Les titres détenus par un actionnaire très minoritaire peuvent être qualifiés de titres de participation
malgré la très faible détention dans le capital de la société émettrice, la possession des titres présente une utilité pour l’entreprise actionnaire, notamment parce que dans un contexte d’actionnariat très éparpillé, elle la place parmi les actionnaires de référence et s’inscrit dans une démarche de développement de son activité dans le nucléaire.
On sait que les plus-values à long terme résultant de la cession de titres de participation relèvent du régime prévu par l’article 219, I-a quinquies du CGI (taxation au taux de 0 % de la plus-value et, en cas de constatation d’une plus-value nette de cession au titre de l’exercice, imposition au taux de droit commun de l’impôt sur les sociétés d’une quote-part de frais et charges égale à 12 % de la plus-value brute). Ce régime s’applique aux titres de participation revêtant ce caractère au plan comptable ainsi qu’aux titres assimilés fiscalement à des titres de participation.
En ce qui concerne les titres qui revêtent le caractère de titres de participation au plan comptable, le Conseil d’Etat, reprenant la définition du Plan comptable général de 1982 (que la doctrine comptable juge encore pertinente), considère de façon constante qu’il s’agit de ceux dont la possession durable est estimée utile à l’activité de l’entreprise, notamment parce qu’elle permet d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle.
Au fil de sa jurisprudence, la Haute Assemblée a affiné cette définition. Ainsi, l’utilité de la détention des titres doit être appréciée à la date de leur acquisition : elle peut notamment être caractérisée si les conditions d’achat des titres en cause révèlent l’intention de l’acquéreur d’exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d’exercer une telle influence (CE, 20 octobre 2010, n° 314247, Société Alphaprim et n° 314248, Société Hyper Primeurs). Par ailleurs, dans les cas exceptionnels où la détention des titres ne permet pas d’exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d’en assurer le contrôle, l’utilité peut aussi être caractérisée lorsque les conditions d’acquisition des titres révèlent l’intention de la société acquéreuse de favoriser son activité par ce moyen, notamment par les prérogatives juridiques qu’une telle détention lui confère ou les avantages qu’elle lui procure pour l’exercice de cette activité (CE, 20 mai 2016, n° 392527, SELARL Lemaire).
La présente décision donne l’occasion au Conseil d’Etat de fournir une nouvelle illustration de la notion de titres de participation dans des circonstances où la société actionnaire détient une très faible participation dans le capital de la société émettrice (CE, 22 juillet 2022, n° 449444, Société Areva).
- Pour la CAA de Versailles, les titres sont des titres de placement
En septembre 2005, la société Areva a acquis auprès d’une de ses filiales des titres de la société Suez représentant 2,2 % du capital de celle-ci, qu’elle a inscrits en compte de titres de placement puis qu’elle a reclassés en titres de participation au mois de décembre. À la suite de l’absorption de Suez en juillet 2008, la société Areva a inscrit à son actif les titres de la société absorbante GDF-Suez pour une valeur de plus de 1 milliard d’euros en contrepartie de la sortie du bilan des titres Suez pour une valeur de 585 millions d’euros, et a soumis la plus-value ainsi réalisée au régime des plus-values à long terme prévu au a) quinquies du I de l’article 219 du CGI.
L’administration fiscale a toutefois remis en cause la qualification de titres de participation des titres Suez et a soumis l’intégralité de la plus-value au taux de droit commun.
Au contentieux, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de dégrèvement de la société Areva en jugeant que les titres Suez constituaient bien des titres de participation, considérant que la société Areva était entrée au capital de Suez avec l’objectif de nouer des liens durables, stratégiques pour le développement de son activité nucléaire tout en possédant une certaine influence sur cette dernière. La cour administrative d’appel de Versailles a au contraire retenu la position de l’administration (CAA, Versailles, 8 décembre 2020, n° 18VE03698). Pour écarter la qualification de titres de participation, la Cour s’est notamment fondée sur les éléments suivants : faible taux de détention de Areva dans le capital de Suez ; pas d’engagement de conservation des titres Suez par Areva ; existence de relations d’affaires entre les deux sociétés avant même l’opération de rachat des titres Suez par Areva, le rapprochement de ces deux sociétés étant inévitable sur un marché tel que celui du nucléaire ; aucune prérogative juridique conférée à la société Areva dans le groupe Suez du fait de sa participation. La Cour a par ailleurs relevé que si la présidente du directoire de la société Areva siégeait au conseil d’administration du groupe Suez, c’était en qualité d’administrateur indépendant, avant comme après le rachat des titres Suez.
