Le contenu posté par un salarié sur un réseau social peut-il justifier son licenciement pour faute ?
6 novembre 2020
Comme l’a parfaitement illustré l’affaire du « Slip Français » en début d’année, les entreprises sont de plus en plus souvent confrontées à des difficultés relatives à la publication, par certains de leurs salariés, de contenus sur les réseaux sociaux, liés ou non à leur activité professionnelle. Mais pour licencier un salarié pour la publication de contenus inappropriés, encore faut-il que l’employeur ait obtenu la preuve de ces agissements de manière régulière. Focus sur les précisions innovantes apportées par la Cour de cassation en matière de preuve extraite du profil d’un salarié sur un réseau social (Cass. soc., 30 sept. 2020, n° 19-12.058).
Quand un événement de la vie personnelle justifie le licenciement disciplinaire du salarié…
L’article 9 du Code civil et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme érigent au rang de liberté fondamentale le droit de chacun au respect de sa vie privée. Sur ce fondement, le juge a admis de longue date que l’employeur ne peut sanctionner un salarié pour des faits relevant de sa privée (Cass. soc., 20 nov. 1991, n° 89-44.605). Néanmoins, la frontière entre ce qui relève de la vie privée et ce qui a trait à la vie professionnelle est parfois difficile à tracer :
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- d’un côté, la seule circonstance que les faits se soient produits en dehors du temps et du lieu de travail ne saurait à elle seule suffire à leur conférer un caractère privé ;
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- de l’autre, certains événements ayant lieu aux temps et lieu de travail relèvent pourtant de la vie personnelle du salarié (Cass. soc., 2 oct. 2001 n° 99-42-942).
Depuis le début des années 2000, l’explosion des nouvelles technologies a rendu plus poreuse encore la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Confrontée à ces nouvelles problématiques, la Chambre sociale de la Cour de cassation a été progressivement amenée à en préciser les contours.
Elle a ainsi jugé que les messages électroniques, SMS, dossiers, fichiers créés ou échangés par les salariés au moyen des outils mis à leur disposition par leur employeur, sont présumés avoir un caractère professionnel, à moins qu’ils aient clairement été identifiés comme personnels.
Plus particulièrement depuis quelques années, et comme l’a parfaitement illustré l’affaire du « Slip Français » qui a conduit en début d’année à la mise à pied de deux salariés pour avoir diffusé sur Instagram une vidéo à connotation raciste réalisée lors d’une soirée privée, les entreprises sont de plus en plus confrontées à des affaires relatives à la publication par leurs salariés de contenus liés ou non à leur activité professionnelle sur les réseaux sociaux et susceptibles de générer soit un préjudice d’image lourd pour l’entreprise, soit un trouble au sein de celle-ci.
Ainsi, les propos tenus par le salarié à l’encontre de l’employeur sur les réseaux sociaux auront un caractère public ou privé selon que leur auteur a entendu limiter ou non l’étendue de leurs destinataires. C’est ainsi qu’il a été jugé que relevaient d’une conversation privée, les propos diffusés sur son compte Facebook par une salariée, qui ne sont accessibles qu’à un groupe fermé de 14 personnes agréées par cette dernière (Cass. soc., 12 sept. 2018, n° 16-11.690).
Néanmoins, même lorsque les faits relèvent de la vie personnelle du salarié, celui-ci ne saurait de ce seul fait bénéficier d’une immunité totale, quelles que soient les circonstances. En effet, si la jurisprudence pose en principe qu’un fait tiré de la vie personnelle ne peut ni caractériser une faute, ni justifier en lui-même un licenciement, la protection des intérêts de l’entreprise peut parfois justifier qu’un tel fait puisse être retenu à l’appui d’une mesure de licenciement en raison du trouble objectif qu’il crée dans l’entreprise, mais aussi dans certains cas , pour motif disciplinaire.
Il en est ainsi notamment lorsque les faits en cause se rattachent à la vie professionnelle ou lorsqu’ils constituent un manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail, telle que, notamment, l’obligation de loyauté (Cass. soc., 18 mars 2003, n°01-41.343).
Tel était le cas dans l’arrêt du 30 septembre 2020, puisqu’il était reproché à la salariée d’avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection de la marque présentée exclusivement aux commerciaux de la société, laquelle n’était pas censée être rendue publique, ce qui avait entrainé son licenciement pour faute grave.
