La prise en compte des risques psychosociaux dans le cadre d’une cessation d’activité nécessitant l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi
9 mars 2022
Dans un arrêt du 29 novembre 2021 (1), la Cour administrative d’appel de Versailles a fait droit à la demande du Comité social et économique (CSE) de l’UES l’Equipe visant l’annulation de la décision d’homologation du document unilatéral portant plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de la société Presse Sports Investissement (PSI) dans la mesure où la prévention des risques psychosociaux n’avait pas suffisamment été prise en compte par l’employeur.
Cette décision rappelle l’importance du respect par l’employeur de son obligation de sécurité et les risques engendrés par la méconnaissance de cette dernière.
Rappel des faits et de la procédure
La Société PSI qui faisait partie de l’UES l’Equipe (2) a présenté un projet de réorganisation entrainant l’arrêt définitif de la publication du journal Sport et Style, ce qui avait pour conséquence la cessation totale d’activité de la société et corrélativement la suppression de l’ensemble des emplois.
La Société a élaboré unilatéralement un PSE, qui a préalablement donné lieu à l’information consultation du CSE de l’UES l’Equipe (tout comme le projet de réorganisation) et qui a été homologué par la Direccte d’Ile-de-France le 8 mars 2021.
Le CSE de l’UES a demandé dans un premier temps au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’annuler la décision d’homologation du PSE. Les juges de première instance n’ont pas fait droit à cette demande.
Le CSE a alors formé appel contre le jugement en soutenant notamment que l’administration ne pouvait pas homologuer le PSE dans la mesure où aucune mesure de nature à protéger la santé des salariés n’avait été prévue.
La Cour administrative d’appel devait donc trancher ce point et en tirer les éventuelles conséquences.
L’obligation de sécurité de l’employeur en cas de projet de réorganisation entrainant l’élaboration d’un PSE
Conformément à l’article L. 4121-1 du Code du travail, l’employeur est débiteur d’une obligation générale de sécurité envers les salariés. Il doit donc prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Dans ce contexte l’employeur doit notamment prendre des actions de prévention des risques professionnels.
Dans le cadre de la consultation du CSE sur le document unilatéral fixant le contenu du PSE, l’employeur doit, entre autres, consulter les représentants du personnel sur les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail (3).
La décision commentée rappelle que lors de son contrôle du PSE, l’administration doit notamment (i) vérifier la régularité de l’information consultation du CSE sur les conséquences des licenciements envisagés en matière de santé, de sécurité ou des conditions de travail et aussi, ce qui est nouveau, (ii) les mesures auxquelles l’employeur est tenu en application de son obligation de sécurité prévue à l’article L. 4121-1 du Code du travail.
Les magistrats de la Cour administrative d’appel de Versailles s’inscrivent ainsi dans la droite ligne de la décision rendue par le Tribunal des conflits le 8 juin 2020, qui a statué sur le bloc de compétences en matière de risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Ainsi, selon la Cour, dans le cadre de son contrôle du PSE, l’administration doit s’assurer, sur le fondement de l’article L. 1233-57-3 du Code du travail, du respect par l’employeur de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs.
Cela implique de vérifier tant la régularité de l’information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l’employeur est tenu en application de l’article L. 4121-1 du Code du travail au titre des modalités d’application de l’opération projetée.
Ce contrôle du contenu des mesures relatives à la prévention des risques pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs n’allait pas de soi et ne découlait pas de l’article L. 1233-57-3 du Code du travail stricto sensu (4).
En l’espèce, dans la mesure où la société PSI allait cesser son activité, les magistrats relèvent que :
-
- l’employeur n’était tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs que jusqu’à la fin de l’opération. Cette temporalité de l’obligation de sécurité est logique puisqu’à l’issue du projet de réorganisation la société n’emploiera plus de salariés.
-
- le projet de réorganisation consistant en une cessation d’activité n’impliquait aucune modification des conditions de travail des salariés qui aurait exigé des mesures particulières de la part de l’employeur (5). Le projet n’entrainait que des suppressions de postes et aucune modification de contrat de travail. La totalité des salariés de l’entreprise étant licenciée (sans doute en une seule vague) l’impact du projet de réorganisation sur les salariés qui restent dans l’entreprise à l’issue du projet de réorganisation n’avait pas lieu d’être étudié.
Néanmoins l’employeur aurait dû prendre en compte les risques psychosociaux inhérents à l’annonce du projet de réorganisation et de la suppression de la totalité des emplois qui en découlait.
En l’occurrence, l’employeur avait identifié certains facteurs de risques tels que l’insécurité sociale et économique ou des rapports sociaux dégradés mais il n’avait pris aucune mesure spécifique pour les prévenir.
Les livres 1 et 2 (PSE et note économique) ne comprenaient aucune mesure de prévention des risques psychosociaux et aucune note distincte sur les conséquences du projet en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail n’avait été élaborée par la société PSI.
