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La nullité de la rupture conventionnelle comme condition de l’exonération fiscale de l’indemnité transactionnelle

La nullité de la rupture conventionnelle comme condition de l’exonération fiscale de l’indemnité transactionnelle

Dans une décision du 21 juin 2021 n° 438532, le Conseil d’Etat a rappelé le régime fiscal applicable à une indemnité transactionnelle conclue après une rupture conventionnelle, notamment lorsque cette dernière est nulle.

Un salarié et son employeur ont décidé de rompre leur relation de travail dans le cadre d’une rupture conventionnelle qui prévoyait le versement d’une indemnité de rupture d’un montant brut de 738749 euros. En complément et postérieurement à cette rupture conventionnelle, les parties ont conclu une transaction qui prévoyait le versement d’une indemnité transactionnelle fixée à hauteur de 430873 euros.

N’ayant pas déclaré ces sommes comme imposables dans le cadre de sa déclaration d’impôt sur le revenu, le requérant s’est vu infliger, à la suite d’un contrôle sur pièces, un redressement assorti de pénalités. L’administration fiscale a en effet considéré que l’indemnité transactionnelle devait être soumise à l’impôt, en tant que revenus salariaux.

Le requérant a contesté ce redressement devant les juridictions administratives. Il a soutenu que la rupture de son contrat de travail devait s’analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse et devait donc bénéficier des exonérations fiscales qui sont attachées aux indemnités versées dans ce cadre.

Tout comme la cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat, dans sa décision du 21 juin 2021, a donné tort au requérant.

 

Par principe : l’absence d’exonération sociale et fiscale d’une indemnité transactionnelle versée postérieurement à une rupture conventionnelle

Dans le cadre de sa décision, le Conseil d’Etat rappelle qu’une rupture conventionnelle, exclusive de licenciement ou de démission, dans le cadre de laquelle une convention a été conclue et homologuée, fait en principe obstacle à ce que l’indemnité allouée au salarié par une transaction intervenant ultérieurement puisse être regardée comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et exonérée d’impôt sur le revenu à ce titre (1).

Il convient de rappeler que d’un point de vue social, dès lors qu’une rupture conventionnelle est conclue, la transaction qui lui est postérieure ne peut porter que sur des différends relatifs à la conclusion ou à l’exécution du contrat de travail (2).

Le montant de l’indemnité transactionnelle serait donc entièrement soumis à cotisations sociales comme du salaire.

Il en résulte alors un intérêt limité de la transaction qui ne pourra porter que sur des éléments «classiques» de la relation de travail (notamment : rappel de salaire, rappel d’heures supplémentaires, durée du travail, etc.).

Une exonération pourrait, le cas échéant, être envisagée si les parties sont en mesure de démontrer que l’objet de la transaction porte sur la réparation d’un préjudice subi par un salarié (par exemple un harcèlement). Toutefois cette exonération est aléatoire et est incertain le point de savoir si elle est totale ou limitée (dans la limite de deux plafonds annuels de la sécurité sociale (« PASS ») tout en prenant compte le montant de l’indemnité de rupture conventionnelle versée).

Ainsi, si la solution de la transaction postérieure à une rupture conventionnelle était nécessaire pour couvrir le risque spécifique lié à l’exécution du contrat de travail, il faudrait s’interroger sur la répartition des sommes entre l’indemnité de rupture et l’indemnité transactionnelle tout en veillant que cette dernière ne soit pas qualifiée de dérisoire.

 

Rappelons que le régime de l’indemnité de rupture conventionnelle dépend du droit pour le salarié de faire liquider sa retraite sur la base d’un taux plein ou non. Dans le premier cas, l’indemnité est totalement soumise à cotisations sociales.

 

En matière d’impôt sur le revenu, l’article 80 duodecies du CGCI ne précise pas expressément le régime fiscal appliqué à une indemnité de rupture conventionnelle homologuée versée lorsque le salarié peut prétendre à une pension de retraite d’un régime légalement obligatoire.

Le principe de l’imposition des indemnités de rupture s’applique donc, étant précisé que les règles d’exonération sont d’interprétation stricte. Ainsi, dans cette situation l’indemnité sera imposable en totalité.