Restait à déterminer si les conditions dans lesquelles l’employeur avait eu connaissance de cette publication sur un compte privé dont la salariée avait réservé l’accès à un nombre réduit de personnes, étaient régulières.
…à la condition que la preuve ait été régulièrement obtenue
En premier lieu, rappelons qu’en droit du travail, la preuve est libre et peut en principe être rapportée par tous moyens à condition toutefois qu’il ne soit pas porté atteinte à la vie privée du salarié (Cass. soc., 14 mai 1997, n°94-45.473).
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, l’employeur avait eu connaissance de la diffusion de la photographie litigieuse sur le compte Facebook de la salariée par l’un de ses « amis » travaillant au sein de la société, c’est-à-dire par l’une des personnes qu’elle avait expressément autorisée à accéder à son compte. La salariée contestait la recevabilité de cette preuve au motif qu’il s’agissait d’informations figurant dans un compte privé « non accessible à tout public mais uniquement aux personnes que cette dernière avait accepté de voir rejoindre son réseau », de sorte que l’employeur ne pouvait y avoir accès sans son accord, sauf à porter une atteinte disproportionnée et déloyale au droit au respect de sa vie privée.
La Chambre sociale refuse de suivre la salariée dans son argumentation. Elle rappelle tout d’abord la jurisprudence constante selon laquelle, en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve. Il a ainsi notamment été jugé que :
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- constitue un moyen de preuve illicite le fait pour un employeur d’avoir dépêché plusieurs cadres de l’entreprise dans le restaurant exploité par l’épouse du salarié, qui s’étaient présentés comme de simples clients sans révéler ni leur qualité ni le but de leur visite, pour établir l’abandon de poste de celui-ci (Cass . soc., 18 mars 2008, n° 06-45.093) ;
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- constitue un stratagème le fait pour un employeur d’avoir introduit des lettres dites « festives » présentant la particularité de diffuser une encre bleue à l’ouverture, dans la tournée d’une salariée de La Poste soupçonnée de détourner des courriers, ce qui avait permis de confondre rapidement l’auteur des agissements frauduleux (Cass. soc., 4 juill. 2012, n°11-30.266).
Dans de telles circonstances, la preuve obtenue par un procédé clandestin et déloyal doit être écartée, ce qui a pour effet, à défaut d’autre moyen de preuve, de rendre le licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, la Cour décide que la publication litigieuse ayant été spontanément communiquée à l’employeur par une autre salariée de l’entreprise, autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de la salariée, aucun procédé déloyal n’avait été utilisé. Il est vrai qu’il n’était pas allégué dans cette affaire que l’employeur soit intervenu de quelque façon afin de faire pression sur la salariée en vue d’obtenir la preuve requise, ce qui aurait sans doute modifié l’appréciation des juges.
En second lieu, s’agissant de l’atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée invoquée par la salariée, la Cour apporte une solution innovante. Elle juge qu’aux termes des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 9 du code civil et de l’article 9 du code de procédure civile, le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à condition toutefois que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Ainsi, s’il ne fait guère de doute que l’accès de l’employeur aux informations contenues sur un réseau social privé constituait une atteinte à la vie privée du salarié, il convenait de vérifier si elle était justifiée au regard de ces deux principes.
Sur ce point la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui, pour décider que la production de ces éléments était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi (soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires), a retenu que l’employeur s’était borné à produire la photographie de la future collection de la société publiée par l’intéressée sur son compte Facebook et le profil professionnel de certains de ses « amis » travaillant dans le même secteur d’activité et n’avait fait procéder à un constat d’huissier que pour contrecarrer la contestation de la salariée quant à l’identité du titulaire du compte.
Ainsi, les contours du cadre juridique sont désormais dessinés :
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- les salariés se doivent d’être toujours plus prudents quant aux personnes auxquelles ils donnent accès à leur profil sur les réseaux sociaux, aux contenus qu’ils y diffusent, qu’ils soient en rapport ou non avec leur activité professionnelle, voire tout simplement aux contenus dans lesquels ils apparaissent sur ces réseaux ;
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- les employeurs pourront se prévaloir des informations diffusées sur les réseaux sociaux sans aucune restriction d’accès comme de celles qui, malgré de telles restrictions, leur seraient rapportées volontairement par une personne habilitée à les visionner, à condition que les informations produites se limitent aux seuls éléments indispensables à la défense de leurs intérêts dans le cadre du litige.
Article publié dans Les Echos Executives le 06/11/2020
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