Licenciement économique du salarié inapte en cas de cessation d’activité d’une entreprise n’appartenant pas à un groupe : pas de recherche de reclassement
9 novembre 2021
Dans un arrêt du 15 septembre 2021 (1), la Cour de cassation a rappelé que repose sur un motif réel et sérieux le licenciement, pour motif économique, d’un salarié déclaré inapte sans qu’une recherche de reclassement ne soit effectuée dès lors que son licenciement résultait de la cessation d’activité d’une entreprise n’appartenant pas à un groupe. Ce faisant, la Haute Juridiction, fait primer la procédure de licenciement économique sur celle du licenciement pour inaptitude qui est pourtant d’ordre public. Cette décision vient confirmer une jurisprudence (2) rendue sur des faits similaires.
Rappel des faits et de la procédure
En l’espèce, un salarié victime d’un accident du travail le 10 décembre 2015, a été placé en arrêt de travail. Compte tenu du départ à la retraite du dirigeant de la société employant ledit salarié et de l’absence de repreneur à la suite de sa cessation d’activité, cette dernière a été mise en liquidation amiable le 3 mars 2017.
Le liquidateur amiable de la société a ainsi engagé une procédure de licenciement économique à l’encontre du salarié alors qu’il était toujours en arrêt maladie. Un jour avant que son licenciement pour motif économique ne lui soit notifié, le salarié est déclaré inapte au cours de sa visite de reprise.
Considérant que son employeur avait eu connaissance de son inaptitude avant son licenciement pour motif économique mais qu’il n’avait pas pour autant respecté la procédure d’ordre public applicable en matière d’inaptitude, le salarié a contesté la légitimité de son licenciement.
La cour d’appel de Besançon lui a donné raison au motif que la société aurait dû licencier le salarié pour inaptitude et qu’en le licenciant pour motif économique dans un tel contexte, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle alloue au salarié des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité spéciale de licenciement due en cas d’inaptitude d’origine professionnelle. La société forme alors un pourvoi en cassation.
Concomitance de l’inaptitude du salarié et du licenciement économique
En cas de concours entre une procédure de licenciement pour motif économique et une procédure de licenciement pour inaptitude, en principe la seconde prévaut (3). Cela signifie concrètement que même si une procédure de licenciement pour motif économique est engagée, dès que l’employeur est informé de l’inaptitude d’un salarié à son poste, il doit respecter la procédure du licenciement pour inaptitude.
C’est la raison pour laquelle le salarié mettait en avant que la société aurait dû rechercher si un poste de reclassement était disponible et donc faire primer la procédure de licenciement pour inaptitude sur celle du licenciement économique.
En principe, en cas de reconnaissance par le médecin du travail d’une situation d’inaptitude, l’employeur a l’obligation de procéder à la recherche d’un poste de reclassement pour le salarié concerné (4) sauf s’il est expressément indiqué dans l’avis d’inaptitude que l’employeur est dispensé d’une telle recherche, soit parce que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, soit parce que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (5).
Ainsi, en cas d’inaptitude, l’employeur se doit de procéder à la recherche de postes de reclassement qui correspondraient aux capacités du salarié, après avoir consulté le comité social et économique (CSE) et en tenant compte des conclusions écrites du médecin du travail, ainsi que des indications formulées sur les capacités du salarié concerné à occuper un poste au regard de ceux présents dans l’entreprise.
A l’issue de sa recherche, en cas d’impossibilité de proposer un nouvel emploi, l’employeur fait connaître au salarié les motifs qui s’opposent à son reclassement.
Ce n’est qu’à l’issue de cette recherche et en l’absence de poste de reclassement ou de refus des propositions par le salarié, que l’employeur pourra procéder à son licenciement pour inaptitude.
L’exception en cas de licenciement économique pour cessation d’activité d’une entreprise n’appartenant pas à un groupe
Dans le cadre de cet arrêt, la Cour de cassation a décidé de faire abstraction de la procédure liée au licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle du salarié en faisant un raisonnement en deux temps.
Tout d’abord, la Haute Juridiction constate que le motif de licenciement pour motif économique retenu par l’employeur dans le cadre de la lettre de licenciement était valable. A cet effet, elle retient que ce point n’était pas remis en cause par le salarié et qu’il est caractérisé par la cessation définitive de l’activité de la société (qui est un motif autonome de licenciement pour motif économique).
Dans un second temps, les Hauts Magistrats se sont attachés à vérifier si l’employeur avait pu valablement se soustraire à son obligation de reclassement liée à l’inaptitude du salarié.
A cet égard, cette décision fait preuve de pragmatisme, en retenant que l’employeur n’était pas tenu de rechercher un poste de reclassement pour le salarié inapte dans la mesure où « l’entreprise qui cessait son activité n’appartenait pas à un groupe, ce dont il se déduisait l’impossibilité de reclassement ».
