URSSAF : cadeaux d’affaires et frais professionnels – Quelle liberté ? Quelles contraintes ?
5 août 2020
Toute entreprise est confrontée à la réglementation lorsqu’elle met en place une politique d’avantages en nature et de frais professionnels. Les règles relatives aux cadeaux clientèle sont également encadrées mais de manière plus incertaine.
Il demeure que les cadeaux d’affaires remis aux clients constituent toujours une pratique courante dans le cadre des relations commerciales et que toute décision qui permet d’y voir plus clair dans la réglementation de cette pratique mérite de s’y arrêter. C’est le cas de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 5 juin dernier dans une affaire que nous avons plaidée (RG n° 16/07499).
Dans cette affaire, il était question d’une part de frais de sponsoring et cadeaux clientèle et d’autre part de frais de déplacement professionnel effectués au moyen de véhicules dits d’exception.
Ces frais n’avaient pas été intégrés dans l’assiette des cotisations au motif qu’il s’agissait de charges normales d’exploitation.
Les frais de sponsoring comprenaient sur une même année la participation à des frais de campagne publicitaire pour l’organisation d’un concert dans une discothèque, concert sponsorisé par la société et auquel étaient invités des clients de la société ainsi que la participation à un challenge automobile incluant la couverture des frais d’un reportage photos.
Quant aux cadeaux clientèle, ils étaient très divers : il s’agissait notamment de places de matches, bouteilles de vins, invitations à des soirées ou courses automobiles, sacs luxueux, location de véhicules d’exception (la location étant effectuée auprès d’une filiale du groupe).
L’URSSAF a fait valoir que l’ensemble de ces frais devait être réintégré dans l’assiette des cotisations compte tenu à la fois de leur régularité et de l’absence de lien entre ces frais et l’activité professionnelle de la société (en l’occurrence, une activité de nettoyage de locaux) ; l’absence de lien entre les frais et l’activité traduisait selon l’URSSAF une absence d’intérêt pour l’entreprise, excluant de ce fait la qualification de frais d’entreprise et l’exonération de cotisations sociales.
Frais d’entreprise : quelle définition ?
Dans l’arrêt rendu le 5 juin 2020, la Cour d’appel rappelle tout d’abord la définition des frais d’entreprise qui résulte de la circulaire ministérielle du 7 janvier 2003. Elle indique notamment que rentrent dans la catégorie des frais d’entreprise :
-
- les dépenses engagées en vue de l’acquisition de cadeaux offerts à la clientèle pour la promotion de l’entreprise ;
-
- les dépenses prises en charge à l’occasion de repas d’affaires dûment justifiés sauf abus manifeste.
La Cour rappelle également que selon cette circulaire, les conditions d’exclusion d’assiette varient en fonction de la nature des frais et qu’elles doivent donner lieu à la production de justificatifs sur la réalité de la dépense et sur la justification de la dépense, et notamment :
-
- pour les cadeaux offerts à la clientèle : la production de la facture ;
-
- pour les frais de repas d’affaires : les pièces comptables attestant la réalité du repas d’affaires, de la qualité des personnes y ayant participé et du montant de la dépense.
Au regard des faits d’espèce qui lui ont été soumis, la Cour note tout d’abord que la réalité des dépenses n’est pas contestée.
L’URSSAF ne peut pas s’immiscer dans la politique commerciale de l’entreprise
Ensuite, la Cour se penche sur l’existence de l’intérêt pour l’entreprise de ces frais.
Sur ce point, elle rappelle en premier lieu un principe essentiel selon lequel il relève du pouvoir de direction et de gestion de l’entreprise et donc du pouvoir de décision de l’employeur de déterminer la meilleure politique à suivre en termes d’investissement et de développement commercial, sans que l’URSSAF puisse s’immiscer dans la gestion de l’entreprise :
« Pour apprécier la nature de ces frais, l’URSSAF ne peut s’immiscer dans la politique décidée par le dirigeant dès lors que celle-ci s’insère dans une politique commerciale, même malheureuse ou avec peu ou pas de retombées économiques, et même si ce dirigeant fait appel à de filiales de son groupe ».
C’est un principe qui avait déjà été posé par la cour d’appel de Paris dans un précédent arrêt (CA Paris, 22 juin 2017, n° 15/07955).
