Regards croisés sur la définition du licenciement pour motif économique en France et au Royaume-Uni (Partie 1)
14 février 2022
Le Royaume-Uni et la France sont deux pays dont la législation sur le licenciement économique peut faire l’objet d’une comparaison intéressante, d’autant plus, qu’ils sont tous deux issus de systèmes juridiques opposés.
Le Royaume-Uni est un pays de Common law dominé par des règles jurisprudentielles. La France, quant à elle, est un pays de tradition civiliste dans lequel les règles de droit sont écrites et codifiées, les juges ne peuvent créer le droit, ils sont liés par la loi. Néanmoins, le droit anglais est de plus en plus empreint de règles écrites. C’est un changement conséquent pour un pays de common law où le rôle du législateur tend à se développer.
La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, qui a fragilisé le contexte économique à l’échelle mondiale, est l’occasion de s’interroger sur la notion de licenciement pour motif économique dans chacun de ces pays.
En effet, le licenciement pour motif économique peut aussi bien concerner un seul salarié que toute une collectivité de travailleurs, ce qui, dans ce cas, place souvent l’entreprise au centre de l’actualité.
La fin du dispositif de chômage partiel au Royaume-Uni le 30 septembre 2021, fait notamment redouter une vague importante de licenciements pour motif économique.
Des définitions du licenciement pour motif économique divergentes
En droit français, le licenciement pour motif économique est caractérisé par les éléments cumulatifs suivants :
-
- il est non inhérent à la personne du salarié ;
-
- il repose sur un élément matériel qui peut être caractérisé soit par une suppression d’emploi, une transformation d’emploi ou le refus du salarié d’une modification d’un élément essentiel de son contrat de travail ;
-
- il doit se justifier par un élément causal, constitué soit par des difficultés économiques (caractérisées notamment par la baisse de commandes, de chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie, …), soit par des mutations technologiques, ou encore par la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou enfin par la cessation totale et définitive d’activité.
En droit anglais, le licenciement pour motif économique est connu sous le nom « redundancy ».
La loi « Employment Rights Act » de 1996 (1) liste les différentes situations pouvant caractériser un licenciement pour motif économique. Selon cette loi, un salarié est considéré comme licencié pour motif économique si son licenciement est attribué ou principalement attribué au fait que :
-
- L’employeur a cessé, ou a l’intention de cesser :
– l’activité pour laquelle le salarié avait été embauché ;
– d’exploiter cette activité sur le lieu où le salarié travaillait.
-
- L’entreprise n’a plus ou, a moins besoin :
– des fonctions particulières exercées par le salarié pour l’activité ;
– de ses fonctions à l’endroit où le salarié travaillait.
La loi précise que la cessation ou la diminution de l’activité peut être existante ou prochaine et ce, quel qu’en soit le motif. Le juge n’a pas à apprécier si le motif invoqué est sérieux.
Le licenciement pour motif économique est également défini au sein de la loi « Trade Union and Labour Relations Act » de 1992 (2), comme étant non inhérent à la personne du salarié, à l’instar du droit français. Cette définition est principalement utilisée par le juge pour vérifier si la procédure des licenciements collectifs a été respectée (3).
La cause économique absente en droit anglais
La loi anglaise ne précise pas le contexte économique pouvant justifier le licenciement. Ainsi, à la différence de la définition française du licenciement pour motif économique, le législateur anglais ne s’intéresse pas aux causes économiques du licenciement.
L’employeur anglais n’a pas à fournir d’explication sur la situation financière de son entreprise. Alors que le juge français va vérifier l’existence de la cause économique qui doit être réelle et sérieuse, le juge anglais est réticent à contrôler les raisons commerciales et économiques qui ont motivé les licenciements.
Dans la pratique, le juge anglais va uniquement vérifier l’existence des motifs invoqués (cessation totale d’activité, délocalisation dans un autre lieu ou pays, etc.) mais pas les circonstances qui y ont conduit et analyser les critères utilisés par l’employeur pour identifier les salariés licenciés ainsi que la procédure suivie. Ainsi, le législateur et le juge ne souhaitent pas examiner la réalité et le sérieux de la cause économique du licenciement.
Contrairement au Royaume-Uni, la France ne donne pas aux employeurs la possibilité de licencier pour développer leur compétitivité, mais uniquement lorsque celle-ci est « menacée ». L’idée qui semble se dégager est que le législateur ne souhaite pas que les licenciements s’inscrivent uniquement dans une optique d’amélioration de la performance économique et financière de l’entreprise.
