Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Grossesse et licenciement : pas de protection «absolue» en cas d’arrêt de travail sans référence expresse au congé pathologique

Grossesse et licenciement : pas de protection «absolue» en cas d’arrêt de travail sans référence expresse au congé pathologique

Il existe certaines périodes de suspension du contrat de travail durant lesquelles le pouvoir de licencier de l’employeur est limité, voire réduit à néant.

 

Tel est le cas lorsqu’une salariée est placée en congé de maternité ou en congé dit «pathologique», résultant de sa grossesse ou de son accouchement, puisque, durant ce congé, l’employeur ne peut pas rompre son contrat de travail.

 

Pour rappel, le congé maternité peut, en effet, être augmenté pour état pathologique, dans la limite de deux semaines avant la date présumée de l’accouchement et / ou de quatre semaines après la date de celui-ci (C. trav. art. L.1225-21).

 

Par un arrêt du 14 septembre 2022 (n° 20-20.819), la Cour de cassation précise sa jurisprudence.

 

Dans cette affaire, une salariée a informé son employeur de sa grossesse puis a fait l’objet d’un arrêt de travail, avant que son congé maternité ne débute. Sur le certificat d’arrêt de travail transmis à l’employeur, le médecin prescripteur n’a pas coché la case «avec un état pathologique résultant de la grossesse».

 

L’employeur a donc considéré qu’il pouvait licencier la salariée pour faute grave durant cet arrêt de travail.

 

Dans ces circonstances, la salariée a demandé en justice la requalification de son licenciement en licenciement nul en violation de la protection «absolue» contre le licenciement.

 

Elle se prévalait à ce titre d’une référence sur l’arrêt de travail à des «contractions utérines, fatigue» et d’une attestation de son médecin prescripteur mentionnant son état pathologique lié à sa grossesse, établie un an et demi après les faits.

 

Sans réelle surprise, la Cour de cassation a rejeté la demande de la salariée et a confirmé, à cette occasion, sa jurisprudence antérieure.(1)

 

Il en résulte qu’une salariée en état de grossesse, placée en arrêt de travail, ne bénéficie pas de la protection «absolue» contre le licenciement dès lors que son médecin prescripteur n’a pas coché la case «avec un état pathologique résultant de la grossesse» dans l’avis d’arrêt de travail, même si ledit médecin a, ensuite, établi une attestation mentionnant cet état dans le cadre d’un contentieux.

 

Dans cette situation, la salariée n’est pas en congé pathologique mais en arrêt de travail pour maladie «ordinaire». Or, en dehors des périodes de congé de maternité, l’employeur peut licencier une salariée enceinte pour faute grave (2) ou impossibilité de maintenir le contrat.

 

L’employeur doit, en conséquence, rester attentif à la nature de l’arrêt de travail (maladie ou maternité) d’une salariée en état de grossesse ou ayant récemment accouché, dès lors qu’elle détermine l’étendue de son pouvoir de licencier.

 

A cet égard, deux principales hypothèses méritent attention :

 

Première situation : La salariée est en congé maternité incluant, le cas échéant, un congé «pathologique», ou la salariée prend ses congés payés immédiatement après ce congé maternité.

 

La salariée bénéficie alors d’une protection «absolue» contre son licenciement (C. trav. art. L. 1225-21).

 

Durant ces périodes, l’employeur ne peut licencier la salariée pour quel que motif que ce soit, sous peine de nullité du licenciement.

 

Rappelons, à cet égard, qu’en vertu de l’article R.1225-1 du Code du travail, pour bénéficier de la protection «absolue», la salariée doit remettre «contre récépissé ou envoie par lettre recommandée avec avis de réception à son employeur un certificat médical attestant son état de grossesse et la date présumée de son accouchement ou la date effective de celui-ci, ainsi que, s’il y a lieu, l’existence et la durée prévisible de son état pathologique nécessitant un allongement de la période de suspension de son contrat de travail».

 

En pratique, pour bénéficier de la protection absolue au titre d’un arrêt de travail antérieur ou postérieur au début du congé maternité, il appartient au médecin prescripteur de l’arrêt de travail, de cocher la case «en rapport avec un état pathologique résultant de la grossesse», dans son avis d’arrêt de travail.

 

Seconde situation : La salariée est en arrêt de travail pour maladie «ordinaire»

 

En dehors de son congé maternité incluant, le cas échéant, un ou deux congés pathologiques, (et de la période de congés payés y accolée), une salariée peut être placée en arrêt de travail pour maladie, autrement dit pour un motif sans rapport avec sa grossesse ou son accouchement.

 

La salariée ne bénéficie alors plus que d’une protection «relative», sous réserve d’avoir informé son employeur de sa grossesse (3).

