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Le contrôle URSSAF au sein des groupes : les nouvelles règles

Le contrôle URSSAF au sein des groupes : les nouvelles règles

Au cours d’un contrôle URSSAF, les inspecteurs sollicitent parfois la communication d’informations ou de documents auprès de tiers.

 

Cette pratique a été sanctionnée par la Cour de cassation en 2016 dans l’arrêt Warner Music France du 31 mars 2016 (n°15-14.683) : la Cour a jugé que les inspecteurs ne pouvaient pas recueillir de renseignements auprès d’une entité autre que l’employeur (en l’espèce l’URSSAF avait pris en compte des renseignements recueillis auprès de l’AGESSA).

 

Cette position résulte des termes mêmes de l’article R.243-59 du Code de la sécurité sociale selon lequel les agents peuvent interroger la personne contrôlée et les personnes qu’elle rémunère, ce qui exclut toute autre personne.

 

Cette position conduit à exclure l’utilisation de données obtenues auprès d’une autre société que la personne contrôlée, même si cette société appartient au même groupe que la société contrôlée.

 

L’exclusion en jurisprudence de l’utilisation de données obtenues auprès d’une autre société du groupe

 

C’est ce qu’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 7 janvier 2021 (n°19-19.395).

 

Dans cette affaire, l’URSSAF avait notifié à une société des chefs de redressement sur la base de documents et d’informations communiqués par d’autres sociétés du groupe dans le cadre d’un contrôle coordonné au niveau national.

 

Quand bien même l’on se situait dans le cas d’un contrôle coordonné, cela n’a pas modifié l’analyse : le fait d’utiliser des données recueillies auprès d’une autre société du même groupe constituait une infraction à l’article R.243-59 qui n’autorise le recueil des informations qu’auprès de la société contrôlée. La procédure de contrôle a de ce fait été jugée irrégulière et cela a emporté l’annulation des chefs de redressement litigieux.

 

Précisons que dans cette décision, la Cour a rappelé que les inspecteurs auraient pu user du droit de communication prévu à l’article L.114-19 du Code de la sécurité sociale qui permet en effet aux agents chargés du contrôle d’obtenir les documents et informations nécessaires auprès de tiers.

 

Le Code encadre depuis 2008 l’exercice de ce droit : il précise notamment l’obligation pour l’URSSAF d’informer le cotisant de la teneur et de l’origine des informations et documents obtenus auprès de tiers ainsi que l’obligation de communiquer sur demande, avant la mise en recouvrement, une copie de ces documents (articles L.114-21 et R.114-35 du Code de la sécurité sociale).

 

Une circulaire du 21 juillet 2011 apporte davantage de détails sur les modalités d’exercice de ce droit.

 

Selon notre pratique, cette disposition était relativement peu appliquée.

 

La jurisprudence précitée et la faible fréquence de mise en œuvre du droit de communication de l’article L. 114-19 ont permis de contester l’utilisation par les contrôleurs URSSAF de données obtenues auprès d’une autre société du même groupe.

 

Dans un tel cas, la Cour de cassation a confirmé qu’il y avait lieu d’annuler le redressement même lorsque les données collectées n’apportaient «aucun élément significatif de nature à modifier leur position sur le chef de redressement» (Cass. civ. 2, 7 juillet 2022, n°20-18.471).

 

L’intervention du législateur pour inscrire dans les textes cette faculté écartée par la jurisprudence

 

Le législateur a voulu changer la donne. En effet, par la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 sur le financement de la sécurité sociale pour 2023, il a introduit une disposition à l’article L. 243-7-4 du Code de la sécurité sociale qui autorise l’utilisation de documents et informations obtenus lors du contrôle d’une autre société du même groupe.

 

L’objectif affiché de la mesure est de «lever une difficulté propre au contrôle des entreprises appartenant à un groupe» (extrait du rapport AN n° 339, établi au nom de la Commission des affaires sociales, enregistré à la Présidence de l’AN le 13 octobre 2022).

 

Il s’agit de changer les règles pour mettre un terme à la jurisprudence précitée de la Cour de cassation.

 

Le rapport est à ce sujet limpide. Il est en effet constaté dans ce rapport que «en dépit de ces liens structurants entre sociétés (d’un même groupe), les agents de contrôle des Urssaf ne peuvent exploiter les documents et informations récolés à l’occasion du contrôle de l’une des entreprises d’un groupe lors du contrôle d’une autre entreprise de ce même groupe.

C’est une interprétation constante de la Cour de cassation, qui estime que les dispositions de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale s’interprètent de manière stricte et que, partant, seuls les informations et documents émanant de la personne contrôlée peuvent être utilisés dans le cadre du contrôle (Cass. civ. 2e, 7 janvier 2021, n°19-19.395 et 19-20.035).

Le 5° du I du présent article entend lever l’obstacle à l’efficience du contrôle que représente cette interprétation stricte en permettant aux agents chargés du contrôle d’utiliser l’ensemble des informations et documents issus du contrôle de toute autre personne morale appartenant au même groupe.»

 

Ainsi, l’article L.243-7-4 du Code de la sécurité sociale dispose désormais que «Dans le cadre de leurs missions, les agents chargés du contrôle peuvent utiliser les documents et informations obtenus lors du contrôle de toute personne appartenant au même groupe que la personne qu’ils contrôlent».

