Contrôle des déficits reportables non imputés relatifs à des exercices prescrits
La cour administrative d’appel de Paris précise que les déficits issus d’exercices prescrits peuvent faire l’objet d’un contrôle de l’administration fiscale alors même qu’ils n’ont pas encore été imputés (cour administrative d’appel de PARIS, 2ème chambre, 13/04/2022, n° 19PA01644).
Le droit de contrôle en cas d’imputation : un courant jurisprudentiel ancien et constant
La période susceptible d’être vérifiée par l’administration fiscale ne coïncide pas nécessairement avec la période non prescrite : la jurisprudence reconnaît à l’administration le droit de contrôler et de remettre en cause, le cas échéant, des déficits nés au cours d’exercices prescrits dès lors qu’ils ont été imputés par l’entreprise sur les résultats d’un exercice non prescrit. En effet, le droit au report en avant des déficits subis par les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés étant illimité, le droit reconnu à l’administration de contrôler la réalité des déficits imputés sur le résultat fiscal peut remonter sans limitation dans le temps[1].
L’administration est, par ailleurs, également fondée à vérifier les exercices bénéficiaires prescrits qui suivent les exercices déficitaires, dans la mesure où le déficit résiduel, considéré par l’entreprise comme un élément de la détermination du bénéfice imposable de l’exercice vérifié et non prescrit, est le résultat de la différence entre le déficit initial et d’éventuels résultats bénéficiaires réalisés dans l’intervalle et qui ne l’ont pas totalement absorbé[2].
Les faits en cause
A l’occasion d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 mars 2009, 2010 et 2011, l’administration a entendu vérifier l’existence et le montant des déficits constitués en période prescrite et non encore imputés ; reportés dans les déclarations de résultat des exercices contrôlés.
Il convient de préciser que les exercices vérifiés étaient tous déficitaires et qu’aucun des déficits contrôlés n’ont à ce jour encore fait l’objet d’une imputation. C’est ce contrôle des déficits, constitués en période prescrite, alors mêmes qu’ils n’ont pas été imputés, que conteste la société.
Un silence des textes quant au droit de contrôle des déficits non-imputés
La question posée aux juges de la cour administrative d’appel de Paris dans cette affaire était de savoir si le droit de contrôle de l’administration s’étendait aux déficits constitués au titre d’exercices prescrits alors même qu’ils n’ont pas été imputés sur les résultats des exercices non prescrits, eux-mêmes déficitaires.
En effet, l’administration a entendu rectifier les déficits déclarés par la société contrôlée en matière d’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos le 31 mars des années 2003 à 2008 – période prescrite et alors même qu’aucun de ces déficits n’avait fait l’objet d’une imputation par la société. Ce redressement a pu paraitre surprenant puisque les déficits n’avaient pas été utilisés, et restaient donc utilisables pour l’avenir, de fait contrôlables lors de leur imputation future, conformément à l’état du droit présenté ci-dessus.
La société a contesté la rectification des déficits en soutenant qu’aucune disposition légale n’autorise l’administration à contrôler et, le cas échéant, à réduire le déficit constitué au titre d’un exercice prescrit lorsque la société n’a procédé à aucune imputation de ce déficit sur le bénéfice imposable d’un exercice non prescrit.
Se fondant sur les articles L 169 du LPF et 209 du CGI, le Tribunal administratif de Paris avait toutefois jugé que l’administration pouvait vérifier l’existence et le montant des déficits déclarés au titre des exercices clos le 31 mars des années 2003 à 2008, même si la société ne les avait pas imputés sur les résultats des exercices vérifiés, faute de bénéfices, et qu’elle les avait seulement déclarés comme déficits restant à reporter[3].
La société requérante a donc tenté de démontrer que le Tribunal administratif avait commis une erreur de droit en première instance en considérant que l’administration était autorisée à vérifier l’existence et le montant de ces déficits « non seulement lorsqu’ils ont été imputés sur les bénéfices imposables d’exercices non prescrits, mais aussi lorsque, faute de résultats bénéficiaires, ils ont été exclusivement reportés et déclarés comme tels au titre des exercices non prescrits, sans avoir à attendre l’imputation sur les bénéfices susceptibles d’être réalisés au cours d’exercices ultérieurs ». En effet dans cette hypothèse le déficit reportable ne constitue pas une charge de l’exercice non-prescrit contrôlé, et n’a donc pas d’incidence sur son résultat.
La question n’était pas évidente.
Le texte de l’article L169 du LPF, tout d’abord, qui fixe le délai de reprise en matière d’impôt sur les sociétés jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due, et qui prévoit les exceptions à ce principe, ne vise pas les déficits en report.
De même, la jurisprudence du Conseil d’Etat et les commentaires du Bofip[4] ne concernent que des cas d’imputation du stock de déficits reportables sur le résultat, alors considéré comme une charge de l’exercice non-prescrit.
Affirmation par la Cour administrative d’appel de Paris du droit de contrôle des déficits constitués en période prescrite même en l’absence d’imputation
La cour administrative d’appel de Paris a tranché dans un sens contraire au raisonnement du contribuable et juge que le report de déficits résultant d’exercices antérieurs prescrits sur des exercices déficitaires non prescrits, sans limitation de temps en application de l’article 209 du CGI, ne relève pas « d’une simple déclaration qui reste sans incidence, mais constitue l’un des éléments à prendre en compte pour déterminer le résultat fiscal des exercices non prescrits, même lorsqu’ils constatent un déficit fiscal. Ainsi, ces déficits issus des exercices antérieurs ont pour effet d’augmenter le déficit des exercices non prescrits et influent nécessairement sur les résultats servant de base à l’imposition, même si celle-ci est nulle, compte tenu de la situation fiscalement déficitaire. ».
Rappelons que le I de l’article 209 du CGI cité par la CAA, dans sa rédaction alors en vigueur au moment des faits, et issu de l’article 89 de la loi de finances pour 2004 n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, prévoyait que : « (…) En cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l’exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice. Si ce bénéfice n’est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l’excédent du déficit est reporté dans les mêmes conditions sur les exercices suivants (…) ».
On peut s’interroger sur l’affirmation de la cour d’appel selon laquelle le stock de déficits relatifs aux exercices prescrits « influe » sur le résultat fiscal, même nul.
En effet, en l’absence d’imputation, il n’y aucun impact sur la détermination du résultat, d’autant plus quand il est déficitaire. On rappellera également qu’en cas d’imputation ultérieure de tout ou partie du stock de déficits reportables, l’administration retrouvera son droit à contrôler le déficit constitué en période prescrite.
Une prise de position du Conseil d’Etat sur la question serait la bienvenue, pour confirmer ou non ce qui se présente comme un élargissement jurisprudentiel conséquent de l’étendue du droit de contrôle des déficits relatifs à des exercices prescrits.
[1] Conseil d’Etat, 30 mars 1936, n° 49177.
[2] Aucune imposition ne saurait néanmoins être établie au titre des exercices prescrits (Conseil d’Etat, 25 novembre 1966, n° 63522).
[3] Tribunal administratif de Paris, 20 mars 2019, n° 1620873 et 1705086.
[4] BOI-IS-DEF-10-20 03/06/2013 §280 et suivants, BOI-CF-PGR-10-20 03/02/2016 §180 et suivants.
Article paru dans Option finance le 06/06/2022