- Eléments de contexte retenus par le Conseil d’Etat pour qualifier les titres de titres de participation
Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat rappelle la jurisprudence précitée et considère en premier lieu que la Cour a jugé à tort que la prise de participation de la société Areva dans le groupe Suez ne lui a pas conféré de prérogative juridique. Le niveau de sa participation dans la société Suez lui permettait en effet de demander l’inscription d’une résolution aux assemblées générales, en application des dispositions combinées des articles L. 225-105 du code de commerce et 128 du décret du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales.
Surtout, le Conseil d’Etat relève les éléments suivants pour juger que les titres constituent des titres de participation.
A la suite du rachat des titres de la société Suez, la société Areva est devenue, en dépit du faible pourcentage du capital détenu, le cinquième plus important actionnaire de cette société, avec des droits de vote devant s’élever à 3,7 % à l’issue d’une période de deux ans de détention, les deux principaux actionnaires ne détenant respectivement que 11,5 % et 5,5 % des droits de vote sans qu’aucun pacte d’actionnaire n’ait été conclu. La Haute assemblée tient ainsi compte de l’éparpillement de l’actionnariat de la société Suez et de ses conséquences sur la capacité d’Areva d’exercer concrètement une influence sur la société émettrice des titres, en dépit de sa faible participation.
Par ailleurs, la présidente du directoire d’Areva a conservé son siège, même si c’était à titre personnel, au sein du conseil d’administration de Suez. Dans ses conclusions, Emilie Bokdam-Tognetti estime que cette participation de la présidente du directoire d’Areva en son nom personnel, et non en tant que représentante de la société Areva, ne permet pas de conclure qu’elle ne pouvait pas prendre en compte les intérêts d’Areva dans l’exercice de son mandat d’administratrice.
Le Conseil d’Etat relève également que dès le conseil de surveillance du 6 septembre 2005, la présidente du directoire de la société Areva a indiqué que l’opération ne relevait pas d’une nouvelle politique générale consistant à prendre des participations chez ses clients, comme la société EDF, mais d’une démarche propre à la société Suez liée au développement des activités d’Areva en matière nucléaire en Belgique et en Europe. La rapporteure publique constate d’ailleurs que cet intérêt stratégique de maintenir de façon durable une participation d’Areva dans Suez a été confirmé par le rapport du comité d’audit du 14 septembre 2005, soulignant l’importance d’accompagner Suez dans le développement de ses activités énergétiques compte tenu de son intérêt déclaré pour le nucléaire et de sa présence dans le transport et la distribution d’électricité.
Autre élément retenu par le Conseil d’Etat : après l’approbation de l’opération d’acquisition, lors du conseil de surveillance du 19 septembre 2005, sous réserve de l’absence d’engagement, exigée par le directeur de l’Agence des participations de l’Etat, de conserver les titres, ceux-ci ont été, dès le mois de décembre 2005, reclassés depuis les titres de placement vers les titres de participation. L’agence précitée n’a, à aucun moment, contesté ce reclassement, qui n’est pas incompatible avec le classement des titres, au regard des normes IFRS, en tant qu’« actifs disponibles à la vente ».
En outre, les deux groupes entretenaient déjà des relations d’affaire dans le marché du nucléaire, dans lequel le nombre d’acteurs est restreint, avec notamment des discussions sur un projet de réacteurs à eau pressurisée de type EPR.
Enfin, si le chiffre d’affaires réalisé par la société Areva avec le groupe Suez est resté modeste dans les années qui ont suivi l’opération, au regard de son activité d’ensemble, il a néanmoins, été multiplié par trois entre 2005 et 2009 pour atteindre 138 millions d’euros. Si cette augmentation du chiffre d’affaires dans les trois ans qui ont suivi l’acquisition des titres n’est pas en elle-même un argument permettant de retenir la qualification de titres de participation, celle-ci devant être appréciée à la date d’acquisition des titres, la rapporteure publique note qu’elle confirme l’utilité d’une telle acquisition.
La cour administrative d’appel, qui aurait dû seulement vérifier si l’intention de la société Areva était de favoriser son activité au regard notamment des prérogatives juridiques conférées ou des avantages procurés et qui ne pouvait, sans commettre d’erreur de droit, s’en tenir aux relations déjà existantes entre les sociétés et devait, particulièrement dans le secteur en cause, tenir compte du temps nécessaire au développement des activités commerciales, a donc commis une erreur de qualification juridique en jugeant que les titres détenus par la société Areva dans la société Suez ne constituaient pas des titres de participation.
Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat confirme le jugement du tribunal administratif de Montreuil : les titres Suez détenus par Areva constituent des titres de participation.
Article paru dans Option Finance le 03/01/2022
Amélie Nithart, fiscaliste