La semaine de quatre jours ou comment flexibiliser l’organisation du travail dans le respect des contraintes juridiques
23 mars 2023
Dans un monde du travail «post-covid-19», de nombreux employeurs sont tentés d’explorer de nouvelles modalités d’organisation du travail, comme par exemple, le télétravail ou la semaine de travail de quatre jours.
Celle-ci permet en effet à l’employeur de développer sa marque employeur et ainsi attirer les nouveaux talents particulièrement sensibles à un juste équilibre entre la vie professionnelle et personnelle, de renforcer le bien-être des salariés, de rendre l’organisation du travail plus écologique, voire, selon ceux l’ayant mise en place, d’augmenter la productivité.
Néanmoins, avant de se lancer dans un projet pouvant s’avérer séduisant du point de vue de la gestion des ressources humaines, une réflexion s’impose quant aux conditions juridiques de sa mise en place.
Retour sur quelques problématiques juridiques que les employeurs désireux de mettre en place la semaine de quatre jours doivent anticiper.
Comment instaurer la semaine de quatre jours : mise en place unilatérale ou accord collectif ?
La loi ne fixe pas un nombre de jours de travail obligatoire par semaine, l’employeur étant simplement tenu de ne pas faire travailler ses salariés plus de six jours par semaine, entendue comme la semaine civile débutant le lundi à 0h pour terminer le dimanche à 24h.
Conformément à l’article L.3121-67 du Code du travail, la question de la répartition des horaires de travail sur la semaine relève des décrets professionnels pris par branches d’activité ou pour une profession donnée.
Le premier réflexe de l’employeur désirant mettre en place la semaine de quatre jours doit donc être de vérifier si sa branche d’activité ou profession est couverte par un décret d’application de la durée du travail, et le cas échéant de vérifier les dispositions prises par ce décret en matière de répartition des journées de travail sur la semaine.
Il convient également de vérifier les éventuelles dispositions relatives à la répartition du travail contenues au sein de la convention collective de branche applicable.
Plusieurs cas de figure peuvent se présenter :
* L’activité relève de l’un des secteurs couverts par un décret d’application de la semaine de 39 heures (pris après l’ordonnance du 16 janvier 1982) ou de la semaine de 35 heures (pris après les lois Aubry du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000).
La semaine de quatre jours peut être mise en place conformément aux dispositions de ces décrets qui prévoient généralement une telle modalité d’organisation.
Toute dérogation aux prévisions du décret doit prendre la forme d’une convention ou d’un accord collectif étendu ou d’une convention ou accord d’entreprise ou d’établissement conformément à l’article L.3121-68 du Code du travail.
Si l’entreprise relève d’une branche ayant dérogé aux dispositions de ces décrets, elle devra veiller à se conformer aux prévisions de la branche concernée. Toute dérogation aux stipulations de la convention collective de branche devra alors prendre la forme d’un accord collectif d’entreprise ou d’établissement.
* L’activité relève d’un décret pris en application de la loi du 21 juin 1936 instituant notamment, à l’article L.212-1 (ancien) du Code du travail, la semaine de quarante heures dans les établissements industriels et commerciaux et fixant la durée du travail dans les mines souterraines.
Ces décrets, qui continuent à régir les secteurs qu’ils couvrent en l’absence de nouveaux décrets pour ces secteurs d’activité, sont tous identiques sur le fond et prévoient notamment que la durée du travail doit être répartie de manière égalitaire sur cinq ou six jours. La semaine de quatre jours de travail n’est donc pas prévue.
Il reste tout de même possible de déroger à la répartition des jours de travail sur la semaine prévue par ces décrets conformément à l’article L.3121-68 du Code du travail, par une convention ou un accord collectif de branche étendu ou par un accord d’entreprise ou d’établissement.
Il est possible que la branche dont relève l’entreprise ait autorisé un recours à la semaine de quatre jours, l’employeur étant alors tenu d’appliquer les dispositions de la convention collective de branche ou d’y déroger par accord d’entreprise.
En outre, en l’absence de toute disposition conventionnelle, une mise en place unilatérale de la semaine de quatre jours devrait également pouvoir être envisagée pour les secteurs couverts par ces décrets, sur la base de l’ancien article L.212-2-1 du Code du travail introduit par la loi du 2 janvier 1978, lequel autorisait l’employeur, en l’absence de convention ou d’accord collectif contraire, à répartir la durée du travail sur quatre jours ou quatre jours et demi par semaine, à condition d’obtenir un avis conforme du comité d’entreprise ou à défaut des délégués du personnel, et d’informer l’inspection du travail.
