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Crédits d’impôts conventionnels : de nouvelles précisions sur l’application de la règle du butoir

Crédits d’impôts conventionnels : de nouvelles précisions sur l’application de la règle du butoir

Deux jurisprudences récentes se sont prononcées sur l’interprétation de la règle française du butoir défendue par l’administration fiscale, selon laquelle l’impôt théorique doit être calculé sur un montant net des charges nécessaires à l’acquisition des revenus en cause. Si la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé la conformité de cette interprétation au principe de libre circulation des capitaux, la cour administrative d’appel de Versailles l’a en partie infirmé pour l’application des conventions fiscales.

  1. La règle du butoir est compatible avec le droit de l’Union européenne selon la CJUE

Le Conseil d’État a transmis une question préjudicielle à la CJUE consistant à savoir si la règle française du butoir, telle qu’elle résulte des dispositions de l’article 220, 1 du CGI, combinées avec celles des conventions internationales auxquelles elles renvoient, était compatible avec le respect de la liberté de circulation des capitaux[1].

La CJUE a répondu positivement en considérant que la France n’exerce pas sa compétence fiscale de manière discriminatoire dès lors qu’il n’apparaît pas que les dividendes distribués par les sociétés étrangères subissent une imposition à l’IS plus lourde que celle à laquelle sont soumis les dividendes de source nationale[2]. Certes, elle ne nie pas l’existence d’un désavantage résultant de la double imposition des dividendes de source étrangère dans la mesure où l’impôt étranger est calculé sur le montant brut des revenus imposables tandis que le plafonnement de l’imputation du crédit d’impôt est calculé sur une base nette. Pour autant, elle considère que cette insuffisance d’imputation du crédit d’impôt résulte de la liberté de chaque État membre de définir l’assiette imposable dans le respect du droit de l’UE.

Ce faisant, la CJUE introduit une distinction subtile entre un désavantage et une discrimination. En l’occurrence, le plafonnement de l’imputation du crédit d’impôt constitue certes un désavantage (en ce qu’il ne permet pas de compenser totalement l’impôt acquitté dans l’État d’origine des revenus) mais pas une discrimination contraire au droit de l’UE, dès lors qu’il résulte selon la CJUE de l’exercice combiné des souverainetés fiscales de deux États membres et non de la législation fiscale de l’un d’entre eux. Ce n’est donc que dans l’hypothèse où il serait démontré que les modalités de calcul du butoir conduisent à une discrimination résultant de la seule législation française qu’une méconnaissance du droit de l’UE pourrait selon nous être mise en évidence.

Bien que le Conseil d’Etat ait récemment repris la portée de cet arrêt de la CJUE sur la règle du butoir dans le cadre d’une opération de prêt de titres[3], le débat concernant la compatibilité de la règle du butoir au droit de l’UE pourrait alors encore susciter quelques rebondissements.

  1. L’interprétation par l’administration de la règle du butoir est jugée en partie contraire aux conventions fiscales

Par son arrêt BNP Paribas du 16 décembre 2020, la CAA de Versailles s’est prononcée sur certains points inédits relatifs aux modalités d’application de la règle du butoir en présence d’intérêts bancaires[4]. En l’espèce, la banque française avait accordé des prêts assortis d’intérêts à ses succursales situées en Chine, en Inde, aux Philippines, à Singapour et en Thaïlande pour financer le développement de leurs activités.

Cet arrêt constitue la poursuite d’un contentieux où le Conseil d’État avait reconnu que les sommes versées par une succursale bancaire à son siège en France peuvent être qualifiées d’intérêts au sens des conventions fiscales et ouvrir droit à crédit d’impôt en France[5]. Dans cet arrêt de renvoi, l’enjeu était désormais de savoir si le mécanisme du butoir devait s’appliquer sur le montant brut ou net des intérêts versés. Alors que l’administration estimait que le mécanisme ne s’applique que sur le montant net des intérêts de source étrangère, la cour a retenu une solution distincte en fonction de la rédaction de chacune des conventions fiscales en litige.

  • Transposition aux intérêts de la jurisprudence du Conseil d’État relative aux dividendes

Considérant que les intérêts versés par les succursales à leur siège ne constituaient pas des revenus de capitaux mobiliers au sens de l’article 220, 1 du CGI, la CAA a été conduite à se référer uniquement aux conventions fiscales applicables au litige pour déterminer les modalités d’application de la règle du butoir.

Pour ce faire, la cour a transposé aux intérêts l’approche retenue par le Conseil d’État pour l’application du mécanisme du butoir en présence de dividendes, en dépit de l’inapplicabilité de l’article 220 du CGI[6]. Elle a ainsi considéré qu’il résulte de l’article 209 du CGI que le montant de l’impôt français servant de butoir doit être déterminé en appliquant aux intérêts l’ensemble des dispositions du CGI applicables en matière d’IS. Ainsi, il convient en principe, au regard du droit interne, de déduire du montant brut des intérêts l’ensemble des charges directement liées aux opérations de prêt conclues entre le siège de la banque et ses succursales. La cour a toutefois examiné la rédaction de chacune des conventions applicables au litige pour déterminer au cas par cas si des stipulations contraires étaient susceptibles de faire obstacle à l’application de cette règle.

