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Le Conseil d’Etat se prononce sur le traitement fiscal des management packages

Le Conseil d’Etat se prononce sur le traitement fiscal des management packages

Par trois décisions de plénière fiscale rendues le 13 juillet 2021, le Conseil d’Etat précise le sort fiscal des « management packages » à l’occasion de l’examen d’avantages issus de BSA ou d’options d’achat d’actions consentis à un prix préférentiel. Si la méthode de qualification des gains réalisés par les dirigeants ou salariés lors de « management packages » se trouve dans une certaine mesure clarifiée, de nombreuses incertitudes subsistent.

Ces décisions s’inscrivent dans le prolongement d’une jurisprudence qui laissait planer une certaine ambiguïté sur la qualification des gains réalisés par des dirigeants et managers dans le cadre notamment d’opérations de LBO, étant rappelé que la qualification de plus-value est parfois contestée par l’administration fiscale qui considère que ces gains constituent en réalité des traitements et salaires, ce qui conduit à une imposition plus lourde.

  1. Trois affaires de management packages jugées par le Conseil d’Etat

Dans la première affaire[1], un dirigeant s’est associé à plusieurs fonds dans une société holding en vue d’acquérir une société cible dont il est devenu directeur du développement. Des BSA ont été émis par la holding au profit du dirigeant pour un certain prix. Le contrat de souscription de ces BSA faisait dépendre tant la faculté d’exercer les bons que le nombre de ces derniers, en premier lieu, de l’obtention d’un TRI minimum à l’issue de l’opération de rachat de la société holding par un repreneur, en second lieu, de la réalisation par les investisseurs d’un multiple supérieur à 2 lors de la revente de leurs titres. Ces modalités permettaient, selon les termes du contrat de souscription de ces bons, d’opérer une « rétrocession » au manager d’une « super plus-value », le « manager » s’engageant pour sa part à ne pas céder les bons en dehors des cas limitativement prévus par le pacte d’actionnaires de la société holding. Deux ans plus tard, le dirigeant et l’ensemble des investisseurs ont cédé l’intégralité des titres de la Holding, et le dirigeant a également cédé ses BSA.

La seconde affaire[2] était relative à l’attribution de BSA à un dirigeant, suivie d’une convention d’options croisées d’achat et de revente des BSA avec prix garanti, conclue avec la société mère de la société ayant accordé les BSA. L’émission des BSA était par ailleurs liée à la mission du dirigeant chargé d’engager une démarche de restructuration et de redressement du groupe. Le dirigeant avait ensuite cédé ses BSA.

La troisième affaire[3] ne traitait pas de BSA mais d’une convention d’option d’achat d’actions, au prix unitaire d’un euro, accordée par une société mère au directeur financier d’une filiale, contre le versement d’une indemnité d’immobilisation de 15 000 €. Le nombre d’actions que le directeur financier était en mesure d’acquérir dépendait du TRI obtenu par la société mère qui avait consenti la convention d’achat avec le dirigeant. A la suite de restructurations, le dirigeant avait exercé l’option d’achat des actions et cédé lesdites actions quelques jours après.

Dans ces trois cas, les plus-values de cession des BSA ou des actions issues des options ont été soumises par les contribuables au régime des plus-values de cession, régime contesté par l’administration qui a imposé ces sommes dans la catégorie des salaires.

Le Conseil d’Etat établit une distinction – et dresse même une cloison étanche- entre l’avantage tiré de l’acquisition même des BSA ou des options d’achat pour un prix préférentiel et le sort des gains ultérieurement retirés par le contribuable lors de l’exercice des bons ou levée des options, ou lors de la cession des bons.

  1. L’avantage « à l’entrée » tiré de l’acquisition des BSA ou des options d’achat à des conditions préférentielles

Le principe énoncé par le Conseil d’Etat est que l’acquisition ou la souscription d’options d’achat ou de BSA à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition ou souscription est de nature à révéler l’existence d’un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur.

Si cet avantage trouve « essentiellement » sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou de salarié, il a le caractère d’un avantage accordé en sus du salaire, imposable au titre de l’année d’acquisition ou de souscription des options ou des bons dans la catégorie des traitements et salaires.

La Rapporteure publique au Conseil d’Etat, Mme Bokdam-Tognetti, reconnait dans ses conclusions communes aux trois arrêts que cette solution peut sembler sévère pour le contribuable, qui doit alors payer l’impôt à une date à laquelle les bons ou options ne sont pas encore « monétisables », mais elle ajoute que le contribuable dispose en contrepartie d’un avantage certain : celui de faire courir dès l’année de leur acquisition le délai de reprise de l’administration.

  1. Le gain « à la sortie » issu de l’exercice des bons, de la levée des options ou de la cession des titres issus des options ou de la cession des bons

Le Conseil d’Etat distingue ensuite deux types de gains à la sortie.

En premier lieu, le contribuable peut réaliser un gain d’exercice, lorsqu’il lève une option d’achat ou exerce un BSA. Ce gain est en principe égal à la différence entre la valeur réelle des actions à la date de levée d’option ou d’exercice du bon et le prix d’achat.

