Perte d’un contrat de concession automobile : pas de transfert automatique des contrats de travail aux autres concessionnaires de la marque
7 novembre 2022
Par un arrêt en date du 12 juillet 2022 (1), la Cour de cassation a rappelé qu’à la suite de la résiliation d’un contrat de concession des véhicules d’une marque automobile, l’ancien concessionnaire ne pouvait pas considérer que les contrats de travail de ses salariés avaient été automatiquement transférés aux autres concessionnaires de la marque.
Rappel des faits et de la procédure
La Société DIESEL assurait, depuis 1967, sur toute la Corse, la représentation de la marque FIAT devenue IVECO. En 2010, la Société SN VIC devient le second distributeur de la marque IVECO en Corse.
Le 27 mai 2011, la Société IVECO France décidait de résilier les contrats de distribution des véhicules de la marque IVECO la liant à la Société DIESEL avec une date d’effet au 31 juillet 2013.
La Société DIESEL, informait neuf de ses salariés qu’elle ne faisait plus partie du réseau de la marque IVECO. Elle les avisait également que leur contrat de travail était transféré auprès de la Société SN VIC puisque cette dernière lui succédait, selon elle, en reprenant et en poursuivant, intégralement et à l’identique, les activités de distribution de la marque auprès de la même clientèle.
La Société SN VIC ayant refusé la reprise des contrats de travail des salariés les neufs salariés ont pris alors acte de la rupture de leur contrat de travail et ont saisi la juridiction prud’homale.
Le conseil de prud’hommes d’Ajaccio a jugé qu’il n’y avait pas eu de transfert d’activité en l’espèce et que la Société DIESEL conservait la qualité d’employeur auprès desdits salariés.
La rupture des contrats de travail lui était donc imputable et produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les indemnités qui en découlent.
La Société DIESEL a interjeté appel de ce jugement.
La cour d’appel de Bastia a confirmé le jugement prud’homal en considérant que les conditions d’application de l’article L.1224-1 n’étaient pas remplies et que l’activité de concession de vente exploitée par la Société DIESEL n’était pas transférée.
Dans le cadre du pourvoi formé par l’employeur, les juges du quai de l’horloge devaient donc vérifier si les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, article qui consacre le transfert automatique des contrats de travail, étaient, en l’espèce, réunies.
Les critères jurisprudentiels d’application de l’article L.1224-1 du Code du travail
En vertu des dispositions d’ordre public de l’article L.1224-1 du Code du travail «s’il survient une modification dans la situation juridique de l’employeur notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise».
Au-delà des situations expressément visées par cet article, la jurisprudence prévoit le maintien automatique des contrats de travail avec le repreneur en cas de «transfert d’une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise».
Ainsi, l’article L.1224-1 du Code du travail s’applique si les trois conditions suivantes sont cumulativement remplies :
1) L’existence d’une entité économique autonome
L’entité économique autonome est définie par la jurisprudence comme «un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre».
La notion d’entité économique autonome est interprétée par la jurisprudence au cas par cas.
Il est généralement admis que l’activité transférée constitue une entité économique autonome lorsqu’elle dispose d’un personnel propre, de moyens corporels et/ou incorporels et qu’elle poursuit un objectif propre, c’est-à -dire qu’elle tend à des résultats spécifiques et à une finalité propre.
2) Le transfert de l’entité économique autonome
En outre, l’entité économique autonome doit être transférée au cessionnaire. Il est nécessaire qu’un maximum d’actifs corporels ou incorporels soient transférés au repreneur (un transfert de propriété n’est pas obligatoire, une simple mise à disposition des moyens d’exploitation est suffisante).
3) Le maintien de l’identité de l’entité transférée et la poursuite de l’activité
Enfin, l’entité économique reprise doit conserver sa destination c’est-à -dire son affectation à la même activité ou à une activité analogue. Cette condition est remplie lorsque la même activité se poursuit chez le repreneur avec les mêmes moyens.
En revanche, l’identité disparait si le transfert s’accompagne d’un changement d’activité, de la cessation de l’activité initiale, de la disparition de l’entité ou de l’éclatement de l’activité entre plusieurs repreneurs.