S’agissant des conventions conclues avec Singapour, l’Inde, la Thaïlande et les Philippines, elle a considéré que l’application du butoir devait se faire sur un montant net aux motifs que ces conventions « ne prévoient pas que les intérêts provenant de ces États sont imposables en France pour leur montant brut et que le montant maximal du crédit d’impôt doit être déterminé à partir de ce montant brut ».

Cette solution suscite des interrogations. En effet, les conventions en cause faisaient simplement référence à la notion de « revenus » sans préciser s’il s’agissait de revenus nets ou bruts. Or, en l’absence de dispositions contraires, cette notion devrait être regardée comme renvoyant aux revenus bruts en application du principe selon lequel les conventions fiscales s’interprètent conformément à leur lettre et à la lumière de leur objet et de leur but. Selon ce principe, les États souhaitant faire référence à un revenu net devraient ainsi le mentionner expressément dans la convention, ce que la convention fiscale franco-thaïlandaise avait d’ailleurs pris soin de faire s’agissant des intérêts versés à un résident thaïlandais, par opposition aux intérêts versés à un résident français (comp. 2, b) et 1, b) de l’article 22 de la convention).

La cour a retenu une solution inverse s’agissant de la convention franco-chinoise de 1984 dès lors que les stipulations de cette convention faisaient expressément référence à une imposition en France des revenus pour leur montant brut. Il en résultait que le butoir était égal à l’impôt français correspondant à la totalité des revenus[7]. Tel n’est cependant plus le cas aujourd’hui, puisque la convention franco-chinoise de 2013 vise désormais les revenus nets.

  • Précision sur la tolérance pour les banques percevant des revenus de créances

À supposer même que la règle du butoir s’applique sur le montant net des intérêts, la banque faisait valoir que les imprimés 2066 déposés au titre des exercices litigieux justifiaient que les crédits d’impôt qu’elle avait imputés avaient été calculés à partir d’un montant net de charges. À ce titre, elle se prévalait de la doctrine administrative qui permet aux banques, à titre de mesure de simplification, de faire masse des intérêts perçus de l’ensemble du secteur « hors France » et des charges de refinancement afférentes pour le calcul de l’impôt français correspondant aux revenus étrangers, qui sert de « butoir » à l’imputation des crédits d’impôt conventionnels (alors qu’en principe, le calcul devrait se faire pays par pays et revenu par revenu)[8].

En effet, dans la pratique, la balance des intérêts des établissements de crédit permet systématiquement d’imputer l’ensemble des crédits d’impôt étrangers afférents aux revenus de créances. Compte tenu du volume très significatif des transactions qu’ils réalisent, il a donc été admis de ne pas leur imposer la production d’une balance par secteur.

Bien que la cour ait admis l’opposabilité de cette doctrine, elle a toutefois considéré que cette tolérance ne dispensait pas la banque de démontrer que les crédits d’impôt imputés sur son IS, figurant sur les imprimés 2066, ont été calculés à partir d’un montant d’intérêt net de charges et n’excédaient pas le montant de l’impôt français correspondant aux intérêts versés par ses succursales.

C’est donc, en l’état actuel de la jurisprudence de la CJUE, moins dans le droit de l’UE que dans les conventions fiscales et la doctrine qui les commente que les contribuables pourront placer leurs espoirs d’obtenir un assouplissement de la règle du butoir.

Article paru dans Option Finance le 14/06/2021

[1] CE plén., 24 avril 2019, n° 399952, Sté générale.

[2] CJUE 25 février 2021 aff. 403/19, Sté Générale SA.

[3] CE, 11 mai 2021, n° 403692, Sté HSBC Bank Plc Paris Branch.

[4]    CAA Versailles, 16 décembre 2020, n19VE02589, Sté BNP Paribas.

[5]    CE, 10 juillet 2019, n° 418108, Sté BNP Paribas.

[6]    CE plén.,7 décembre 2015, no 357189 min. c/ Sté Crédit industriel et commercial. – CE plén., 24 avril 2019, n° 399952, Sté générale.

[7]    CE, 7 juin 2017, n° 386579, min. c/ Sté LVMH Moët Hennessy Louis Vuitton.

[8]    Instruction administrative no 14 B-1-76 du 1er avril 1976 reprise par le Bofip (BOI-IS-RICI-30-10-20-10 no 230).

Auteurs

Stéphane Austry, avocat associé en droit fiscal

Sarah Dardour-Attali, avocat counsel en droit fiscal