 

Dans le cas où le salarié ne pourrait pas faire liquider ses droits à la retraite, l’indemnité perçue est exonérée sous les mêmes limites que les indemnités de licenciement, c’est-à-dire à hauteur du plus élevé des trois montants suivants :

 

    • montant de l’indemnité de licenciement prévu par la convention collective de branche, par l’accord professionnel et interprofessionnel ou, à défaut, par la loi ;
    • moitié de l’indemnité de licenciement perçue ;
    • deux fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le salarié au cours de l’année civile précédant la rupture de son contrat de travail.

 

Toutefois, la fraction exonérée résultant de l’application de l’une ou l’autre des deux dernières limites ne peut pas excéder 6 PASS (246816 euros pour les indemnités perçues en 2021). En revanche, le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est exonéré en totalité même lorsqu’il excède ce seuil.

 

L’exception soulevée par le Conseil d’Etat : le bénéfice des exonérations en cas de rupture du contrat de travail requalifiée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Dans le cadre de cette décision, le Conseil d’Etat rappelle la réserve d’interprétation énoncée par le Conseil constitutionnel selon laquelle, afin de savoir si s’appliquent les cas d’exonérations totale ou partielle d’impôt sur le revenu que l’article 80 duodecies du CGI prévoit, « il appartient à l’administration […], de rechercher la qualification des sommes objet de la transaction » indépendamment des conditions formelles dans lesquelles a été allouée (jugement, sentence arbitrale, ou encore transaction) (3).

La haute juridiction précise également que l’indemnité transactionnelle ne peut être « regardée comme des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse […] [que si] la rupture des relations est assimilable à un tel licenciement ».

Le Conseil d’Etat poursuit en rappelant que le défaut de remise au salarié d’un exemplaire de la convention de rupture dans les conditions prévues à l’article L. 1237-14 du Code du travail rend la convention nulle, suivant en cela l’arrêt de la Cour de cassation en matière sociale (Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000).

Nullité qui n’a pas été retenue au cas particulier compte tenu de l’appréciation souveraine des juges du fond qui ont considéré que le salarié ne s’était pas plaint d’une telle absence de remise de l’exemplaire et, qui plus est, avait produit un exemplaire avec la mention « lu et approuvé ».

Toutefois, l’apport essentiel en matière fiscale de cette décision est le suivant : à défaut de remise de la convention, la rupture est nulle et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ainsi, l’indemnité transactionnelle aurait été regardée comme une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, sur le plan fiscal, aurait alors été exonérée en totalité d’impôt sur le revenu.

Dans la mesure où la rupture conventionnelle était égale à 430873 euros et dépassait 10 PASS, sur le plan social, cette indemnité aurait été entièrement soumise à cotisations sociales.

Rappelons que les indemnités de rupture du contrat, inférieures à 10 PASS, sont exonérées de cotisations sociales à hauteur de deux plafonds annuels de la sécurité sociale (82 272 euros en 2021) et exonérée de CSG/CRDS à hauteur du plus petit montant entre la partie exonérée de cotisations sociales ou le montant de l’indemnité de licenciement.

 

Le sort juridique de la transaction à la suite d’une rupture conventionnelle nulle

Ce point non tranché par le Conseil d’Etat (car soulevé par le requérant uniquement dans le cadre de son pourvoi) demeure en suspens et pourrait créer une certaine insécurité juridique tant pour le salarié que pour l’employeur.

Il semble clair que la transaction dont l’objet porte uniquement sur la conclusion et l’exécution du contrat de travail continue à produire ses effets juridiques en cas de nullité de la rupture conventionnelle.

En revanche, en cas de nullité de la rupture conventionnelle, les différends liés à la rupture du contrat de travail du salarié ne seraient plus encadrés par la rupture conventionnelle qui n’existerait plus.

Concrètement, cela signifie qu’un salarié (ou l’employeur) pourrait intenter une action en justice à l’encontre de son ancien employeur afin d’obtenir des indemnités liées à la rupture de son contrat de travail dans la mesure où la transaction ne porte pas sur les différends liés à la rupture du contrat.

Ces demandes qui seraient limitées concerneraient notamment une indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon les circonstances de la rupture. Ces dommages et intérêts bénéficieraient des exonérations de cotisations sociales dans la limite des deux PASS. En revanche l’indemnité transactionnelle, compte tenu de son objet, resterait cotisable.

(1) CGI, art. 80 duodecies, 1-1°
(2) Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-21.136.
(3) Cons. Const. QPC, 20 septembre 2013, n° 2013-340

 

Article publié dans Option Finance le 23 juillet 2021