 

Les précisions apportées par la loi et le récent décret du 12 avril 2023 sur l’utilisation par les URSSAF de cette faculté

 

A noter que seuls les documents et informations déjà portés à la connaissance de l’URSSAF lors du contrôle d’une autre société du groupe sont concernés par cette utilisation.

 

Il ne s’agit pas d’un droit de communication mais d’un droit d’utilisation au-delà du seul périmètre de l’entreprise contrôlée, tout en restant dans le cadre du groupe. L’utilisation ne s’étend pas à tous les partenaires commerciaux, financiers… de l’entreprise contrôlée. C’est le cadre du groupe qui est retenu. Et cela s’explique en particulier au regard des pratiques étendues au sein des groupes, comme par exemple, la pratique des réductions tarifaires.

 

Sur la notion de groupe, le législateur renvoie aux dispositions classiques du Code de commerce à savoir aux articles L.233-1 et L.233-3 de ce Code.

 

Ainsi, sont considérées comme appartenant à un même groupe les entreprises qui, soit détiennent plus de 50% du capital social d’une ou plusieurs autres, soit contrôlent une ou plusieurs autres entreprises en détenant la majorité des droits de vote ou en disposant d’un pouvoir de nomination ou de révocation de la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance.

 

En contrepartie de cette extension des pouvoirs des agents, les personnes contrôlées se verront communiquer la teneur et l’origine de ces documents ou informations sur lesquels l’agent se fonde pour la notification du redressement.

 

Cette disposition est clairement inspirée du droit de communication de l’article L.114-19. Sur le même modèle, l’article L.243-7-4 du Code de la sécurité sociale prévoit également que, sur la demande de la personne contrôlée et après que cette faculté lui ait été précisée, l’agent communique une copie des documents à la personne contrôlée.

 

Il a été annoncé que ces dispositions entraient en vigueur dès le 1er janvier 2023.

 

Toutefois un décret en Conseil d’Etat était attendu et devait fixer les conditions et garanties applicables à cette utilisation de documents ou d’informations et préciser le délai d’information de la personne contrôlée.

 

Ce décret vient de paraître (décret n°2023-262 du 12 avril 2023) : il introduit un article R.243-59-10 dans le Code de la sécurité sociale.

 

Il résulte de cette nouvelle disposition réglementaire que :

 

    • le contrôleur URSSAF qui «utilise des documents ou informations» dans les conditions précitées doit préciser dans la lettre d’observations : «1° la nature de ces documents ou informations», «2° leur contenu ou les éléments d’information sur lesquels il s’appuie pour fonder son redressement» et «3° la référence au contrôle et l’identité de la ou des personnes du même groupe d’où proviennent ces documents ou informations» ;
    • la lettre d’observations doit mentionner la faculté offerte à la personne contrôlée de demander une copie des documents ; à cet égard il est précisé que lorsque la personne contrôlée a demandé la communication d’une copie dans le délai de réponse à la lettre d’observations (délai de 30 jours qui peut être porté à 60 jours), la période contradictoire «ne prend fin qu’à la date d’envoi de la copie, sauf si cette date est antérieure à celle de la réponse de l’agent chargé du contrôle».

 

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 14 avril 2023. Elles devraient s’appliquer aux contrôles engagés à compter de cette date. La charte du cotisant contrôlé devrait être mise à jour en conséquence.

 

A la lecture du décret, on peut d’ores et déjà formuler trois observations :

 

    • Tout d’abord, il est précisé que le cotisant contrôlé n’est informé de l’utilisation des documents ou informations qu’au moyen de la lettre d’observations, lorsque le redressement lui est notifié : cela paraît tardif et peu conforme au caractère contradictoire de la procédure de contrôle décrit dans la charte du cotisant contrôlé !
    • Ensuite, l’information donnée au cotisant contrôlé porte notamment sur l’identité de la ou des personnes du groupe d’où proviennent les documents ou informations : s’agissant de données nominatives, on peut s’interroger sur le respect des droits de cette personne et plus généralement sur le respect des droits de l’ensemble des interlocuteurs des contrôleurs URSSAF au sein des groupes.
    • Enfin, le droit d’obtenir une copie des documents est reconnu tardivement, à la réception de la lettre d’observations, et il n’est pas prévu de délai pour la délivrance de la copie ; ainsi, il n’est pas certain que la copie soit transmise en temps utile pour permettre au cotisant d’apporter ses observations dans le délai de réponse de 30 ou 60 jours. Le décret indique simplement que la période contradictoire ne prend pas fin avant la date d’envoi de la copie ! Cela n’offre aucune garantie au cotisant d’apporter ses observations avant l’envoi de la mise en demeure. Le caractère contradictoire de la «période contradictoire» est là aussi mis à mal.

 

Ces dispositions pourraient donc susciter quelques contentieux.

 

On peut aussi s’interroger sur l’impact que ces dispositions auront sur la pratique des contrôles et leur concomitance au niveau des différentes sociétés du groupe.

 

A suivre donc.

 

Delphine Pannetier, Avocat Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats