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Financement intragroupe : La saga continue – Les apports de la décision Apex Tool

Financement intragroupe : La saga continue – Les apports de la décision Apex Tool

Dans le prolongement des récentes décisions du Conseil d’Etat en matière de financement intragroupe[1] et des fiches publiées par l’administration[2], la décision Apex Tool (cf. CE, 29 décembre 2021, n° 441357, Apex Tool) vient apporter des précisions utiles dans le cadre de l’appréciation du risque de crédit de la société emprunteuse et de la sélection de transactions comparables.

Contexte

Conformément à l’article 212-I du Code Général des Impôts, les intérêts versés par une société française à raison des sommes laissées ou mises à sa disposition par une entreprise liée sont déductibles dans la limite de ceux calculés d’après un taux égal à la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans (cf. article 39-1-3° du Code Général des Impôts). Toutefois, si les intérêts versés sont supérieurs à ceux calculés d’après ce taux de référence maximum, la société française emprunteuse peut les déduire dans la limite de ceux calculés d’après le taux qu’elle aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.

Ainsi, dans l’hypothèse où les intérêts versés sont supérieurs à ceux calculés d’après le taux de référence maximum, il appartient à la société française emprunteuse en cas de contrôle fiscal d’apporter la preuve du caractère normal du taux d’intérêt appliqué en se fondant sur le taux qu’elle aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.

La justification du caractère de pleine concurrence des taux d’intérêt appliqués aux emprunts intragroupe sur la base de comparables externes se fait généralement en deux étapes : 1. La définition de la notation ou probabilité de défaut de la société emprunteuse partie à la transaction testée et 2. La recherche de comparables externes présentant des caractéristiques similaires à la transaction testée et pour lesquels les sociétés emprunteuses ont une notation équivalente à celle de la société emprunteuse partie à la transaction testée.

Au cas d’espèce, afin de justifier du caractère de pleine concurrence du taux de 6% appliqué à l’emprunt intragroupe, la société requérante avait produit deux études. Une première, initiale, basée sur l’évaluation de la note de crédit de la société emprunteuse à partir de la méthodologie publiée par l’agence de notation Moody’s et sur le rendement d’obligations cotées ayant une note de crédit similaire et émises par des sociétés industrielles européennes à la même période. Une seconde, complémentaire, établie grâce à un échantillon d’emprunts bancaires consentis à des entreprises tierces du secteur non financier dont la note de crédit, entreprises comprises dans un intervalle allant de un cran en-dessous à un cran au-dessus de la notation de l’emprunteuse définie lors de la première étude.

La cour administrative d’appel a rejeté ces deux études au motif que (i) la note de crédit de la société avait été déterminée sur la base de ses états financiers agrégés du sous-groupe formé avec ses filiales et ses sous-filiales, et que (ii) les entreprises servant de références à l’étude appartenaient à des secteurs d’activité hétérogènes différents de celui de l’emprunteuse. A ce titre, le Conseil d’Etat annule la décision de la cour administrative d’appel et apporte des précisions utiles à la réalisation de recherches de comparables externes.

Concernant les données financières à utiliser pour la détermination de la note de crédit d’une société

En matière de financements intragroupe, la décision Siblu[3] impose d’apprécier le taux de marché au regard des caractéristiques propres de la société emprunteuse et non du groupe auquel elle appartient.

C’est l’application stricte de ce principe qui a donc conduit la cour administrative d’appel à rejeter la pertinence de la note de crédit attribuée à la société emprunteuse sur la base de ses comptes agrégés (et non de sa situation intrinsèque). Toutefois, au cas d’espèce, la Rapporteure Publique indique dans ses conclusions que la cour administrative d’appel s’est méprise quant à la portée de la décision Siblu.

Plus précisément, alors que dans le précédent Siblu la société emprunteuse se prévalait d’un soi-disant « effet miroir » en expliquant que le taux intragroupe qu’elle versait à sa société grand-mère et à sa société sœur était identique à celui consenti par des banques à ces dernières, la présente configuration est à front renversé : la société emprunteuse détient elle-même directement et indirectement des filiales et intègre la situation économique et financière de ces dernières (au travers des comptes agrégés) pour établir sa propre notation de crédit.

Ainsi, sans remettre en cause le principe général énoncé par la décision Siblu, le Conseil d’Etat valide le recours à des données financières agrégées pour établir la notation de crédit d’une société emprunteuse en indiquant que le profil de risque d’une entreprise doit être apprécié au regard de la situation financière et économique du groupe que cette entreprise forme avec ses filiales[4].

La Rapporteure Publique justifie notamment cette décision par le fait que (i) la situation économique et financière des filiales influe sur le profil de risque de leur société mère, leur solidité pouvant contribuer à l’améliorer et leur fragilité à le détériorer, (ii) un établissement bancaire indépendant en tient naturellement compte pour mettre au point son offre de crédit, (iii) les comptes consolidés permettent de prendre en compte le montant réel des actifs et des passifs des bilans des sociétés consolidées.

A ce titre, la Rapporteure Publique précise également que l’administration fiscale recommande elle-même dans ses fiches pratiques de tenir compte des actifs qu’elle contrôle directement et indirectement, et par conséquent des perspectives de ses filiales, pour établir la notation de crédit d’une société emprunteuse[5].

Concernant la sélection de transactions comparables

La cour administrative d’appel rejette l’étude complémentaire réalisée par la société emprunteuse au seul motif que les sociétés retenues dans l’échantillon opèrent dans des secteurs d’activité hétérogènes et que par conséquent, il n’était pas établi qu’elles auraient, pour un banquier, présenté le même niveau de risque que celui de l’emprunteuse.

Toutefois, le Conseil d’Etat censure cette position en indiquant que les systèmes de notation de crédit élaborés par les agences de notation visent à comparer les risques des entreprises notées après prise en compte, notamment, de leur secteur d’activité.

A cet égard, la Rapporteure Publique précise dans ses conclusions que la méthodologie publiée par Moody’s tient compte de la compétitivité du marché concerné et de ses perspectives d’évolution, de la position de l’entreprise et de ses avantages compétitifs, des caractéristiques des produits proposés et des zones géographiques desservies.

Par ailleurs, elle relève que l’administration fiscale admet elle-même dans sa fiche pratique relative au référentiel obligataire de la possibilité d’élargir le panel à des entreprises ne poursuivant pas la même activité que la société emprunteuse ou relevant d’autres secteurs que celui de l’entreprise emprunteuse (en éliminant toutefois les entreprises du secteur financier lorsque l’entreprise emprunteuse appartient à un secteur non financier et inversement), en particulier dans les situations où un critère de recherche plus restrictif conduirait à un panel très restreint, dès lors que le critère de la notation est respecté avec précision par le panel retenu[6].

Conclusion

En définitive, l’arrêt Apex Tool apporte davantage de précisions au contribuable quant à la méthodologie applicable pour justifier du caractère de pleine concurrence des taux d’intérêt appliqué dans le cadre de financements intragroupe. En outre, cette décision semble plus largement faire partie d’une mouvance jurisprudentielle plus pragmatique qui offre davantage de sécurité au contribuable quant aux modes de preuve qui lui sont autorisés.

[1]   Cf. notamment les décisions Siblu (CE, 18 mars 2019, n° 411189), Wheelabrator (CE, avis du 10 juillet 2019, n° 429426) et BSA (CE, 11 décembre 2020, n° 433723).

[2]   Cf. 8 fiches pratiques publiées par l’administration en janvier 2021 en matière de justification des taux d’intérêt des emprunts entre entreprises liées.

[3]   CE, 18 mars 2019, n° 411189.

[4]   Sauf cas exceptionnel.

[5]   Fiche pratique n° 3 – Comparabilité – Publications méthodologiques d’agences de notation et risque de crédit.

[6]     Fiche pratique n° 8 – Comparabilité – Marché financier obligataire.

Auteurs

Alexis Bussac, avocat associé en droit Fiscal