Appréciation stricte de la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise
4 janvier 2021
Le comportement de l’employeur peut-il priver un licenciement de cause économique ?
Dans un arrêt Pages Jaunes du 4 novembre 2020, publié au bulletin (Cass. soc. 4 novembre 2020, n°18-23.029 à 18-23.033), la Cour de cassation pose le principe selon lequel la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation, est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation.
Toutefois, la Cour de cassation prend soin de préciser que l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle-seule une telle faute.
En principe, il n’appartient pas au juge de contrôler les choix de gestion effectués par l’employeur.
Selon la définition légale du licenciement pour motif économique, telle qu’elle résulte des « Ordonnances Macron », constitue un licenciement pour motif économique, celui effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à :
-
- des difficultés économiques (1°) ;
-
- des mutations technologiques (2°) ;
-
- une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité (3°) ;
-
- la cessation d’activité de l’entreprise (4°).
En cas de contestation du motif économique invoqué à l’appui d’un licenciement, le rôle des juges doit en principe se limiter à vérifier que le motif invoqué à l’appui du licenciement répond à cette définition légale et est, à la fois, réel et sérieux.
Ainsi, le juge prud’homal n’a pas à opérer de contrôle sur les choix de gestion de l’employeur.
Cette règle a été très clairement posée dans une décision du 8 décembre 2000 rendue en assemblée plénière.
Dans cette affaire, il avait été constaté que la réorganisation de l’entreprise, ayant entraîné des suppressions d’emplois, était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe auquel elle appartenait.
La cour d’appel de Riom avait considéré que les licenciements prononcés étaient néanmoins sans cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur aurait pu prendre une autre mesure impliquant moins de licenciements pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise.
Cette décision avait été censurée par la Cour de cassation au motif qu’il n’appartenait pas à la Cour d’appel de contrôler le choix effectué par l’employeur entre les solutions possibles.
L’employeur reste donc en principe libre de décider des solutions à prendre pour sauvegarder sa compétitivité.
Encore faut-il pour l’employeur ne pas avoir commis de faute à l’origine de la cause économique du licenciement
Il est de jurisprudence constante que la faute ou la légèreté blâmable de l’employeur, telle une attitude intentionnelle et frauduleuse (Cass. soc, 13 janvier 1993), ayant conduit à des difficultés économiques ou à la cessation d’activité de son entreprise, est susceptible de remettre en cause les licenciements économiques prononcés pour ces raisons.
Récemment, la jurisprudence a précisé le fait que la cessation d’activité de l’entreprise résulte de sa liquidation judiciaire ne prive pas le salarié de la possibilité d’invoquer l’existence d’une faute de l’employeur à l’origine de cette cessation d’activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 8 juillet 2020).
Dans l’arrêt Pages Jaunes du 4 novembre 2020, la Cour de cassation avait également à se prononcer sur cette question mais cette fois le motif économique invoqué à l’appui des licenciements notifiés aux salariés concernés, était la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
Dans cette affaire, plusieurs salariés avaient été licenciés pour motif économique après avoir refusé la modification de leur contrat de travail proposée dans le cadre de la réorganisation de l’entreprise ayant donné un plan de sauvegarde de l’emploi.
Ces derniers avaient contesté le motif économique de leur licenciement faisant valoir que celui-ci avait pour origine la faute de leur employeur.
La cour d’appel de Caen leur avait donné raison au motif que « le péril encouru en 2014 par la compétitivité de l’entreprise au moment de la mise en œuvre de la procédure de licenciement n’est pas dissociable de la faute de la société Pages Jaunes, caractérisée par des décisions de mise à disposition de liquidités empêchant ou limitant les investissements nécessaires, ces décisions pouvant être qualifiées de préjudiciables comme prises dans le seul intérêt de l’actionnaire, et ne se confondant pas avec une simple erreur de gestion ».
La Cour de cassation censure la décision de la Cour d’appel, au visa de l’article L.1233-3 (dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016) et fixe les règles suivantes :
« La faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise rendant nécessaire sa réorganisation est de nature à priver de cause réelle et sérieuse les licenciements consécutifs à cette réorganisation ».
L’on pouvait se demander si le rôle éventuel de l’employeur serait également examiné lorsque la cause économique de licenciement invoquée serait la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité (L.1233-3, 3°).
Sans surprise, la Cour de cassation répond par l’affirmative et étend ainsi sa jurisprudence rendue en matière de difficultés économiques (L.1233-3, 1°) et de cessation d’entreprise (L. 1233-3, 4°), à cette troisième cause économique de licenciement.
Ainsi, quelle que soit la raison économique invoquée à l’appui du licenciement, le juge devra contrôler que celle-ci n’a pas pour origine la faute de l’employeur. Si tel est le cas, le licenciement devra être considéré comme injustifié.
Mais précise immédiatement la Cour de cassation : « l’erreur éventuellement commise dans l’appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion ne caractérise pas à elle seule une telle faute ».
A cet égard, la cour d’appel de Caen avait émis de vives critiques à l’encontre de la société Pages Jaunes.
Pourtant, en l’espèce, selon la Cour de cassation, la faute de l’employeur n’était pas établie car ces motifs étaient insuffisants à caractériser la faute de l’employeur à l’origine de la menace pesant sur la compétitivité de l’entreprise.
L’intérêt de cette décision réside dès lors dans la rigueur imposée aux juges du fond par la Cour de cassation dans l’appréciation de la faute de gestion – le principe restant que le juge ne doit pas s’immiscer dans la gestion de l’entreprise (même si l’on peut se demander, si en contrôlant le rôle joué par l’entreprise dans les difficultés économiques rencontrées, le juge ne s’immisce pas nécessairement dans les choix de gestion de l’entreprise).
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la décision récente de la Cour de cassation en matière de co-emplois aux termes de laquelle cette fois encore, la Cour invite les juges du fond à faire preuve de rigueur dans l’appréciation d’une situation de co-emplois (Cass. soc. 25 novembre 2020). Ces rappels à l’ordre sont les bienvenus.
Article publié dans Les Echos le 04/01/2021
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