L’appréciation in concreto par les juges des conditions d’application de l’article L.1224-1
Dans certaines situations (par exemple, la fusion ou la cession de fonds de commerce), l’article L.1224-1 du Code du travail est automatiquement applicable sans qu’il soit nécessaire de caractériser l’existence d’une entité économique autonome. En revanche, cela n’est pas automatique pour d’autres situations, notamment dans le cadre, comme ce fut le cas en l’espèce, de la reprise d’un contrat de concession.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 2022, il revenait donc aux juges du fond de déterminer si les conditions d’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail étaient remplies.
Concernant la première condition, la Cour d’appel a relevé de nombreux éléments en faveur de la caractérisation d’une entité économique autonome : les contrats de concession de vente des véhicules industriels et de véhicules utilitaires légers IVECO prévoyaient effectivement les locaux, les équipements et logiciels, les véhicules de démonstration et d’exposition, le personnel compétent formé spécialement par IVECO, les enseignes et identification, les structures financières, le système comptable, la documentation ainsi qu’une organisation dédiée à la marque IVECO pour la vente de pièces et les services de réparation et d’entretien des véhicules de la marque.
Ainsi, la Cour d’appel en a conclu que : «par l’affectation d’un personnel spécialisé avec l’attribution de locaux spécifiques et la poursuite d’un objectif propre défini par l’objet de l’activité» une entité économique autonome était constituée.
S’agissant de la deuxième condition, à savoir le transfert de l’entité économique autonome, la Cour d’appel constate que «la société SN VIC n’a fait que continuer son activité antérieure sans réaliser aucun acte positif de reprise ou de poursuite de l’activité de la société DIESEL».
En effet, la Société SN VIC avait conclu un contrat de distribution de la marque IVECO depuis 2010, qu’elle avait exercé de manière concurrente avec la Société DIESEL jusqu’à la résiliation des contrats de distribution de cette dernière par la Société IVECO France et avait continué son activité, au-delà de cette date, sans que ses droits fussent affectés par la résiliation du contrat de concession de la société DIESEL.
Autrement dit, il n’est pas démontré par la Société DIESEL que son activité se serait répercutée sur la Société SN VIC.
En effet, la Cour d’appel précise que l’ancienne clientèle de la Société DIESEL pouvait se fournir auprès d’autres intermédiaires comme par exemple, directement auprès d’IVECO France ou encore le garage GROTTOLI en Corse. La Société DIESEL puis la Société SN VIC n’ont jamais eu l’exclusivité de la distribution de la marque IVECO.
En revanche, la jurisprudence a décidé, dans des arrêts anciens (2), que la perte, pour une société, de la représentation exclusive d’une marque au profit d’une autre société entraine le transfert des contrats de travail entre les deux concessionnaires successifs.
Dans le cas d’une succession de contrats de concession exclusive, la clientèle, élément immatériel extrêmement important, est de fait automatiquement cédée ; Le transfert d’une entité économique autonome est alors plus facile à caractériser.
S’agissant enfin de la troisième condition, le maintien de l’identité de l’entité transférée et la poursuite de l’activité, il a été jugé que lorsque la vente exclusive des automobiles n’a été reprise par aucun concessionnaire unique et que la vente des véhicules a été répartie entre plusieurs entreprises de la région, l’entité économique constituée par la concession de vente exclusive de la marque ne conserve pas son identité de sorte que le concessionnaire sortant reste l’employeur des salariés (3).
En l’espèce, dès lors que la deuxième condition, à savoir le transfert d’une entité économique autonome, n’était pas remplie, il est évident qu’il n’y avait pas à s’interroger sur le maintien de son identité après transfert.
En conclusion, la Cour de cassation a approuvé les décisions rendues par les juges du fond qui pour décider que les contrats de travail n’avaient pas été transférés ont retenu, conformément à la jurisprudence en la matière, qu’aucune entité économique autonome n’avait été transférée ou reprise.
(1) Cass. soc., 12 juillet 2022, n°17-24.129
(2) Cass. soc., 19 février 1981, n°79-42.484 ; Cass. soc., 17 mars 1988, n°85-45.444, Cass. soc., 11 juin 2002, n°01-43.051 ; Cass soc., 12 février 2003, n°00-46.187
(3) Cass. soc., 28 mai 2003, n°01-41.253
Laura SULTAN, Avocate et Margaux BIANCHETTI, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats
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