 

Il s’ensuit que l’employeur ne pourra alors la licencier, comme mentionné ci-dessus, que pour faute grave non liée à son état de grossesse ou impossibilité de maintenir son contrat de travail pour un motif étranger à sa grossesse ou à son accouchement (4).

 

Dans l’arrêt du 14 septembre 2022, le médecin prescripteur avait, certes, mentionné des «contractions utérines et fatigue», selon notre compréhension, dans le volet de l’avis d’arrêt de travail envoyé à la CPAM (ce qui semblait donc bien caractériser un état pathologique lié à la grossesse) mais il avait omis de cocher la case «en rapport avec un état pathologique résultant de la grossesse» dans le volet destiné à l’employeur.

 

La Cour de cassation a donc considéré que si la salariée pouvait parfaitement être considérée comme étant en congé maternité du fait d’un congé pathologique au regard du droit de la sécurité sociale, elle était en arrêt de travail pour maladie ordinaire au regard du droit du travail et ne bénéficiait dès lors, à ce titre, que d’une protection «relative».

 

Cette position se comprend car :

 

    • d’une part, l’employeur n’ayant pas connaissance des éléments d’ordre médical dans l’avis d’arrêt de travail (qui étaient, a priori, seulement précisés dans le volet 1 adressé à la CPAM), il ne saurait lui être opposé une interdiction « absolue » de licencier sur la base d’éléments qu’il ignorait ;
    • d’autre part, le juge prud’homal n’est pas lié par une décision d’un organisme de sécurité sociale conformément au principe d’autonomie du droit du travail et du droit de la sécurité sociale ;
    • et enfin, l’attestation a posteriori du médecin prescripteur ne peut entrainer la nullité d’un licenciement prononcé, au vu des informations transmises à l’employeur, dans le respect des dispositions légales.

 

Nous relevons, à cet égard, que l’arrêt semble motivé par le caractère très tardif de l’attestation médicale alors qu’il nous apparait que cet élément temporel devrait être sans impact si l’information est portée à la connaissance de l’employeur après la notification du licenciement.

 

Certes, la salariée peut obtenir l’annulation de son licenciement si elle informe l’employeur de son état de grossesse dans les 15 jours de la notification du licenciement, ce qui s’avère en l’occurrence être un délai raisonnable. Mais c’est en application d’une disposition légale (C. trav., art. L1225-5) que la protection peut, ainsi, jouer a posteriori et un tel article n’existe pas pour le congé pathologique.

 

Notons, en dernier lieu, que l’attendu de l’arrêt de la Cour de cassation n’écarte pas la faculté de produire une attestation médicale complétant l’avis d’arrêt de travail avant la notification du licenciement afin que la salariée bénéficie d’une protection « absolue ». Faudrait-il alors, dans cette hypothèse, que cette attestation soit nécessairement établie par le même médecin que celui ayant prescrit l’arrêt de travail en cause ?

 

Dans ce contexte jurisprudentiel, l’employeur devra utiliser son pouvoir de licencier à l’aune des principes de précaution et d’opportunité, et notamment en gardant à l’esprit les sanctions attachées à l’éventuelle nullité du licenciement pour violation des périodes de protection. (5)

 

Marie-Pierre SCHRAMM, Avocat associé et Lorry MONGILARDI, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Cass. soc., 8 juill. 2015, n° 14-15.979 ; Cass. soc., 1er déc. 2021, n° 20-13.339
(2) Dans cette affaire, les juges du fond avaient retenu la faute grave au motif que la salariée avait «dénoncé des faits inexistants à l’encontre de son employeur, constituant des accusations graves et réitérées, objectivement de nature à lui nuire»
(3) Une salariée bénéficie de la protection «relative» à compter du jour où elle a informé l’employeur de sa grossesse jusqu’à son départ en congé de maternité incluant le cas échéant, un congé pathologique et durant les 10 semaines qui suivent l’expiration de ce congé de maternité et/ou des congés payés pris immédiatement après (C. trav. art. L. 1225-4)
(4) C. trav. Art. L.1225-4 alinéa 2
(5) Outre des sanctions pénales, l’employeur s’expose à la réintégration de la salariée ainsi qu’à une indemnité égale au montant de la rémunération qu’elle aurait dû percevoir entre son éviction de l’entreprise et sa réintégration. Si la salariée ne souhaite pas être réintégrée, elle percevra une indemnité minimale de six mois de salaire et une indemnité égale aux salaires qu’elle aurait dû percevoir entre la date de son éviction et la date d’expiration du congé de maternité augmentée de 10 semaines en sus de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité de préavis.