L’ordonnance du 16 janvier 1982, ayant abrogé cet article, a prévu que ces dispositions demeuraient en vigueur jusqu’à l’intervention des nouvelles mesures réglementaires précisant les conditions dans lesquelles la durée hebdomadaire du travail était répartie sur la semaine.
En l’absence de refonte des décrets, les dispositions de l’ancien article L.212-2-1 du Code du travail peuvent selon nous continuer à être mobilisées pour ces secteurs, laissant la possibilité à un employeur de mettre en œuvre de manière unilatérale la semaine de quatre jours, à condition toutefois d’avoir obtenu au préalable un avis conforme du comité social et économique (CSE) et informé l’inspection du travail.
Dans ces secteurs, la mise en place unilatérale de la semaine de quatre jours semble ainsi exclue en l’absence de CSE.
D’autres alternatives devront donc être recherchées, comme s’inscrire dans le cadre d’un aménagement de la durée du travail conformément aux dispositions de l’article L.3121-45 du Code du travail qui permet la mise en place d’un aménagement du temps de travail sur une durée de quatre semaines maximum de manière unilatérale (ou neuf semaines pour les entreprises de moins de 50 salariés).
Il pourrait être envisagé, dans une telle hypothèse, d’aménager la durée du travail de sorte que les salariés bénéficient d’un jour de repos par semaine, afin de ramener la durée du travail à 35 heures en moyenne sur la période considérée.
* L’activité de l’entreprise ne relève d’aucun décret.
De nombreux secteurs d’activité ont été créés après la parution des décrets professionnels visés ci-dessus. Ces secteurs sont hors du champ de toute contrainte réglementaire, de sorte que les employeurs relevant de tels secteurs ont en principe toute latitude – sauf dispositif spécifique prévu par la branche – pour mettre en place une répartition de la durée légale de travail sur quatre jours par semaine.
L’employeur peut donc, après consultation du CSE, mettre en place la semaine de quatre jours unilatéralement.
À noter toutefois que lorsque cette mise en place coïncide avec la négociation annuelle obligatoire dans les entreprises dotées de délégués syndicaux, une négociation doit préalablement être engagée en application de l’article L.2242-15 du Code du travail.
L’employeur peut aussi négocier avec les partenaires sociaux un accord relatif à la mise en place de la semaine de quatre jours.
Une telle modalité est d’ailleurs généralement privilégiée lorsque les entreprises sont pourvues de délégués syndicaux, s’agissant d’un sujet propice au dialogue social. En cas de négociation d’un accord collectif, la consultation du CSE n’est pas obligatoire mais il est recommandé de l’associer aux réflexions. La consultation du CSE sera par ailleurs nécessaire pour l’évaluation des éventuels risques professionnels liés à cette nouvelle organisation, en cas de mise à jour du DUER.
Malgré l’éventuel enthousiasme dont pourrait faire preuve un employeur pour mettre en place une semaine de travail de quatre jours, il convient donc de faire preuve de vigilance et de vérifier au préalable les modalités de mise en place permises dans le secteur d’activité.
Rappelons à cet égard que l’application d’un mode de répartition non conforme au décret applicable à la profession ou à la branche est passible d’une sanction pénale (contravention pouvant aller jusqu’à 750 euros, multipliée par le nombre de salariés concernés).
L’employeur peut-il imposer à ses salariés de travailler sur quatre jours par semaine ?
Après avoir déterminé le cadre collectif de la mise en place de la semaine de travail de quatre jours, l’employeur doit s’interroger sur l’opposabilité de cette organisation à l’ensemble de ses équipes.
En principe, sauf contractualisation, la fixation des horaires de travail relève du pouvoir de direction de l’employeur. Ce dernier pourrait alors imposer aux salariés une semaine de travail de quatre jours.
Toutefois, l’augmentation de la durée de travail journalière pour répartir la durée du travail sur quatre jours par semaine est susceptible d’avoir des impacts majeurs sur l’organisation de la vie familiale des salariés.
Il est de jurisprudence constante que lorsque la modification des horaires de travail des salariés engendre des conséquences excessives sur leur vie privée ou présente une incompatibilité avec leurs obligations familiales impérieuses, une modification du contrat de travail est caractérisée.