En effet, on voit mal dans quelle mesure un poste de reclassement aurait pu être proposé au salarié en cas de fermeture définitive d’une entreprise n’appartenant pas à un groupe (que ce soit d’ailleurs dans le cadre de l’obligation de reclassement liée au licenciement pour motif économique ou au licenciement pour inaptitude).
En adoptant une telle solution, la Cour de cassation confirme donc sa jurisprudence sur l’absence d’obligation de reclassement d’un salarié inapte en cas de cessation d’activité de la société employeur et sur la primauté dans un tel cas de la procédure de licenciement pour motif économique, invoquée par l’employeur dans son pourvoi en cassation.
Ainsi, dès lors que (i) le licenciement est basé sur un motif économique réel et sérieux et que (ii) l’employeur ne s’est pas soustrait à son obligation de reclassement dans la mesure où celui-ci est impossible en raison de la cessation d’activité de l’entreprise, alors il peut procéder au licenciement pour motif économique d’un salarié inapte sans rechercher à le reclasser.
Une portée incertaine
Si cette solution est pour le moins pragmatique et permet d’éviter une procédure relativement lourde pour l’employeur qui serait dépourvue d’intérêt compte tenu de l’absence de tout poste de reclassement possible, il n’en demeure pas moins que les points suivants ne sont pas tranchés :
Sur l’indemnité de licenciement applicable ?
En censurant la Cour d’appel qui avait accordé l’indemnité spéciale de licenciement et en l’absence de précision sur ce point par la Cour de cassation, il semble que le salarié ne bénéficiera pas de l’indemnité spécifique de licenciement (6) (égale au double de l’indemnité de licenciement légale) en cas d’inaptitude d’origine professionnelle (7) ou même d’une indemnité conventionnelle de licenciement majorée en cas d’inaptitude conformément à d’éventuelles stipulations prévues le cas échéant par un accord collectif.
En revanche, dans le cadre de son licenciement pour motif économique le salarié pourra bénéficier du contrat de sécurisation professionnelle ou d’un congé de reclassement. En effet, il serait difficile de ne pas appliquer la procédure de reclassement propre au licenciement pour inaptitude mais d’appliquer le régime indemnitaire d’un tel licenciement. Si la jurisprudence a pu reconnaitre qu’un licenciement peut reposer sur deux causes c’est uniquement lorsque ces deux dernières se rapportent soit à un motif personnel soit à un motif économique (8) ;
Une solution à généraliser ?
Au regard de la rédaction de l’attendu qui reprend grandement les faits de la présente espèce, il est sans doute faux d’affirmer que le motif de licenciement économique viendrait à prévaloir dans tous les cas où une situation d’inaptitude interviendrait au cours de la procédure de licenciement pour motif économique.
On peut en effet se demander si la solution aurait été la même si la société avait fait partie d’un groupe détenant d’autres entités juridiques en France ?
Enfin, au regard de l’arrêt du 15 septembre 2021, la question de savoir si l’obligation de reclassement d’un salarié déclaré invalide est maintenue en cas de licenciement économique faisant suite à la cessation d’activité d’une entreprise ne faisant pas partie à un groupe se pose.
(1) Cass. Soc., 15 septembre 2021, n° 19-25.613
(2) Cass. Soc., 9 décembre 2014, n° 13-12.535 et Cass. Soc ; 4 octobre 2017, n°16-16.441
(3) Une telle solution a déjà été retenue par la Cour de cassation en considérant notamment que l’inaptitude médicale prévaut sur une procédure de licenciement pour motif disciplinaire (Cass. Soc., 20 décembre 2017, n° 16-14.983) ou encore une procédure de licenciement économique hors cessation totale de l’activité de l’entreprise (Cass. Soc., 5 décembre 2012, n° 10-24.204).
(4) Article L.1226-10 du Code du travail
(5) Articles L.1226-2-1 et L.1226-12 du Code du travail
(6) On relèvera que la Cour de cassation a déjà considéré que le salarié reconnu inapte puis mis à la retraite avait le droit, dans cette hypothèse, à l’indemnité de licenciement spécifique (Cass. Soc., 29 janvier 2002, n° 99-41.028).
(7) L’article L. 1226-14 du Code du travail double de l’indemnité légale minimale de licenciement en cas d’inaptitude d’origine professionnelle.
(8) Pour mémoire, en cas de coexistence d’un motif économique et d’un motif personnel à l’appui d’un licenciement, il appartient au juge de rechercher celui qui a été la cause première et déterminante du licenciement et d’apprécier le bien-fondé de ce dernier au regard de cette seule cause. La reconnaissance d’une inaptitude en cours de procédure licenciement économique (sauf cas de cessation d’activité sans possibilité de reclassement dans un groupe) semble être une exception à ce principe.
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