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Dons aux organismes d’intérêt général : vers une nécessaire harmonisation des régimes ?

Dons aux organismes d’intérêt général : vers une nécessaire harmonisation des régimes ?

Les dons et legs consentis à un organisme d’intérêt général peuvent ouvrir droit, sous conditions, à différents avantages fiscaux. Si les restrictions relatives au lieu de situation de l’organisme tendent à s’effacer, des différences de traitement significatives persistent.

L’Etat français incite les contribuables à soutenir les organismes d’intérêt général par l’octroi d’une réduction d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) dû en France par le donateur[1]. De même, les libéralités consenties à certains organismes sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit (DMTG)[2].

Ces avantages fiscaux, initialement consentis uniquement lorsque des dons étaient réalisés au profit d’organismes établis en France, ont progressivement été étendus aux dons et legs consentis à certains organismes situés hors de France.

  1. Des avantages fiscaux progressivement élargis aux dons au profit d’organismes situés dans l’Union Européenne
    • Un élargissement sous l’impulsion de la Cour de Justice

Jusqu’en 2009, les dispositifs d’incitation fiscale ne s’appliquaient pas lorsque l’organisme destinataire du don était situé hors de France. Ce n’est qu’après un rappel à l’ordre de la Commission Européenne adressé à la France[3] et une décision Persche relative au régime allemand et rendue le 27 janvier 2009 par la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE)[4], que le dispositif français ouvrant droit aux réductions d’impôt sur le revenu et d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été étendu aux dons au profit d’organismes dont le siège est situé sur le territoire de l’UE ou dans un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.

Dans cette affaire, une réduction d’impôt demandée par un résident fiscal d’Allemagne ayant fait un don au profit d’un organisme portugais lui avait été refusée. Selon la CJCE, ce refus constitue une restriction à la libre circulation des capitaux. La perspective d’une réduction d’impôt est susceptible d’influer sur l’attitude du donateur. Ne pas accorder cet avantage lorsque des dons sont versés à des organismes établis à l’étranger est de nature à dissuader les contribuables souhaitant faire de tels dons dans un contexte transfrontalier, ce qui constitue une entrave à la libre circulation des capitaux.

À la suite de cette décision, la législation française a évolué et la réduction d’impôt accordée au titre de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur la fortune (ISF puis IFI) a été, sous conditions, étendue aux dons faits au profit d’un organisme dont le siège est situé au sein de l’UE ou de l’EEE.

  • Un élargissement sous contrôle

Seuls les dons consentis aux organismes préalablement agréés par l’administration fiscale française ouvrent droit à réduction d’impôt (IR et IFI). Cet agrément est accordé aux organismes qui poursuivent des objectifs et présentent des caractéristiques similaires aux organismes éligibles dont le siège est situé en France. La réduction d’impôt peut toutefois être obtenue même en l’absence d’un tel agrément si l’organisme non agréé respecte ces conditions. L’administration est, à cet égard, en droit de demander au contribuable les justificatifs attestant de leur respect.

S’agissant des DMTG, il a fallu attendre la saisine de la Commission en 2014[5], laquelle a été suivie d’une condamnation de la France par la CJUE[6], pour que les dons réalisés au profit d’organismes situés dans les pays membres de l’UE ou de l’EEE puissent être exonérés de DMTG. L’exonération ne peut en effet bénéficier qu’aux personnes morales ou organismes « de même nature »[7], à savoir comparables aux organismes français éligibles, et les biens reçus doivent être affectés à des activités similaires à celles exercées par des organismes français éligibles. Cette comparabilité est appréciée par l’administration fiscale.

En l’absence d’agrément, il est néanmoins possible pour l’organisme donataire de fournir dans le délai de dépôt de la déclaration de succession ou de don des pièces justificatives attestant du respect des conditions susmentionnées.

  1. Une exonération de DMTG sous condition de réciprocité pour les dons au profit d’organismes situés dans des Etats tiers

L’agrément préalable n’est pas prévu pour les dons faits au profit d’organismes situés dans un Etat tiers. La doctrine administrative précise qu’en matière de DMTG, un organisme dont le siège est situé en dehors de l’UE ou de l’EEE peut être exonéré de DMTG s’il est d’une part objectivement comparable à un organisme français et si d’autre part un régime de réciprocité existe entre la France et l’Etat considéré[8]. Ces clauses de réciprocité ne concernent que l’exonération de DMTG et ne s’appliquent pas en matière de réduction d’impôt (IR ou ISF/IFI).

La réciprocité ne peut résulter que d’une convention fiscale internationale ou d’un accord particulier. Ce régime de réciprocité existait avec dix-sept Etats, notamment l’Allemagne et les Etats-Unis. La France a également récemment conclu un Accord avec la Principauté de Monaco visant à exonérer de DMTG les dons et legs faits aux organismes à but désintéressé. Cet accord formalise une situation préexistante. De nombreux dons transfrontaliers faits au profit de ces organismes étaient d’ores et déjà exonérés en vertu de décisions ponctuelles des autorités des deux Etats. Cet accord vise ainsi à assurer une certaine sécurité juridique aux contribuables.

Ces différences de traitement pourraient-elle être remises en cause sur le fondement de la libre circulation des capitaux qui, rappelons-le, peut également couvrir les relations avec les Etats tiers à l’UE ?

  1. Des difficultés pratiques persistent

Selon notre expérience, l’administration est stricte dans l’octroi de l’agrément aux organismes situés dans l’UE ou l’EEE.

La jurisprudence pose des critères objectifs permettant d’apprécier si l’organisme étranger en cause peut être considéré comme comparable à des organismes français.

Dans une décision Wellcome Trust [9], le Conseil d’Etat se réfère au double critère de la gestion désintéressée et de la nature des services rendus, retenu en droit interne pour identifier le caractère non lucratif d’un organisme. Le juge doit apprécier la comparabilité mais aussi prendre en compte la réglementation étrangère à laquelle cet organisme est soumis dans son Etat de résidence. Le fait que ces règles étrangères soient différentes de celles applicables en France n’exclut pas automatiquement la comparabilité de l’organisme étranger. Selon le Conseil d’Etat, il n’est pas nécessaire que sa situation soit exactement identique à celle d’un organisme français.

La Cour Administrative d’Appel de Versailles saisie d’un autre litige par le même trust caritatif a considéré que pour analyser sa comparabilité objective à une fondation française reconnue d’utilité publique, seules s’apparentent à des critères pertinents les dispositions statutaires relatives à l’irrévocabilité de l’affectation des biens du trust, à leur dévolution en cas de dissolution de ce dernier, à l’étendue de ses obligations comptables et de transparence financière, ainsi qu’au pouvoir dont dispose l’autorité de tutelle britannique pour s’assurer de leur respect. La réduction d’impôt souhaitée a été accordée, alors même que les statuts étaient différents du modèle établi par le ministère de l’intérieur français[10].

Pourtant, l’administration a, selon notre expérience, refusé d’accorder l’agrément à une fondation britannique inscrite au registre des organismes caritatifs établi par le gouvernement britannique, ayant un but, des caractéristiques et une activité objectivement équivalente à celle d’une fondation française, en se fondant uniquement sur son mode de fonctionnement. Conformément à la législation britannique, la direction de cette fondation était organisée autour d’un seul collège composé de quatre membres et non de trois collèges comme le voudrait le droit interne français.

Si l’administration fiscale française ne souhaite pas se reposer sur l’appréciation de l’intérêt général réalisée par l’Etat de situation de l’organisme, elle pourrait se cantonner à l’examen de l’objet de l’organisme, son activité non lucrative et sa gestion désintéressée.

Article paru dans Option Finance le 12/07/2021

[1] Article 200 du CGI pour l’impôt sur le revenu ; Article 978 du CGI pour l’IFI.

[2] Articles 794 et 795, 2° du CGI.

[3] Mise en demeure en date du 18 septembre 2008.

[4] CJCE, 27-1-2009 aff. 318/07, Hein Persche.

[5] Saisine de la Commission Européenne du 10 juillet 2014.

[6] CJUE, 6e ch., 16 juillet 2015, aff. 485/14.

[7] Article 795-0 A bis du CGI.

[8] BOI-ENR-DMTG-10-20-20 n° 680.

[9]    CE, 22 mai 2015, n° 369820, 9e et 10e s.-s., Min. c/ Wellcome Trust.

[10] CAA Versailles, 19 mai 2016, n° 14VE01214, 6e ch. Wellcome Trust.

Auteurs

Adea Maidani, avocate counsel en droit fiscal