce principe, et compte tenu des mesures prises en urgence par l’employeur, l’avis du CSE peut valablement être recueilli postérieurement à la décision de l’employeur :
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- d’imposer à ses salariés la prise à des dates déterminées par lui ou de modifier unilatéralement les dates de prise des jours de repos (JRTT ou RTT ou issus d’un CET). L’avis du CSE doit alors être rendu dans le délai d’un mois (ord. n° 2020-323 du 25 mars 2020, art. 5). Cette disposition est applicable jusqu’au 30 juin 2021 ;
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- d’user de l’une des dérogations aux durées maximales du travail et durées minimales de repos ou au repos dominical. L’avis du CSE devait alors être rendu dans un délai d’un mois (ord., n° 2020-323 du 25 mars 2020, art. 6 et 7). Cette disposition est applicable jusqu’au 31 décembre 2020 ;
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- de mettre en place de l’activité partielle, lorsque la demande est consécutive à un sinistre, à des intempéries ou à des circonstances exceptionnelles, telles que l’épidémie de Covid-19. L’avis du CSE doit alors être transmis dans un délai de deux mois à compter de cette demande (C. trav., art. R.5122-2 modifié par le décret n° 2020-325 du 25 mars 2020, art. 1er).
1.2 Le rôle du CSE renforcé
Depuis la fusion des délégués du personnel, du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) au sein du CSE, les questions de santé et de sécurité relèvent du champ de compétence de ce dernier, et éventuellement du rôle d’une commission spécifique (CSSCT), obligatoire uniquement dans certaines entreprises (entreprises d’au moins 300 salariés, entreprise type SEVESO ou à la demande de l’inspection du travail).
Pour certains, cette fusion pouvait laisser craindre d’une part, la perte de la spécialisation des élus du fait de la disparition de l’instance spécifique du CHSCT et, d’autre part, une « banalisation » au sein du CSE des questions de santé et de sécurité mises en concurrence avec les débats que suscitent l’analyse et l’appréciation des orientations stratégiques de l’entreprise, de sa situation économique et financière, des divers aspects de sa politique sociale, des opérations de restructuration, des licenciements collectifs pour motif économique, etc.[1]
Pour autant, durant la crise sanitaire de la Covid-19, les CSE ont su jouer leur rôle sur les questions d’hygiène, de santé et de sécurité au travail.
Dans un premier temps, pendant le confinement, le dialogue social a porté sur les mesures de santé et sécurité au travail à prendre, notamment au regard des risques identifiés et retranscrits dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER), pour tous les salariés, tenus du fait de leur activité, de poursuivre leur activité sur site.
Eu égard à la particulière contagiosité du virus de la Covid-19, la Direction générale du travail (DGT) a préconisé dès le début de la crise sanitaire, la mise à jour par l’employeur du DUER.
En principe, le CSE doit être consulté préalablement à toute décision de l’employeur sur « tout aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » (C. trav., art. L. 2312-8, 4° et L. 2312-14). Mais le Code du travail n’impose pas la consultation du CSE pour l’évaluation des risques professionnels ou pour la mise à jour du DUER (C. trav., art. L. 4121-2 et R. 4121-1).
Aucune décision de justice rendue antérieurement à la période de crise sanitaire n’imposait à l’employeur la consultation préalable des représentants du personnel, sur la mise à jour du DUER.
Toutefois, dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, certaines décisions ont préconisé leur consultation (en ce sens CA Versailles, réf., 24 avril 2020, n°20/01993), ou à tout le moins, leur association (en ce sens TJ Paris, réf., 9 avril 2020, n° 20/52223 ; TJ Lille, réf., 24 avril 2020, n°20/00395 ; TJ Lille, réf., 5 mai 2020, n°20/00399 ; TJ Le Havre, réf., 7 mai 2020, n°20/00143 ; TJ Lyon, réf., 11 mai 2020, n°20/00593).
Une fois les risques évalués et retranscrits dans le DUER, l’employeur doit, le cas échéant, mettre en œuvre les mesures de prévention.
Ainsi, dans un second temps, celui de la reprise progressive de l’activité et du retour en présentiel des salariés dans les entreprises, le CSE joue un rôle important   sur les sujets d’organisation du travail.
A la sortie du confinement, de nombreuses entreprises ont dû repenser l’organisation de leur activité et ont ainsi établi des procédures de retour progressif en présentiel des salariés sur site dans des « plans de relance d’activité ». Ces plans ont pour objet de déterminer les conditions de reprise de l’activité et les mesures sanitaires à mettre en œuvre pour protéger la santé et la sécurité des salariés.
Conformément à l’article L.2312-8 du Code du travail, le CSE doit être informé et consulté, avant la prise de décision de l’employeur, sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise ainsi que sur les projets importants modifiant les conditions de travail.
Il appartient donc à l’employeur de consulter le CSE sur les mesures envisagées dans le plan de reprise d’activité.
Dans le contexte actuel, il a été jugé qu’une seule consultation sur l’ensemble du plan n’était pas suffisante, qu’elle devait être renouvelée lors de la mise en œuvre de chacune des étapes du plan de reprise d’activité (en ce sens TJ Nanterre, 17 juin 2020 n°20/02552 ; TJ Nanterre, 15 juillet 2020, n°20/01157).
Par ailleurs, dès lors que le plan de relance d’activité ne prévoit aucune particularité locale, il n’y a pas lieu de procéder à une consultation des CSE d’établissement en application de l’article L.2316-20 du Code du travail (en ce sens TJ Lyon, réf. 22 juin 2020, n°20/00701 ; TJ Nanterre, réf., 17 juin 2020 n°20/02933 ; TJ Paris, réf., 31 juillet 2020 n°20/54679). Ils devraient néanmoins être associés en leur qualité de représentants des salariés (en ce sens CA Versailles, 24 avril 2020, n°20/01993).
2. La négociation collective, un outil indispensable pendant la crise sanitaire
Si la crise de la Covid-19 a eu des impacts sur la négociation collective à la fois pendant l’état d’urgence sanitaire dans les entreprises qui ont dû interrompre, voire diminuer leur activité ou celles qui l’ont poursuivie, elle devrait également en avoir au cours de la période à venir dans un contexte de restructuration de l’emploi.
2.1 La négociation collective au temps de la crise sanitaire
Au temps du confinement, les modalités de conclusion des accords ont été adaptées temporairement afin de permettre aux entreprises et aux salariés de négocier rapidement pour trouver des solutions pragmatiques.
2.1.1. Nouvelles modalités de négociation et de conclusion des accords collectifs
L’ordonnance n° 2020-428 du 15 avril 2020 a adapté les règles de négociation des accords dont l’objet est exclusivement de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 ainsi qu’aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation :
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- Pour les accords de branche, le délai d’opposition à l’entrée en vigueur de la part des organisations syndicales représentatives de salariés non-signataires, ainsi que le délai d’opposition à la demande d’extension de la part des organisations professionnelles d’employeurs représentatives sont fixés à 8 jours ;
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- Les accords d’entreprise ayant recueilli la signature des organisations syndicales de salariés représentatives entre 30 % et 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections, peuvent faire l’objet d’une demande de consultation des salariés par ces organisations syndicales dans le délai de 8 jours à compter de la signature de l’accord. Par ailleurs, le délai à compter duquel la consultation peut être organisée est réduit à 5 jours ;
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- Les élus qui souhaitent négocier   dans les entreprises de plus de 50 salariés dépourvues de délégués syndicaux disposent d’un délai de 8 jours pour faire savoir à leur employeur leur intention de se faire mandater par une organisation syndicale représentative.
Ces règles de négociation s’appliquaient aux accords conclus jusqu’au 10 octobre 2020.
A côté de ces adaptations légales, le ministère du Travail, dans sa foire aux questions sur le dialogue social[2], a fait preuve de pragmatisme pour encourager la poursuite du dialogue social pendant le confinement en permettant :
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- la tenue des réunions de négociation par voie de visioconférence ou, à défaut, d’audioconférence, pour autant que les conditions dans lesquelles elles se déroulent permettent de respecter le principe de loyauté de la négociation ;
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- la mise en place par les entreprises et les branches professionnelles d’un dispositif de signature électronique des accords répondant aux exigences du règlement européen n° 910-2014 et de l’article 1367 du Code civil.
2.1.2. Le contenu des négociations pendant l’urgence sanitaire
Dans le contexte de l’urgence sanitaire, les branches professionnelles ont signé des accords permettant la mise en œuvre de mesures adaptées aux spécificités et besoins de chaque entreprise et de leurs salariés.
De nombreuses branches[3] ont ainsi, en application de l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos, signé des accords pour permettre, en cas d’échec ou d’impossibilité de négociation locale, à l’employeur de fixer ou de modifier les dates de prise de 6 jours ouvrables de congés payés.
Si certains employeurs ont pu, en vertu de ces accords de branche, déroger, par décision unilatérale, aux dispositions légales en matière de congés payés, d’autres ont préféré négocier eux-mêmes de tels accords[4].
D’autres branches, comme celle des Industries et commerces de la récupération[5], ont conclu des accords pour permettre le recours à l’activité partielle individualisée par dérogation aux dispositions de l’article L.5122-1 du Code du travail et en application de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020.
En outre, en vue d’affronter cette crise inédite, plusieurs entreprises ont conclu des accords ayant pour objectif de renforcer la solidarité.
Désireux d’aller plus loin dans les mesures sociales pour faire face à l’épidémie de Covid-19, certains accords d’entreprise ont ainsi prévu :
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- des mesures en faveur des plus démunis ou ceux qui luttent contre la pandémie avec la création d’un dispositif de dons de jours solidaires (congés payés, jours de fractionnement, RRT, etc. acquis) : les jours volontairement cédés par les salariés sont valorisés en numéraire et versés au choix du salarié à une association[6] ;
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- des mesures en faveur des télétravailleurs : l’attribution d’une allocation forfaitaire, le maintien des titres-restaurant durant la période de télétravail pour les salariés qui en bénéficient habituellement[7] ou encore le remboursement des frais liés à l’utilisation d’un ordinateur ou d’un téléphone personnel[8] ;
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- des mesures en faveur de certains salariés ne pouvant télétravailler : le placement en absence autorisée payée de certains salariés (vulnérables, aidant une personne vulnérable, parent d’un enfant de moins de 16 ans ou en situation de handicap faisant l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile) – régime plus favorable que l’activité partielle[9], la création d’un « fonds de solidarité » afin d’apporter un complément d’indemnisation aux salariés en activité partielle ne bénéficiant pas du maintien intégral de leur rémunération nette, financé d’une part par un prélèvement d’un jour de congé ou de repos pour l’ensemble des salariés[10] ou pour les salariés en forfaits-jours[11] et, d’autre part, le versement volontaire de jours de congés payés, la neutralisation de l’impact de l’activité partielle pour l’attribution ou le calcul de primes (13ème mois, prime annuelle des ingénieurs et cadres) et d’indemnités (départ à la retraite, départ amiante) ou encore le dispositif de récupération d’heures perdues[12] ;
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- des mesures en faveur de l’ensemble des salariés : le versement d’une « prime d’engagement » dans le cadre des dispositions législatives relatives à la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ; une augmentation générale[13], l’adaptation de l’organisation du travail par la modification d’horaires de travail pour limiter les croisements des personnes et des dérogations à la durée maximale quotidienne de travail[14] ;
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- des mesures en faveur des apprentis et stagiaires : le maintien à 100 % de la rémunération des salariés en contrat d’apprentissage et de professionnalisation et de la gratification des stagiaires[15].
Au temps du premier déconfinement, les branches ont également négocié des guides de recommandations sanitaires[16] et les entreprises des plans de reprise d’activité prévoyant des mesures de prévention (règles de distanciation des équipes et des postes, le port du masque, mise à disposition de gel hydroalcoolique, la mise en place d’un service d’accompagnement psychologique, le bénéfice de tests de dépistage ou d’un test sérologique pris en charge par l’employeur sur la base du volontariat[17], la prise de température[18]) mais également des mesures organisationnelles comme le maintien du télétravail pour tout salarié pouvant travailler à distance[19] ou le recours aux horaires décalés. Certains accords prévoient également des mesures pour augmenter la productivité telles que le recours aux heures supplémentaires sur la base d’un contingent complémentaire[20] ou l’augmentation du temps de travail journalier[21].
2.2. La négociation collective, un outil plébiscité par les pouvoirs publics pour sortir de la crise
Toutes les entreprises ne sont pas confrontées aux mêmes conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19. Alors que certaines doivent faire face à une baisse durable de leur activité, d’autres au contraire connaissent une hausse de commandes.
A chaque situation, il existe des dispositifs de réorganisation du travail et de gestion de l’emploi susceptibles d’être mobilisés pour accompagner les entreprises.
Ces dispositifs, pour la plupart issus de la réforme du dialogue social opérée par les ordonnances du 22 septembre 2017 ou nouvellement créés par la loi du 17 juin 2020, sont subordonnés à la conclusion d’un accord collectif.
2.2.1 Le recours à l’accord de performance collective
L’accord de performance collective (APC), créé par les ordonnances du 22 septembre 2017, peut être mis en œuvre dans un objectif d’adaptation des conditions de travail « pour répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi » (C. trav., art. L.2254-2).
Il permet, par accord majoritaire, de modifier la rémunération des salariés, le temps ou l’organisation du travail et les conditions de la mobilité géographique et professionnelle. Les clauses du contrat de travail incompatibles avec l’accord collectif sont suspendues. En cas de refus du salarié, celui-ci peut être licencié, ce refus constituant un motif de licenciement pour cause réelle et sérieuse.
En juin 2020, 371 APC ont été conclus dans des secteurs très variés. Les principaux objectifs dont se prévalent les partenaires sociaux sont :
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- l’harmonisation du statut collectif à la suite d’une opération de fusion ou de transfert ;
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- la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, voire éviter une restructuration ;
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- le bon fonctionnement de l’entreprise.
Au 1er juin 2020, les 4 accords de performance collective conclus pendant la pandémie de Covid-19, ont été signés dans des entreprises de moins de 500 salariés et ont porté principalement sur l’organisation du temps de travail et sur des éléments de rémunération[22].
La crise de la Covid-19, avec ses répercussions économiques majeures, pourrait être propice au développement d’APC par les entreprises pour gérer une période de reprise d’activité limitée ou des besoins de réorganisation.
2.2.2. Le recours à l’activité partielle de longue durée
L’activité partielle est un outil de prévention des licenciements économiques qui permet de maintenir les salariés dans l’emploi afin de conserver des compétences lorsque leur entreprise fait face à des difficultés économiques conjoncturelles.
Face à l’ampleur de la crise sanitaire, le Gouvernement a adapté temporairement le régime de l’activité partielle prévu aux articles L.5122-1 et suivants du Code du travail, dit « activité partielle de droit commun », pour préserver au maximum l’emploi pendant le confinement.
Aujourd’hui, le Gouvernement souhaite à nouveau réformer l’activité partielle en prévoyant une indemnisation plus courte (trois mois renouvelables) à compter du 1er mars 2021 et moindre des salariés (60% de leur rémunération brute) à compter du 1er février 2021 et des employeurs (36% de la rémunération brute) à compter du 1er janvier 2021[23]. Ce faisant, il espère que les entreprises se saisiront du dispositif alternatif, l’activité partielle de longue durée, créé par la loi du 17 juin 2020.
Néanmoins, alors que l’activité partielle de droit commun peut en principe être mise en place après la consultation du CSE sur simple demande d’autorisation de l’administration, le recours à l’activité partielle de longue durée nécessite la conclusion d’un accord collectif d’entreprise, d’établissement ou de groupe ou d’un accord de branche étendu. Lorsque l’activité partielle de longue durée est mise en place en application d’un accord de branche, l’entreprise établit un document unilatéral conforme aux stipulations de celui-ci. Accords et documents unilatéraux doivent en outre être validés ou homologués par l’Administration.
Début novembre 2020, selon les chiffres communiqués par le Gouvernement près, de 4.300 d’accords d’entreprises ont été conclus. En outre, les branches professionnelles de la Métallurgie[24], des Bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil[25],de la Bijouterie[26], de l’exploitation cinématographique[27] et des distributeurs conseils hors domicile[28] ont conclu des accords ouvrant ainsi la possibilité de recourir au dispositif spécifique d’activité partielle à des nombreuses entreprises de ces secteurs.
2.2.3 Le recours aux départs volontaires
La négociation d’entreprise est propice à la définition d’un cadre commun de départs volontaires permettant d’adapter les compétences aux enjeux évolutifs de l’entreprise tout en répondant à des aspirations individuelles de salariés concernant leur parcours professionnel.
Ces dispositifs visent à favoriser les restructurations à froid dans un contexte d’anticipation et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Ces départs strictement volontaires peuvent se faire dans le cadre soit d’un congé de mobilité prévu par un accord de gestion prévisionnelle de l’emploi (GPEC), soit d’un accord portant rupture conventionnelle collective (RCC), soit d’un Plan de Départs Volontaires Autonome (PDVA), qui, selon le ministère du Travail, sont toujours possibles.
La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est une méthode pour adapter – à court et moyen termes – les emplois, les effectifs et les compétences aux exigences issues de la stratégie des entreprises et des modifications de leurs environnements économique, technologique, social et juridique.
La GPEC est une démarche de gestion prospective des ressources humaines qui permet d’accompagner le changement.
L’accord collectif sur la GPEC peut désormais définir les modalités encadrant les ruptures du contrat de travail au travers du congé de mobilité (C. trav., art. L.1237-17 et L.1237-18).
Le dispositif de RCC, issu des ordonnances du 22 septembre 2017, fixe un régime légal aux plans de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires.
Avant la mise en place de la RCC, les départs volontaires collectifs de salariés pouvaient se faire par le biais d’un « plan de départs volontaires autonome » (PDVA) mis en place par accord collectif ou décision unilatérale, dont le régime est purement jurisprudentiel, ou d’un plan de départs volontaires (PDV) associé à un PSE, appelé « PDV mixte ». Cette possibilité demeure.
A la différence des PDVA, les RCC sont mises en place obligatoirement par un accord collectif.
Au 31 mars 2020, 234 entreprises se sont engagées dans la négociation d’un accord RCC. Parmi ceux-là , 164 accords ont été validés par les Direccte et une trentaine de négociations sont encore en cours[29].
La RCC est un outil de gestion ponctuel du sureffectif. Il ressort de la lecture des préambules qu’elle est négociée pour :
-
- faire face à un contexte de mutations liées à l’environnement économique, réglementaire, numérique, etc. qui peuvent entraîner la nécessité de se réorganiser en vue de s’adapter dans un objectif de croissance et d’efficacité, de rester compétitive, de renforcer le positionnement de l’entreprise, de protéger sa performance et d’assurer ainsi sa pérennité ;
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- anticiper des évolutions, des changements à venir, par le biais d’une réorganisation, d’un renouvellement des compétences, dans le cadre de la mise en Å“uvre de nouvelles orientations stratégiques ;
-
- ajuster le modèle d’organisation dans un contexte de difficultés économiques pour accompagner des changements stratégiques, pour réaliser une diminution d’effectifs qui semble inévitable[30].
Néanmoins, le congé de mobilité comme la RCC sont des outils de gestion de l’emploi qui ne reposent que sur les départs volontaires des salariés. Or, il n’est pas certain que, dans le contexte d’une crise sanitaire sans précédent, les salariés se saisissent des opportunités offertes par ces dispositifs. Ainsi, sans garantie d’atteindre l’objectif en termes de réduction des effectifs, il est à craindre que les entreprises aient davantage recours au plan de sauvegarde de l’emploi.
L’ensemble de ces dispositifs d’organisation du travail et de gestion de l’emploi passant par la voie négociée, il est essentiel pour les entreprises qui souhaitent y recourir, de créer un terrain favorable à la négociation.
1. « Santé et sécurité dans le droit du comité social et économique », B. TEYSSIE, La Semaine Juridique Social n° 1, 9 Janvier 2018, 1001.
2. FAQ Dialogue social, ministère du Travail, https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/coronavirus-covid-19/questions-reponses-par-theme/article/dialogue-social
3. Sport : Accord du 1er avril 2020 ; Métallurgie : Accord national du 3 avril 2020 portant sur les modalités d’organisation du travail pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ; Services de l’Automobile : Accord de Branche relatif aux congés payés dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 du 2 avril 2020 ; Maintenance industrielle : Accord du 3 avril 2020 ; Courtage d’assurances : Accord de branche du 6 avril 2020 ; Vétérinaire : Accord du 7 avril 2020 ; Bijouterie, joaillerie, orfèvrerie : Accord du 8 avril 2020 ; Négoce de l’ameublement : Accord du 27 avril 2020
4. Accord du 15 avril 2020 relatif à l’accompagnement social de la crise liée à l’épidémie de Covid-19 au sein du groupe Safran ; Accord du 13 mai 2020 relatif au don de jours de jours solidaires et aux mesures d’adaptation à la crise sanitaire au sein du socle social commun de Total ; Accord du 29 mai 2020 relatif aux mesures mises en œuvre au sein d’ArianeGroup dans le cadre de l’épidémie Covid-19