Il est imposable au titre de l’année de la levée de l’option ou de l’exercice du bon et constitue également un salaire au sens fiscal s’il trouve « essentiellement » sa source dans l’exercice par l’intéressé d’une fonction de dirigeant ou de salarié.

En second lieu, le contribuable peut céder un BSA sans l’exercer. Le gain réalisé à cette occasion est alors imposable « en principe » en tant que plus-value de cession de valeurs mobilières. Cette qualification fiscale n’est pas affectée par le faible risque initialement pris par le contribuable, ce risque n’influant que sur la valorisation du bon à l’entrée.

Le Conseil d’Etat juge toutefois que, par exception, le régime des plus-values ne s’applique pas lorsque, « eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé comme acquis, non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant».

La Rapporteure publique se refuse dans ses conclusions à dresser une liste exhaustive de ces possibles exceptions. Mais après y avoir inclus le cas où l’intéressé aura bénéficié d’un mécanisme de garantie de son prix de cession, elle prend soin de mentionner des indices susceptibles d’établir le lien entre le gain de cession et les fonctions de dirigeant ou de salarié qui, quoique relevant d’« hypothèses [..] très particulières, se rencontrent néanmoins dans les contextes de LBO » :

  • incessibilité des titres « jusqu’au dénouement du LBO» et « sans marge de manœuvre du dirigeant »,
  • « faculté de céder et d’exercer les bons subordonnée à la survenue d’un évènement consistant en une mutation portant sur l’intégralité des titres composant le capital de la société»,
  • « le nombre de bons effectivement exerçables par le manager et le nombre d’actions sous-jacentes pouvant résulter de l’exercice de ces bons seront déterminés en fonction du montant du produit de la cession des parts de la société par les associés, du montant de l’investissement global par les associés et de leur TRI»,
  • « les conventions désignent elles-mêmes, comme c’est le cas dans un des dossiers inscrits au présent rôle, le dispositif de BSA institué comme une « rétrocession de la super plus-value » des actionnaires »,
  • « la seule issue possible pour le dirigeant, hors accident de la vie, est ce partage de plus-value sans dénouement possible avant la revente de la société».

et de conclure qu’en présence de tels marqueurs, les instruments concernés ne constituent que le « ticket d’entrée dans un pur système de bonus dans lequel jusqu’au bout, cession incluse, l’employeur et les principaux actionnaires sont aux manettes » .

  1. De nombreuses questions en suspens

Si la méthode de qualification des gains réalisés par les dirigeants ou managers à l’entrée et à la sortie des « management packages » se trouve dans une certaine mesure clarifiée par les décisions du 13 juillet 2021, de nombreuses questions demeurent.

Ainsi, par exemple, le Conseil d’Etat précise qu’en vue d’éviter la double imposition du gain à l’entrée, le gain à la sortie devra être calculé en tenant compte de « l’avantage ayant été éventuellement imposé » à l’entrée. L’application pratique de cette modalité de calcul suscite certaines interrogations dans l’hypothèse où l’administration aura laissé s’écouler le délai de reprise afférent à l’imposition d’un gain salarial non déclaré à l’entrée.

Au-delà des interrogations purement techniques suscitées par les décisions commentées, il convient désormais de s’interroger sur la portée qu’il convient d’attribuer à ces décisions en présence de « management packages » structurés de façon différente de ceux visés dans les arrêts commentés, en particulier lorsque les intéressés auront investi, non dans des supports optionnels (de type BSA ou options d’achat), mais dans des supports actions (ordinaires et/ou de préférence) qui leur auront conféré les attributs d’un actionnaire « capitaliste » du début à la fin de leur investissement et/ou lorsque les titres souscrits n’auront pas été frappés d’incessibilité pendant toute cette même durée .

De façon quelque peu surprenante, le Conseil d’Etat reconnaît désormais qu’un mécanisme d’investissement générant chez les intéressés un risque réel de perte en capital peut malgré tout revêtir un caractère salarial s’il se dénoue favorablement. Cette position, qu’il faut vraisemblablement considérer comme acquise, ne peut qu’obliger à la réflexion sur la structuration future des « management packages » au regard de la nouvelle grille de lecture ainsi posée par la Haute-Juridiction. Mais cette grille de lecture reposant sur un « tout ou rien » et étant soumise à une appréciation au cas par cas, source par nature d’insécurité juridique, on peut aussi espérer que le Législateur soit amené à l’avenir à fixer des règles claires de taxation lorsque des salariés ou dirigeants décident d’investir « à risque » au capital de leur entreprise.

Article paru dans Option Finance le 13/09/2021

[1] CE, 13 juillet 2021, n° 435452

[2] CE, 13 juillet 2021, n° 437498

[3] CE, 13 juillet 2021, n° 428506

Auteurs

Laurent Hepp, Avocat associé en droit fiscal

Philippe Gosset, Avocat counsel en droit fiscal