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Prix de transfert en Chine et en Russie : impact du Manuel ONU

Prix de transfert en Chine et en Russie : impact du Manuel ONU

L’objet de cet article, qui fait suite à un exposé du dernier Manuel ONU et à l’examen des spécificités de la législation brésilienne, est de faire le point sur les principales spécificités des législations en Chine et en Russie, qu’elles soient empruntées ou pas au Manuel ONU.

  1. Chine

Dans le cadre du suivi du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) initié par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’administration chinoise (SAT) a élaboré une approche cohérente et standardisée en trois volets (contrôle, formation et coordination). Le chapitre chinois du Manuel pratique des Nations Unies sur les prix de transfert 2021 (« Manuel”) résume les principaux éléments mis en place par l’administration fiscale chinoise (SAT) en matière de prévention et de contrôle de l’évasion fiscale via les prix de transfert. S’alignant sur le principe édicté par l’OCDE, le régime chinois de prix de transfert repose sur le principe de pleine concurrence. Toutefois, il existe des différences entre la législation locale chinoise et les principes directeurs de l’OCDE.

Concernant la documentation des prix de transfert en Chine

Les différences entre les exigences chinoises en matière de documentation des prix de transfert contemporains et les exigences du rapport d’action BEPS de l’OCDE ont été clarifiées du point de vue de l’administration.

A. Fichier principal

Contrairement au modèle de législation recommandé dans le rapport BEPS Action 13, le fichier principal soumis à l’administration fiscale chinoise doit également inclure d’autres informations telles que la description des restructurations d’entreprises, des restructurations industrielles, des transferts de fonctions, les risques ou les actifs apparus au sein du groupe au cours de l’exercice, les fonctions, les risques, les actifs et le personnel des principales installations de recherche et de développement, le nom et l’emplacement de l’entité constitutive qui dépose le rapport pays par pays (« CbC ») pour le groupe d’entreprises multinationales (« EMN ») et la liste des accords unilatéraux de fixation de prix anticipés, des accords bilatéraux de fixation de prix anticipés (« APP ») existants du groupe MNE.

B. Fichier local

En plus de ce qui est demandé dans le rapport Action 13, les contribuables chinois doivent fournir l’analyse de la chaîne de valeur qui note la mesure et l’attribution de la création de valeur apportée par des facteurs spécifiques à un lieu, des informations sur les investissements sortants, des informations sur le transfert d’actions des parties liées et des informations sur les services intra groupe.

Concernant les règles de prix de transfert

Bien que le principe de pleine concurrence soit au cœur des lignes directrices de l’OCDE sur les prix de transfert et que la Chine le considère comme le principe fondamental en matière de prix de transfert, dans la pratique, les autorités fiscales chinoises ont souligné à plusieurs reprises les difficultés rencontrées par le principe de pleine concurrence dans son application pratique, notamment les suivantes :

  • Manque de comparables fiables

Pour un pays en développement, il n’existe généralement qu’un petit nombre de sociétés publiant leurs comptes, les informations sur les sociétés privées nationales sont déficientes ou inadéquates. À la lumière de ce qui précède, certains ajustements de comparabilité doivent être effectués. Lorsqu’il n’y a pas suffisamment de place pour des ajustements de comparabilité, un changement de méthode de fixation des prix doit être envisagé.

  • Avantages spécifiques à un emplacement (« LSA »)

Il a été observé que les économies de localisation et les primes de marché sont plus fréquentes en Chine et dans d’autres pays en développement que dans les économies développées. En traitant avec les contribuables chinois, les autorités fiscales chinoises ont adopté une approche en quatre étapes sur la question des LSA et certaines étapes de cette approche sont légèrement différentes de la ligne directrice 2017 de l’OCDE :

L’administration fiscale chinoise donne la priorité aux « économies d’emplacement » et à la « prime de marché » lors de l’analyse des LSA pendant la période d’exploitation ; examine si la rentabilité est conforme au principe de pleine concurrence ; et en tenant compte du fait que ces économies de coûts ou ces primes seront transférées à des parties non liées et de la manière dont les entreprises indépendantes répartiront les bénéfices générés par les LSA.

  • Immobilisations incorporelles

L’analyse des prix de transfert des actifs incorporels en Chine est fondamentalement conforme aux Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert en ce qui concerne les principales fonctions de la contribution à la valeur des actifs incorporels, à savoir le développement, l’amélioration de la valeur, le maintien, la protection et l’application (« DEMPE »). Mais, compte tenu des caractéristiques particulières des pays en développement, le SAT met l’accent sur la contribution des entreprises locales à l’amélioration, au maintien, à la protection, à l’application et à la promotion de la valeur des actifs incorporels. Pour les contribuables chinois, le SAT suggère de faire la distinction entre les fonctions des entreprises locales en matière d’amélioration, de maintien, de protection, d’application et de promotion de la valeur et les fonctions mises en œuvre au niveau du groupe. La vie économique des actifs incorporels peut également être analysée et mesurée sur la base du principe de pleine concurrence afin d’étayer les avantages des actifs incorporels pour les entreprises locales et l’importance relative des activités de développement des actifs incorporels.

