Salariés en forfait jours : un planning peut-il leur être imposé ?
4 mars 2022
Dans une décision non publiée du 2 février 2022, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel l’existence d’une convention individuelle de forfait annuel en jours ne signifie pas que le salarié dispose d’une totale liberté dans la fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction (Cass. soc., 2 février 2022, n° 20-15.744).
Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention de forfait-jours
Rappelons que, lorsqu’un accord collectif prévoit la mise en place de forfaits annuels en jours, deux catégories de salariés sont susceptibles de conclure une telle convention (article L. 3121-58 du Code du travail) :
-
- Les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;
-
- Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées.
Dans les deux cas, le Code du travail précise que les salariés doivent disposer d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps.
Il appartient par ailleurs à l’accord collectif de déterminer les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait (L. 3121-64 du Code du travail).
En présence d’un litige individuel, le juge est amené à apprécier – au regard des conditions dans lesquelles est effectivement exercée l’activité – la réalité de l’autonomie du salarié
A cet égard, il a déjà été jugé que le contrôle par l’entreprise de l’amplitude des journées d’activité et de la charge de travail qui en résulte – exigé par la loi – ne remet pas en cause l’autonomie du salarié (Cass. soc., 16 novembre 2005, n 03-44.581).
Qu’en est-il lorsque le salarié est soumis à un planning ?
Dans une décision récente du 2 février 2022, la Cour de cassation rappelle que le salarié soumis à convention de forfait annuel en jours n’est pas pour autant délié de toute contrainte liée à l’organisation du travail dans la mesure où « une convention individuelle de forfait annuel en jours n’instaure pas au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction ».
En l’espèce, il s’agissait d’une salariée exerçant les fonctions de vétérinaire au sein d’une clinique.
A ce titre, elle avait conclu une convention individuelle de forfait annuel en jours.
L’employeur lui avait notifié un planning d’activité fixant ses journées et demi-journées de présence.
Or, l’intéressée ne respectait pas ces plannings.
L’entreprise soulignait qu’il lui était impossible d’anticiper les présences et absences de l’intéressée et ainsi de fixer des rendez-vous à la patientèle puisqu’elle ne se présentait pas aux jours initialement prévus sur les plannings. Son comportement perturbait l’activité du cabinet dans la mesure où l’ensemble de l’équipe devait pallier ses absences et assumer les changements soudains de son emploi du temps.
La salariée avait donc été licenciée pour faute grave.
Soutenant qu’un forfait jours est incompatible avec le fait d’imposer un planning à un salarié ayant le statut de cadre autonome, l’intéressée avait contesté son licenciement. Elle faisait notamment valoir qu’un « cadre au forfait jours doit bénéficier d’une liberté dans l’organisation de son travail et ne peut donc se voir reprocher de ne pas avoir respecté un planning déterminé unilatéralement par son employeur… »
Aussi, les juges étaient-ils interrogés sur la possibilité d’imposer à un salarié – ayant le statut de cadre autonome et bénéficiant à ce titre d’une convention individuelle de forfait annuel en jours – un planning déterminé par l’employeur.
La Cour de cassation, approuve la Cour d’appel d’avoir décidé que, nonobstant la convention de forfait en jours dont elle bénéficiait, l’employeur était fondé à reprocher à l’intéressée ses absences après avoir relevé que la fixation de demi-journées ou de journées de présence imposées par l’employeur en fonction des contraintes liées à l’activité de la clinique vétérinaire pour les rendez-vous donnés aux propriétaires des animaux soignés n’avait jamais empêché la salariée d’organiser, en dehors de ces contraintes, sa journée de travail comme bon lui semblait et qu’elle était libre de ses horaires et pouvait organiser ses interventions à sa guise.
En outre, la cour d’appel ayant constaté que la salariée ne respectait pas les jours de présence fixés dans son emploi du temps, se présentait à son poste de travail selon ses envies et le quittait sans prévenir ses collaborateurs, a pu en déduire que compte tenu de la spécificité de son activité au sein d’une clinique recevant des clients sur rendez-vous, ces faits étaient constitutifs d’une faute grave.
La Cour de cassation rejette donc le pourvoi de l’intéressée.
Ainsi, à la lecture de cette décision, il serait possible au nom des contraintes spécifiques de l’entreprise, d’imposer au salarié en forfait jours, des jours ou demi-journées de présence sous réserve de laisser l’intéressé libre d’organiser son activité comme bon lui semble mais en dehors de ces contraintes.
Avec cet arrêt, la Cour de cassation semble apporter un tempérament à sa jurisprudence antérieure selon laquelle elle avait décidé que, dès lors que l’emploi du temps du salarié était déterminé par son supérieur hiérarchique, lequel définissait le planning de ses interventions auprès des clients, le salarié ne disposait d’aucune liberté dans l’organisation de son travail et n’était pas susceptible de relever du régime du forfait en jours qui lui avait été appliqué (Cass soc., 31 oct. 2007 n° 06-43.876 ; 31 oct. 2012, n° 11-20.986).
A noter qu’il ressort de la décision de la Cour d’appel ayant donné lieu à l’arrêt commenté que les demi-journées ou journées de présence imposées par l’entreprise n’étaient semble-t-il pas délimitées par des horaires. Ainsi, il était demandé à l’intéressée de venir travailler le lundi matin, le mardi toute la journée, le mercredi matin, le vendredi toute la journée et enfin un samedi sur 2 toute la journée.
Afin d’imposer un planning à un salarié en forfait jours, encore faudra-t-il s’assurer que la spécificité de l’activité de l’entreprise le justifie.
Dans l’affaire du 2 février 2022, l’activité de la clinique, consistant à recevoir les propriétaires d’animaux soignés sur rendez-vous, rendait nécessaire la présence de la salariée sur certains jours prédéterminés. Les juges auraient pu tout aussi bien considérer, comme ils ont pu le faire dans d’autres décisions, que la nature même de l’activité qui imposait la présence de l’intéressée afin d’assurer les rendez-vous clients, était incompatible avec la conclusion d’un forfait jours. C’est l’intérêt du présent arrêt.
En tout état de cause, il conviendra de veiller à laisser à l’intéressé une certaine liberté dans le choix de ses horaires de travail afin qu’il puisse s’organiser à sa guise à l’intérieur du planning imposé.
A lire également
Contrôle Urssaf, prévention et contestation de la procédure... 2 décembre 2014 | CMS FL
Inaptitude physique du salarié : la persistance des difficultés... 14 juin 2021 | Pascaline Neymond
Forfait jours : attention à l’autonomie du salarié... 8 mars 2023 | Pascaline Neymond
Moyen de défense des entreprises face à l’URSSAF : les décisions indivi... 18 janvier 2016 | CMS FL
Impact des absences d’un salarié en forfait-jours sur ses jours de repos... 17 mars 2016 | CMS FL
Le droit à l’erreur en matière URSSAF : que va-t-il se passer à partir ... 23 décembre 2019 | CMS FL Social
Validité du forfait en jours : les dernières précisions de la Cour de cassati... 12 mars 2024 | Pascaline Neymond
Les cadres au forfait jours : autonomes mais responsables... 21 octobre 2013 | CMS FL
Articles récents
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur
- Conférence – Gestion des fins de carrière : que font les entreprises et quelles solutions à dispositions ?