Il est bien évidemment essentiel puisqu’il s’oppose à l’appréciation discrétionnaire des contrôleurs de l’URSSAF sur l’opportunité pour l’entreprise d’engager telles ou telles dépenses.
Ainsi, l’URSSAF ne peut pas contester la qualification de frais d’entreprise du seul fait que les dépenses seraient sans lien avec l’activité professionnelle de l’entreprise ou encore au motif que l’impact économique de ces dépenses ne serait pas justifié.
Cela rejoint l’analyse faite en matière fiscale s’agissant de la déductibilité de la dépense. En effet, il a été jugé que sont exonérées les dépenses résultant de l’entretien, par une société de conditionnement et de cosmétologie, d’une « écurie » de voitures de compétition ordinairement pilotées par le principal actionnaire et portant les marques de certains des produits qu’elle commercialise (Conseil d’Etat, 21 janvier 1991, n° 75070).
La cour d’appel de Paris ajoute que l’intérêt pour l’entreprise d’engager les frais litigieux doit néanmoins être établi. Elle estime que cette preuve requiert, par référence à la circulaire du 7 janvier 2003, de justifier pour chaque frais « non seulement du nom des bénéficiaires mais aussi de leur qualité au sein d’entreprises tierces » et de pouvoir rapprocher les noms de ces bénéficiaires de clients actuels ou potentiels. Il convient donc, en cas de contentieux, de produire des pièces probantes sur ce point.
Quel est le périmètre de contrôle de l’URSSAF ?
On peut déduire de cet arrêt que le contrôle de l’URSSAF porte limitativement sur :
-
- la réalité de l’engagement de la dépense ;
-
- l’existence de l’intérêt de cette dépense pour l’entreprise qui résulte non pas de la nature de la dépense, ou de son lien avec l’activité de l’entreprise, mais du lien entre le bénéficiaire effectif et un client actuel ou potentiel, sachant que le bénéficiaire doit être dûment identifié par son nom et sa qualité au sein de ce client actuel ou potentiel.
A noter également que la Cour ne répond pas à la critique de l’URSSAF sur l’absence de caractère exceptionnel. Il faut rappeler à ce sujet que la cour d’appel de Paris avait déjà statué sur le fait que le caractère exceptionnel des frais d’entreprise n’induit pas nécessairement une irrégularité de l’engagement de ces frais (CA Paris, 15 mars 2019, n° 15/02659). Elle n’a pas modifié sa position sur ce point.
Par ailleurs, il faut souligner que dans ce dossier, il n’était pas question de l’application de la réglementation des avantages alloués à un salarié par une personne tierce n’ayant pas la qualité d’employeur (article L.242-1-4 du Code de la sécurité sociale). En effet, cette réglementation ne s’applique que dans un cadre bien spécifique : lorsque l’avantage est alloué à ce salarié « en contrepartie d’une activité accomplie dans l’intérêt » du tiers. Elle ne s’étend pas aux cadeaux clientèle qui revêtent la nature de frais d’entreprise.
Signalons enfin un autre apport de cet arrêt de la cour d’appel de Paris, sur la question des frais de déplacement professionnel du PDG au moyen de véhicules dits d’exception (type Audi R8, Porsche et Maserati) et d’hélicoptère.
La chose peut faire sourire mais elle n’en demeure pas moins sérieuse. Quelle est là aussi la limite du contrôle de l’URSSAF ?
La Cour indique sur ce sujet que l’entreprise doit apporter :
-
- la preuve de la nature professionnelle du déplacement (rendez-vous professionnel, en agence ou en extérieur) ; le fait que ce déplacement soit effectué par le PDG étant insuffisant à faire présumer de son caractère professionnel ;
-
- la preuve que le client visité est un client « haut de gamme » dès lors que le déplacement est effectué par un dirigeant d’entreprise au moyen d’un véhicule de luxe.
Sur ce dernier point, on peut y voir, comme en matière fiscale, une limite à respecter s’agissant du montant de la dépense au regard de l’intérêt qu’elle représente pour l’entreprise.
La liberté de gestion de l’entreprise, même si elle est reconnue, doit ainsi respecter certaines limites.
Article publié dans Les Echos Executives le 05/08/2020
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