La para-hôtellerie, un clair-obscur fiscal
Par une décision du 19 avril 2022 n° 442946, rendue pour l’application du régime du sursis d’imposition de l’article 150-0 B du Code général des impôts, le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles la location en meublé constitue une « activité économique » par opposition à une « activité patrimoniale ».
Cette distinction est de grande importance pour les contribuables qui, ayant réalisé un « apport-cession » avant l’encadrement légal en 2012 de cette opération d’optimisation des plus-values sur titres, subissent les foudres de la procédure d’abus de droit au motif que leurs investissements immobiliers subséquents ne répondent pas aux canons de l’activité économique requise par la jurisprudence. Encore fallait-il qu’ils soient alors connus … Or, ceux-ci ne sont révélés aux contribuables que dix ans et plus après la réalisation des opérations litigieuses.
Comment ne pas abuser de l’apport-cession ?
Le Conseil d’État commence par rappeler que le régime de neutralité fiscale de l’article 150-0 B a été instauré dans l’objectif de « faciliter les opérations de restructuration d’entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l’octroi automatique d’un sursis d’imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités ». En conséquence, l’apport-cession qui est « l’opération par laquelle des titres d’une société sont apportés par un contribuable à une société qu’il contrôle, puis sont immédiatement cédés par cette dernière, répond à l’objectif économique ainsi poursuivi par le législateur lorsque le produit de cession fait l’objet d’un réinvestissement à caractère économique, à bref délai, par cette société. En revanche, en l’absence de réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit, en principe, être regardée comme [abusive] ».
Ce qui est clair…
Un premier enseignement peut être retiré de cette décision : il est désormais très clair que la simple location en meublé présente un caractère « patrimonial » et non « économique », bien que cette activité soit classée au rang des activités commerciales par l’article 35 I 5° bis du code général des impôts.
… et ce qui l’est moins
En effet, le Conseil d’État ne reconnaît le caractère économique de la location en meublé que sous les conditions visées dans les deux situations alternatives suivantes.
En premier lieu, lorsque la fourniture du logement meublé est assortie d’une « prestation d’hébergement » dite « para-hôtelière ». Cette solution est cohérente avec l’interprétation classique de l’article 110-1 du Code de commerce selon laquelle la location d’un immeuble meublé reste une activité civile de « louage de choses », sauf à ce qu’elle soit assortie de prestations de services d’une intensité telle que l’hébergement relève alors d’un « louage de services » à caractère commercial
En second lieu, selon le juge, la location revêt un caractère économique lorsque le propriétaire du logement meublé « en assure directement la gestion » et supporte « des charges de gestion conséquentes » inhérentes à « la mise en œuvre d’importants moyens matériels et humains ».
La clarification ainsi apportée par le conseil d’État s’avère à ce stade pour le moins… obscure, en l’absence notamment de définition stabilisée des concepts utilisés.
De perplexité en interrogations …
En outre, on saisit mal la portée pratique de l’alternative dessinée par le juge, qui semble distinguer – voire opposer – deux modalités opérationnelles possibles, dont l’une seulement serait « assortie de prestations para-hôtelières ».
Or, pour dépasser le stade de l’activité « patrimoniale », la location en meublé ne doit-elle pas nécessairement comporter, en toute occurrence, des services qui rapprochent la prestation d’hébergement de celle fournie par un établissement hôtelier, d’où l’expression « para-hôtellerie » ?
Par ailleurs, celui qui revendique l’exercice d’une activité « économique » doit nécessairement être l’exploitant qui assume les risques afférents à cette qualité. Il ne saurait être question, dans ce cadre, de se limiter par exemple à confier le logement meublé à un opérateur de « villages vacances » qui facture la prestation globale de « para-hôtellerie » à ses propres clients. Pour autant, il est a priori loisible au « para-hôtelier » de sous-traiter une partie des prestations « qualifiantes » sous réserve qu’il reste le client du « sous-traitant », ce que ne saurait être l’occupant du logement.
Le cas où le propriétaire du logement meublé « en assure directement la gestion » viserait-il la situation dans laquelle le loueur ne recoure à aucune sous-traitance des services qualifiants ? Mais dans ce cas, l’exigence de la « mise en œuvre d’importants moyens humains » serait-elle satisfaite si le contribuable, qui contrôle la société propriétaire des actifs loués en meublé, réalise lui-même l’ensemble des prestations qualifiantes ? On voit mal pourquoi il devrait être contraint de recourir à du personnel salarié, dès lors qu’il prendrait la décision de gestion d’assurer personnellement la réalisation des prestations requises.
Comparaison n’est pas raison
On observe enfin qu’à la différence des conclusions du rapporteur public Laurent Cytermann, la décision ne comporte aucune référence à la règle d’assujettissement à la TVA des activités de location en meublé qui comprennent au moins trois prestations en sus de l’hébergement, parmi la fourniture du petit déjeuner, la réalisation du nettoyage régulier des locaux, la fourniture du linge de maison et enfin, la réception même non personnalisée de la clientèle[1]. Ce mutisme peut paraître déconcertant sachant que la TVA est, par excellence, l’impôt qui frappe les « opérations économiques ». Il faut donc probablement en déduire que pour qualifier d’« économique » une activité location en meublé avec services, le Conseil d’État se montre plus exigeant pour les besoins des impôts directs que pour l’application du régime de TVA, qui bénéficie d’une relative souplesse notamment de la part de la doctrine administrative[2].
Quelle incidence sur le 150-0 B ter ?
Cette décision laissera également perplexes les contribuables effectuant une opération d’« apport-cession » sous l’actuel régime du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI, qui implique la réalisation sous deux ans de réinvestissements au service d’une activité, au choix, « industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale » à l’exclusion des activités de « gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier ». Or, ce texte a été directement inspiré de la jurisprudence « apport-cession » initiée par le conseil d’État avant 2012 et dont la décision du 19 avril 2022 constitue la suite directe. Il paraît donc raisonnable d’interpréter l’article 150-0B ter en ce sens que les réinvestissements requis doivent présenter un caractère « économique » au sens de cette jurisprudence. Dès lors, les réinvestissements dans une activité de location en meublé simple seraient bien proscrits ainsi que l’affirme la doctrine administrative[3], cependant que la « para-hôtellerie » serait clairement éligible, mais moyennant quelles nature et étendue de prestations à lui adjoindre ?
Article paru dans Option Finance le 30/06/2022
[1] Article 261 D, 4, b du CGI.
[2] Cf. BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-20 n° 40 qui admet notamment que des services soient seulement proposés.
[3] BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60-20, n° 110