De ce fait, les salariés pourraient refuser le passage à une semaine de travail de quatre jours.
Par ailleurs, ceux qui auront fait le choix de réduire la durée du travail (avec ou sans maintien de rémunération) en passant par exemple de 35 heures à 32 heures par semaine, seront inévitablement considérés comme ayant modifié le contrat de travail de leurs salariés puisque la modification de la durée du travail prévue au contrat de travail constitue une modification de celui-ci.
La conclusion d’un accord de performance collective pourrait en revanche constituer un outil à la main de l’employeur pour mettre en place une telle répartition de la durée du travail sur la semaine s’imposant aux salariés.
Afin d’éviter de s’exposer à d’éventuels refus de salariés, il semble plus simple de s’inscrire dans le cadre de dispositifs basés sur le volontariat, à titre expérimental ou non. Les salariés pourraient ainsi faire le choix d’une répartition du travail sur 4 ou 5 jours. C’est d’ailleurs souvent cette option qui a été privilégiée par les employeurs ayant conclu des accords collectifs relatifs à la semaine de quatre jours.
Mais est-ce vraiment sans risque ?
L’employeur peut-il sans risque accorder aux salariés un droit d’option entre la semaine de travail de quatre jours et la semaine de travail de cinq jours ?
Un tel «droit d’option» conduit l’employeur à avoir au sein de l’entreprise deux horaires collectifs – les salariés choisissant de s’insérer dans l’un ou l’autre.
Or, l’article D.3171-1 du Code du travail pourrait s’opposer à la coexistence de plusieurs horaires collectifs pour les salariés exerçant strictement la même activité au sein d’un même service, équipe ou atelier.
En effet pour les salariés relevant d’un même atelier, service ou équipe, le Code du travail ne conçoit qu’un unique horaire collectif. Dès lors, un horaire collectif identique devrait en théorie nécessairement s’appliquer à des salariés exerçant strictement la même activité au sein d’un même service, équipe ou atelier.
Serait ainsi exclue l’application d’horaires collectifs distincts, au sein d’une même équipe, entre deux salariés qui exercent strictement la même activité.
L’application stricte de ces dispositions pourrait ainsi conduire à exclure toute possibilité de mise en place de la semaine de quatre jours sur la base du volontariat individuel. Il nous semble toutefois qu’un dispositif basé sur du volontariat pur présente un risque de contestation limité.
Nombreuses sont donc les questions qui se posent à l’employeur désireux de suivre la voie de la semaine de quatre jours dont le succès a récemment été réaffirmé par une expérimentation à grande échelle au Royaume-Uni : à la fin de celle-ci, 9 entreprises participantes sur 10 ont en effet fait savoir qu’elles étaient certaines de continuer l’expérience.
Une préparation rigoureuse d’un tel changement, en associant les représentants du personnel à la réflexion, et l’instauration d’une phase de test, semblent être des précautions nécessaires pour permettre une transition sereine vers une telle organisation.
Charlotte GUIRLET, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
A lire également
Licenciement pour divergence de vue : attention à la nullité du licenciement p... 29 juillet 2022 | Pascaline Neymond
Coronavirus : quatre circulaires de la Direction générale du travail des 16 et... 24 mars 2020 | CMS FL Social
La Cour de cassation suspend-elle la chasse aux accords forfait-jours ?... 30 août 2017 | CMS FL
Intéressement : pas de contrôle du juge de la validité du cumul d’un contra... 23 mai 2018 | CMS FL
La durée du travail peut-elle donner lieu à un avantage individuel acquis ?... 25 février 2015 | CMS FL
Panorama du contentieux social : synthèse des décisions obtenues par CMS Franc... 23 juillet 2020 | CMS FL Social
Employeurs : quelles mesures prendre face au coronavirus ?... 3 mars 2020 | CMS FL Social
Le dépassement de la durée quotidienne du travail cause-t-il nécessairement u... 13 juin 2023 | Pascaline Neymond
Articles récents
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
- Un salarié licencié pour harcèlement sexuel ne peut se prévaloir du phénomène «#Metoo»
- Régimes de retraite des dirigeants : prestations définies versus actions gratuites
- SMIC : Relèvement du salaire minimum de croissance au 1er novembre 2024
- Inaptitude et reclassement : c’est au salarié qu’il appartient de rapporter la preuve d’une déloyauté de l’employeur