Le don de jours de congés ou de repos, outil de solidarité intra-entreprise et envers les soignants
10 juin 2020
Face à une situation exceptionnelle émerge souvent une énergie créative. Ainsi, depuis le début de la crise sanitaire, un certain nombre d’accords d’entreprise ont été conclus en vue d’instituer des mesures de financement d’associations de lutte contre le Covid-19 et de solidarité entre les salariés ou à l’égard des personnels soignants par des systèmes de don de jours de congés ou de repos. De telles initiatives, nées au sein des entreprises, n’ont pas tardé à trouver une résonance dans le processus législatif. État des lieux.
Une grande diversité parmi les accords conclus
Les accords conclus par les entreprises sont de deux types :
-
- les accords instituant une solidarité entre les salariés de l’entreprise pour réduire les conséquences financières de l’activité partielle (solidarité intra-entreprise). Cela vise essentiellement les entreprises de la métallurgie compte tenu des dispositions de l’accord de branche prévoyant le maintien à 100 % de la rémunération des seuls salariés cadres placés en activité partielle. Il peut s’agir notamment de la création d’un fonds de solidarité, alimenté par un prélèvement ou un don de jours de congés ou de repos, permettant d’allouer un complément de rémunération aux salariés en chômage partiel qui ne bénéficient pas du maintien intégral de leur rémunération ;
-
- les accords instituant des dons de jours de repos pour le financement d’associations de lutte contre le Covid19 ou au profit des personnels soignants (solidarité externe). Au sein de ces accords, deux types de mesures peuvent être identifiées :
– les mesures incitatives à la pose de jours de congés ou de repos pendant des périodes de ralentissement de l’activité, l’employeur s’engageant à verser une somme pour chaque jour posé à une association de lutte contre le Covid-19 ou au profit des personnels soignants ;
– la mesure ouvrant la possibilité de faire un don de jours de congés ou de repos lesquels seront ensuite monétisés et reversés, le cas échéant en sus d’un abondement de l’entreprise, à une association de lutte contre le Covid-19 ou au personnel soignant.
Un cadre juridique inadapté
L’émergence de ces accords d’un genre nouveau amène à s’interroger sur leur compatibilité avec le cadre juridique existant.
Aujourd’hui, les dispositions légales ne permettent le don de jours de repos qu’au bénéfice d’un autre salarié de l’entreprise et dans les cas suivants :
-
- don de jours de repos à un parent d’enfant malade[1] ;
- don de jours de repos à un proche aidant[2] ;
- don de jours de repos à un salarié réserviste[3].
Par ailleurs, la monétisation des jours de congés n’est en principe possible qu’au moment de la rupture du contrat de travail par le versement d’une indemnité compensatrice pour les congés non pris[4]. Dans les autres cas, les congés doivent être pris ou sont perdus.
S’agissant des jours de congés placés sur le compte épargne temps, il est également précisé par la loi que l’utilisation des droits versés sur le compte épargne temps au titre du congé annuel, sous forme de complément de rémunération, n’est autorisée que pour ceux de ces droits correspondant à des jours excédant la durée des congés payés annuels de 30 jours[5].
Enfin, la prise des jours de congés et de repos répond à un objectif de santé publique dont l’employeur doit être le garant en vertu notamment de son obligation de sécurité de moyen renforcée.
On le voit, les dispositions légales en vigueur n’autorisent aujourd’hui le don de jours de congés ou de repos que dans des cas limités et uniquement entre les salariés d’une même entreprise.
Par ailleurs, elles limitent aussi strictement les possibilités de monétisation de ces jours. On ne peut donc exclure que les dispositifs qui ont vu le jour pendant la crise sanitaire puissent entraîner un risque de contentieux individuel. Ce risque paraît cependant relativement faible si les dispositifs en question ont été mis en place par accord collectif et si leur mise en œuvre s’effectue exclusivement sur la base du volontariat.
Au-delà du droit du travail, la vigilance est également de mise en ce qui concerne le traitement social et fiscal. Même si c’est l’employeur qui facialement procède au don, par exemple, à une association luttant contre le Covid-19, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une somme qui a la nature d’un salaire et qui a priori entre, à un instant de raison, dans le patrimoine du salarié. A ce titre, il semble qu’il y ait lieu de considérer qu’il s’agit d’une somme cotisable et imposable au titre de l’impôt sur le revenu.
Enfin, on peut s’interroger sur le fait de savoir si de tels dispositifs prévoyant le don de jours de congés ou de repos sous une forme monétisée à des associations ou des fondations ouvrent droit pour le salarié à l’origine du don à la réduction d’impôt prévue par l’article 200 du Code général des impôts, même s’il n’est pas formellement l’auteur du don à l’association. Cela nous semble envisageable, mais au prix d’un suivi rigoureux de chaque don par l’entreprise.