5. Accord du 14 mai 2020 des industries et commerces de la récupération relatif à l’activité partielle individuelle dans le cadre de la crise de Covid-19
6. Accord du 13 mai 2020 relatif au don de jours de jours solidaires et aux mesures d’adaptation à la crise sanitaire au sein du socle social commun de Total ; Accord du 9 avril 2020 relatif aux congés solidaires pendant la crise sanitaire et aux premières mesures provisoires d’accompagnement du télétravail à l’UES Matmut
7. Accord du 13 mai 2020 relatif au don de jours de jours solidaires et aux mesures d’adaptation à la crise sanitaire au sein du socle social commun de Total
8. Accord du 9 avril 2020 relatif aux congés solidaires pendant la crise sanitaire et aux premières mesures provisoires d’accompagnement du télétravail à l’UES Matmut
9. Accord du 13 mai 2020 relatif au don de jours de jours solidaires et aux mesures d’adaptation à la crise sanitaire au sein du socle social commun de Total
10. Accord d’entreprise du 10 avril 2020 relatif à la solidarité face à l’activité partielle au sein des établissements de NEXANS France ; Accord du 29 mai 2020 relatif aux mesures mises en œuvre au sein d’ArianeGroup dans le cadre de l’épidémie Covid-19
11. Accord du 15 avril 2020 relatif à l’accompagnement social de la crise liée à l’épidémie de Covid-19 au sein du groupe Safran
12. Accord et avenant Groupe Airbus des 20 et 26 mars sur la récupération des heures et jours perdus dans le cadre de l’épidémie de Covid-19
13. Accord de groupe Schneider Electric du 30 mars 2020 relatif à la mise en œuvre de mesures exceptionnelles et urgentes dans le cadre de la crise liée à l’épidémie de Covid-19
14. Accord du 9 avril 2020 relatif aux congés solidaires pendant la crise sanitaire et aux premières mesures provisoires d’accompagnement du télétravail à l’UES Matmut
15. Accord du 15 avril 2020 relatif à l’accompagnement social de la crise liée à l’épidémie de Covid-19 au sein du groupe Safran ; Accord du 29 mai 2020 relatif aux mesures mises en œuvre au sein d’ArianeGroup dans le cadre de l’épidémie Covid-19
16. Guide de recommandations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités dans le contexte de pandémie de Covid-19 de la Fédération Syntec ; Guide d’aide à la préparation au déconfinement et/ou à la reprise d’activité pour les sites ou entreprises de l’industrie agroalimentaire
17. Accord du 26 juin 2020 relatif à la reprise progressive d’activité au sein de Thalès à la suite de la Covid-19 et à l’intéressement, 2020, 2021 et 2022
18. Plan unique d’accompagnement au déconfinement de Veolia
19. Accord du 10 avril 2020 relatif aux problématiques liées à la santé et à l’emploi des collaborateurs dans le cadre de la pandémie de Covid-19 et protocole de reprise d’activité dans le groupe Valeo
20. Accord du 26 juin 2020 relatif à la reprise progressive d’activité au sein de Thalès à la suite de la Covid-19 et à l’intéressement, 2020, 2021 et 2022
21. Accord du 10 juin relatif à l’adaptation de la charge des ateliers General Electric Energy Products dans le contexte de la Covid-19
22. Rapport intermédiaire du comité d’évaluation des ordonnances Macron, publié le 28 juillet 2020 par France stratégie, www.strategie.gouv.fr
23. Sauf si un décret reporte l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l’article D.5122-13 issue du décret n° 2020-1319 du 30 octobre 2020
24. Accord du 30 juillet 2020 relatif à l’activité réduite pour le maintien en emploi dans la métallurgie, étendu par arrêté du 25 août 2020.
25. Accord SYNTEC du 10 septembre 2020 relatif au dispositif spécifique d’activité partielle
26. Accord de septembre 2020 relatif à l’activité partielle pour répondre à une baisse durable d’activité dans la branche «bijouterie, joaillerie, orfèvrerie, du cadeau, des diamants, pierres et perles et activité s’y attachant »
27. Accord du 1er septembre 2020 relatif à l’activité partielle de longue durée
28. Accord 2020/2 relatif à l’activité partielle de longue durée dans la branche des Distributeurs Conseils Hors Domicile
29. Rapport intermédiaire du comité d’évaluation des ordonnances Macron, publié le 28 juillet 2020 par France stratégie, www.strategie.gouv.fr
30. « Les accords portant rupture conventionnelle collective : quelle tendance ? « , E. Filipetto, Rev. Trav. 2020, n° 332, 27 mai 2020
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