Le Royaume-Uni, quant à lui, s’inscrit dans une dynamique opposée en permettant aux entreprises de licencier une partie de leur personnel pour augmenter leurs profits, pour devenir plus compétitives même si elles ne rencontrent pas de difficultés économiques ou que leur compétitivité n’est pas menacée.
Autre élément de différenciation importante, en doit français, la cessation d’activité ne peut pas revêtir un caractère temporaire, à la différence du droit anglais qui admet aussi bien la cessation temporaire que définitive de l’activité.
À titre d’illustration, le juge anglais a considéré que des licenciements pour motif économique étaient justifiés par la fermeture d’une entreprise pendant treize mois pour effectuer des travaux (4). En revanche, le juge anglais ne reconnait pas l’existence d’un motif économique lorsque la durée de fermeture est trop courte (5).
La Cour de cassation, quant à elle, écarte le licenciement en cas de cessation d’activité dès lors que celle-ci n’est pas définitive. Ainsi, elle a considéré que la fermeture d’un hôtel pour travaux pour une durée de six mois, ne constitue pas une cessation d’activité de l’entreprise (6). Les licenciements pour motif économique prononcés dans ce cadre seraient alors dépourvus de cause réelle et sérieuse.
Le licenciement pour motif économique anglais peut également résulter d’une délocalisation. Par exemple, le licenciement pour motif économique d’un salarié est considéré comme justifié si l’employeur décide de fermer son lieu de travail pour le transférer à une vingtaine de kilomètres, quand bien même le contrat du salarié stipulerait que le salarié pouvait travailler dans plusieurs endroits appartenant à l’entreprise (7).
En France, la délocalisation ne constitue pas en tant que telle un motif de licenciement. Une délocalisation impliquant un changement de lieu de travail impliquant une modification du contrat de travail du salarié, doit être justifiée par une cause économique (difficultés économiques, réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité par exemple).
Ainsi, la cause économique du licenciement (c’est-à-dire les raisons l’ayant motivé) est un élément fondamental en droit français. Contrairement au droit anglais, une légère baisse d’activité, la perte d’un marché, la rémunération d’un salarié qui coûte trop cher, une interruption temporaire de l’activité de l’entreprise… ne sont pas des motifs permettant de rompre le contrat de travail des salariés pour motif économique.
Comme nous le voyons, la conception du licenciement pour motif économique est différente dans les deux pays. Alors que le droit français considère que le licenciement pour motif économique doit se présenter comme une mesure « inévitable » et impose à l’employeur de justifier d’une cause sérieuse et préétablie, le droit anglais fait preuve de flexibilité en faisant prévaloir la liberté de l’employeur dans les choix de gestion de l’entreprise.
[1] Article 139 (1), Employment Rights Act 1996.
[2] Article 195 (1), Trade Union and Labour Relations Act 1992.
[3] Selon le droit anglais, la procédure de licenciement collectif est applicable lorsqu’au moins 20 personnes sont susceptibles d’être concernés par un licenciement pour motif économique au sein d’un même établissement au cours d’une période de 90 jours ou moins. Dans ce cas la consultation préalable des représentants du personnel est obligatoire.
[4] Gemmell v Darngavil Brickworks Ltd [1967] ITR 20.
[5] Whitbread plc v Flattery, EAT [1994] n°287/94 : Dans cette affaire l’Employment Appeal Tribunal a considéré qu’une fermeture de 4 semaines ne satisfaisait pas à la définition légale du motif économique
[6] Cass., soc., 15 oct. 2002, n°01-46.240.
[7] Hollister v National Farmers Union [1979] I.R.L.R. 238.
A lire également
Le Brexit côté TVA 12 septembre 2016 | CMS FL
Licenciements en période d’observation : absence de portée de l’or... 7 août 2020 | CMS FL Social
Cadre d’appréciation du motif économique de licenciement et de l’obligatio... 24 octobre 2017 | CMS FL
L’impossibilité de reclasser le salarié licencié pour motif économique... 23 mars 2015 | CMS FL
Investissements étrangers en France : mesures de simplification des règles app... 12 janvier 2018 | CMS FL
L’optimisation du taux de cotisation d’accident du travail (AT)... 21 juillet 2016 | CMS FL
Le private equity au Royaume-Uni à l’heure du Brexit... 13 avril 2018 | CMS FL
Les nouveaux interlocuteurs en matière de négociation collective... 28 novembre 2017 | CMS FL
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?
Commentaires