Des évolutions législatives imminentes
L’énergie créative des entreprises a donné lieu à un frémissement législatif.
Plusieurs propositions de textes ont en effet vu le jour :
- Une première proposition de loi instaurant un don de jours de repos pour les personnels soignants, avait été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale, le 7 avril 2020.
Cette proposition de loi prévoyait que tout salarié pouvait, à sa demande et en accord avec son employeur, renoncer anonymement et sans contrepartie à tout ou partie de ses jours de repos non pris, qu’ils aient été ou non affectés sur un compte épargne temps, au bénéfice des personnels soignants hospitaliers ou libéraux exerçant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ou en maison de retraite. Le texte prévoyait que ce don pouvait être monétisable pour les bénéficiaires qui en feraient la demande en les échangeant contre l’équivalent de rémunération du donneur versée par l’employeur de ces derniers sous forme de prime. Cette proposition semble avoir été abandonnée ;
- Une deuxième proposition de loi, permettant le don de congés payés sous forme de chèques‑vacances aux membres du secteur médico‑social en reconnaissance de leur action durant l’épidémie de Covid‑19, a été déposée à l’Assemblée nationale, le 19 mai 2020.
Celle-ci prévoit la possibilité de déroger aux dispositions légales et conventionnelles applicables à la prise des jours de repos dans le cadre des conventions de forfait en heures ou en jours. Ainsi, un salarié pourrait, à sa demande et en accord avec l’employeur, renoncer sans contrepartie, dans une limite déterminée par décret, à des jours de repos acquis et non pris, qu’ils aient été affectés ou non sur un compte épargne temps, en vue de leur monétisation pour financer des chèques‑vacances au bénéfice d’agents publics et de salariés exerçant en structures ou établissements publics et privés des secteurs sanitaire et médico‑social. Cette proposition de loi a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, le 2 juin 2020. Le texte adopté précise notamment que les dons n’ouvriront droit à aucune réduction d’impôt ;
- Enfin, le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, adopté en commission mixte paritaire le 2 juin 2020, permet, par accord collectif, la mise en œuvre de deux mécanismes visant à compenser les pertes de rémunération subies par les salariés placés en activité partielle.
Le premier permettrait à l’employeur d’organiser une solidarité entre les salariés de l’entreprise, en imposant aux salariés placés en activité partielle et dont la rémunération a été intégralement maintenue en vertu de stipulations conventionnelles d’affecter des jours de repos ou de congés à un fonds de solidarité dont la monétisation permettrait de compenser tout ou partie de la diminution de rémunération subie par les autres salariés de l’entreprise placés en activité partielle.
Le second reposerait sur le volontariat des salariés et autoriserait la monétisation des jours de repos conventionnels ou d’une partie des congés annuels excédant 24 jours ouvrables, sur demande d’un salarié placé en activité partielle en vue de compenser tout ou partie de la diminution de rémunération qu’il a subie. Ces dispositions produiraient un effet rétroactif au 12 mars 2020.
Comme ce fut le cas du don de jours de repos au parent d’un enfant gravement malade, la pratique des entreprises est une nouvelle fois en passe de faire évoluer le droit. La loi légitimera peut-être a posteriori des dispositifs qui – au moment où ils ont été mis en place – n’étaient pas conformes à l’arsenal législatif.
La boucle est bouclée.
(1) C. trav. art L. 1225-65-1
(2) C. trav. art L. 3142-25-1
(3) C. trav. art. L. 3142-94-1
(4) C. trav. art. L. 3141-28
(5) C. trav. L. 3151-3
Article publié dans Les Echos Executives le 10/06/2020
A lire également
L’ordonnance portant mesures d’urgence en matière d’activité... 30 mars 2020 | CMS FL Social
Suspension du contrat de travail d’un salarié : peut-il travailler pour une a... 27 avril 2020 | CMS FL Social
Covid-19 : validité des délais de consultation réduits du CSE sur les mesures... 23 juin 2020 | CMS FL Social
L’obligation vaccinale contre la Covid-19 des professionnels de santé et ... 15 mai 2023 | Pascaline Neymond
Mise en place du « flex office » : les bonnes questions à se poser... 5 juillet 2021 | Pascaline Neymond
Covid-19 : renforcement des contrôles de l’inspection du travail dans la mise... 9 février 2021 | CMS FL Social
Mise en place du CSE : le sort des mandats 2019... 2 janvier 2019 | CMS FL
L’inclusion, un nouveau défi pour les entreprises... 28 mai 2021 | Pascaline Neymond
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?
Commentaires