Le fait que la commission santé, sécurité, conditions de travail de l’UES l’Equipe ait été réunie cinq fois avec comme ordre du jour « point sur les conséquences du projet de réorganisation de la société l’Equipe et de l’arrêt de l’activité de la société PSI en matière d’hygiène, de santé, de sécurité et de conditions de travail et notamment la prise en charge des risques psychosociaux » ne permettait pas de pallier l’absence de mesures prises pour assurer la sécurité des salariés de PSI et protéger leur santé physique et mentale.
Les mesures mises en œuvre par l’entreprise l’Equipe n’avaient pas vocation à s’appliquer aux salariés de la société PSI.
La cessation d’activité envisagée n’exonérait pas l’employeur de prendre des mesures concrètes pour assurer la sécurité des salariés. En l’espèce, la seule mise en place d’un « espace écoute » et la sensibilisation aux RPS du directeur du pôle magazine du groupe l’Equipe étaient insuffisantes au regard des risques psychosociaux afférents à l’opération.
Il est possible de se demander ce que l’employeur aurait dû faire concrètement. Si à l’évidence le fait de ne pas avoir abordé la prévention des RPS dans aucune des notes remises au CSE n’était clairement pas une bonne approche (le manquement de l’employeur étant « matérialisé » par cette absence patente), le fait de mettre en place un espace écoute pouvait toutefois faire partie des mesures pertinentes.
Toutefois, à la lecture de l’arrêt il n’est pas possible de savoir quelles étaient exactement les fonctions/attributions de cet espace, ni à quelle date il a été mis en place.
Les conséquences de l’absence de mesures visant à prévenir les risques psychosociaux
Dans le cadre de son contrôle du PSE, l’administration aurait dû vérifier que l’employeur avait respecté son obligation de sécurité en informant et consultant le CSE sur ce point et en prenant les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. En l’absence de respect par l’employeur de son obligation de sécurité, l’administration aurait dû refuser d’homologuer (6) le PSE.
Même si le document unilatéral a été homologué, la décision prise par l’administration peut être annulée dans le cadre d’un contentieux devant le juge administratif.
En l’occurrence l’annulation de la décision d’homologation du PSE pour ce motif a les mêmes effets que l’absence ou l’insuffisance de plan, à savoir la nullité de la procédure de licenciement.
La situation d’espèce est différente de celle où l’administration aurait procédé à la vérification du respect par l’employeur de son obligation de sécurité mais n’aurait pas suffisamment motivé sa décision d’homologation sur ce point précisément (7).
Dans cette seconde hypothèse, la décision d’homologation peut être également annulée mais les conséquences d’une telle annulation sont différentes.
En effet, il ressort de l’article L. 1235-16 du Code du travail que l’annulation de la décision d’homologation en raison de sa motivation insuffisante est sans incidence sur la validité du licenciement et ne donne lieu ni à réintégration ni au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur.
Il ne fait pas de doute que les RPS peuvent être utiles à bien des égards dans le cadre d’une action contentieuse tant pour contester la décision de validation ou d’homologation de la Dreets sur le fond que sur la forme.
Enfin, il sera souligné qu’à la différence d’un PSE, dans le cadre d’une RCC l’administration ne semble pas devoir contrôler le respect par l’employeur de son obligation de sécurité (8).
(1) Cour administrative d’appel de Versailles, 4ème chambre, 29 novembre 2021, n°21VE02582
(2) L’UES était composée de deux sociétés : la société Presse Sports Investissement et la société l’Equipe
(3) En application de l’article L. 1233-30 du Code du travail
(4) Articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du Code du travail
(5) A l’époque des CHSCT, le Conseil d’Etat avait jugé dans l’hypothèse où une société était en liquidation judiciaire et où aucune offre de reprise n’avait pu être faite, que dans la mesure où (i) l’ensemble des postes de travail devait être supprimé et (ii) les conditions de santé, de sécurité et de travail des salariés ayant vocation à être licenciés n’étaient pas susceptibles d’être affectées par l’opération projetée avant l’achèvement de celle-ci, le CHSCT ne devait pas être consulté (CE, 13 février 2019, n°404556).
(6) Il en serait sans doute allé de même si le PSE avait fait l’objet d’un accord majoritaire cf. arrêt du Tribunal des conflits du 8 juin 2020 rendu dans l’hypothèse où le PSE avait fait l’objet d’un accord majoritaire, qui mentionne au point 7 que : « en vertu des articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail, le contrôle de la régularité de la procédure d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel ainsi que des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l’emploi incombe à l’autorité administrative, lors de sa décision de validation ou d’homologation ».
(7) Voir en ce sens l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Versailles le 29 novembre 2021, n°21VE02530
(8) Cour administrative d’appel de Paris, 3ème chambre, arrêt n° 21PA01244 du 26 mai 2021
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