2. Russie

La Russie ne figure pas dans la partie D du Manuel Prix de Transfert de l’ONU consacrée à l’examen de la réglementation des prix de transfert dans les pays en développement.

Pour autant, le Service fédéral russe des impôts, dans ses commentaires, a souligné à plusieurs reprises l’importance des Directives de l’ONU en raison de la proximité des conditions économiques en Russie avec les conditions prévalant dans les pays en développement mentionnés dans les Principes directeurs (Brésil, Mexique, etc.).

De ce fait, les lignes directrices actualisées de l’ONU peuvent être utiles aux contribuables russes tant aux stades de la fixation des prix de transfert, de la structuration et de la conformité, que lors des contrôles de prix.

En pratique, toutefois, la législation russe sur les prix de transfert, demeure essentiellement basée sur le concept de l’OCDE et, dans son ensemble, est conforme aux principes OCDE dans ses dispositions clés régissant la préparation des documentations sur les prix de transfert (notamment l’analyse fonctionnelle et le choix des méthodes de prix de transfert).

Concernant l’analyse économique :

On notera néanmoins un certain nombre de particularités techniques de la législation russe, notamment concernant l’analyse des comparables, qui peuvent influencer matériellement le calcul de l’écart interquartile.

Par exemple, les critères de recherche des sociétés comparables, bien que proches de ceux habituellement utilisés en Europe, ne sont toujours pas identiques.

Le critère d’indépendance pour la recherche de comparables est plus strict que celui habituellement utilisé en Europe, et ne permet d’ajouter à la sélection que les sociétés qui n’ont ni société mère détenant plus de 25 % de leur capital, ni filiales détenues à plus de 25 %. Ce critère peut toutefois être assoupli dans des cas exceptionnels lorsqu’un nombre suffisant de comparables ne peut être trouvé.

Enfin, bien que la loi russe n’exige pas explicitement que les entreprises comparables soient toutes implantées en Russie, l’un des critères de recherche implique la comparabilité des marchés.

Dans ce contexte, les autorités fiscales russes privilégient nettement la recherche de comparables dans des bases de données locales. C’est la raison pour laquelle il est généralement recommandé -au moins pour le premier exercice documenté, puis de façon régulière- de recourir à des bases de données russes afin d’avoir un référentiel et de déterminer comment combiner les résultats obtenus avec ceux tirés de bases internationales qui sont classiquement utilisées par les entreprises françaises pour documenter leur prix de transfert

On notera enfin que la législation russe prévoit un mécanisme de calcul de l’intervalle de rentabilité, qui diffère de celui applicable dans l’OCDE.

Certaines divergences avec les principes OCDE

Plus important encore, la législation fiscale russe sur les prix de transfert contient un certain nombre de lacunes ou de divergences avec les règles de l’OCDE.

Ainsi, par exemple, le droit russe nie explicitement la possibilité d’effectuer des ajustements de prix de transfert transfrontaliers permettant de réduire l’assiette fiscale en Russie, sauf dans le cadre des procédures amiables, encore très rares en Russie. Cette limitation se traduit de facto fréquemment par une double imposition au niveau du groupe et oblige les contribuables à rechercher des voies alternatives pour formaliser de tels ajustements en Russie.

Par ailleurs, les règles spécifiques aux transactions financières complexes (produits financiers complexes, cryptomonnaies, etc.) ou à la détermination et répartition des bénéfices des établissements stables, prévues dans les lignes directrices de l’OCDE, ne sont pas encore pleinement intégrées dans la loi russe, qui demeure focalisée sur le contrôle de la rentabilité des entreprises plutôt que sur l’analyse spécifique des méthodes tarifaires contractuelles.

En dépit de ces divergences, il est important de noter que certains volets de la documentation prix de transfert préparés au niveau groupe (comme le master file ou, dans certains cas, les rapports CbCR) peuvent, dans le cadre d’un contrôle fiscal, être demandés par les autorités fiscales locales aux contribuables russes membres d’un groupe multinational, ce qui suppose que la cohérence de ces documents aux règles russes soit vérifiée.

En résumé, il est important d’anticiper les spécificités locales des deux pays afin de prévenir autant que possible les risques de redressement. Cela demande aux entreprises françaises un travail en amont sur la documentation locale et parfois un exercice d’équilibre pour imbriquer les contraintes locales dans leur politique de prix ainsi que dans sa documentation.

Auteurs

Agnès de l’Estoile Campi, avocat associé en droit fiscal

Nicolas Zhu, avocat associé CMS Chine

Dominique Tissot, avocat associé CMS Russie