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Actualité de la procédure d’appel à la suite d’un litige prud’homal : attention aux vices de procédure !

Actualité de la procédure d’appel à la suite d’un litige prud’homal : attention aux vices de procédure !

La procédure devant le conseil de prud’hommes est relativement simple et ce, afin de rendre cette juridiction aisément accessible aux salariés.

 

Les choses se complexifient toutefois en appel puisque, depuis 2017, la procédure devant la cour d’appel est soumise à un formalisme de plus en plus rigoureux.

 

Deux décisions récentes de la Cour de cassation rappellent la nécessité d’une vigilance accrue pour éviter de tomber dans l’une des nombreuses chausse-trappes procédurales.

 

La procédure prud’homale se complexifie en appel, en particulier depuis 2017

 

La procédure devant le conseil de prud’hommes est conçue pour rendre cette juridiction aisément accessible aux justiciables : les parties ne sont pas tenues d’être représentées par un avocat et la procédure est orale. Le salarié, tout comme l’employeur, ne sont donc pas tenus à une présentation rigoureuse tant de leurs prétentions que de leurs moyens de défense.

 

Sous certaines réserves, cette simplicité procédurale se retrouvait également devant la cour d’appel jusqu’en 2016.

 

Rappelons, à ce sujet, que près de 60% des jugements rendus par les conseils de prud’hommes font l’objet d’un appel.

 

Le décret n°2016-660 du 20 mai 2016 a néanmoins rendu la représentation obligatoire.

 

En effet, les parties doivent impérativement être représentées par un avocat ou un défenseur syndical. Or, l’obligation pour les parties d’être représentées par un professionnel a rendu possible leur sujétion à certaines contraintes procédurales, dont la finalité n’est pas évidente.

 

C’est ainsi que le décret n°2017-891 du 6 mai 2017 a profondément remanié la procédure applicable devant la cour d’appel :

 

    • en enserrant celle-ci dans des délais particulièrement rigides ;
    • et en soumettant la validité des actes communiqués à la cour d’appel à un formalisme très rigoureux.

 

Ces nouvelles règles, applicables aux appels formés à partir du 1er septembre 2017, donnent, depuis cette date, du fil à retordre aux praticiens du droit et à leurs clients : un dossier au fond très favorable à un employeur peut être totalement perdu pour des raisons strictement procédurales, voire pour l’oubli de quelques mots dans un acte.

 

A titre d’exemple, il a été jugé que l’appelant doit impérativement faire figurer en en-tête du dispositif de ses conclusions une demande tendant à infirmer, réformer ou annuler le jugement, avant de formuler ses prétentions au fond. A défaut, ses conclusions ne sont pas recevables, ce qui est susceptible d’entraîner la caducité de la déclaration d’appel : le jugement de première instance devient alors définitif (Cass. civ. 2, 31 janvier 2019, n°18-10.983).

 

Ainsi, l’oubli de seulement trois mots («Infirmer le jugement») dans des conclusions pouvant faire plusieurs dizaines de pages :

 

    • met fin au litige d’appel
    • sans qu’il soit statué sur le fond.

 

Il n’est pas assuré que de telles règles permettent effectivement une meilleure conduite du procès civil et améliorent le traitement judiciaire des litiges entre employeurs et salariés…

 

Sans prétendre faire un tour exhaustif de l’actualité de la procédure d’appel tant les règles applicables et les décisions rendues sont nombreuses, deux décisions récentes spécifiques à la procédure prud’homale donnent une nouvelle illustration de la vigilance accrue dont doivent faire preuve les employeurs et leurs conseils.

 

Point de vigilance n°1 : la rédaction de la déclaration d’appel

 

La déclaration d’appel est soumise à un rigorisme rédactionnel très strict.

 

L’article 901 du Code de procédure civile précise qu’elle doit comporter :

 

    • l’objet de la demande (c’est à dire une demande d’infirmation ou d’annulation du jugement) ;
    • l’identité des parties (devant être déclinée de manière différente selon qu’il s’agit d’une personne morale ou physique) ;
    • la date et la signature de celui qui l’établit ;
    • la constitution de l’avocat de l’appelant ;
    • l’indication de la décision attaquée, l’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
    • et enfin les chefs de jugement critiqués.

 

C’est cette dernière mention qui a généré le plus de contentieux et fait encore l’objet de débats nourris.

 

Rappelons tout d’abord que l’absence de mention des chefs de jugement critiqués est susceptible d’entraîner la nullité de la déclaration d’appel, à charge pour celui qui l’invoque de démontrer l’existence d’un grief (Cass. avis, 20 décembre 2017, n°17-70.034).

 

Or, ce grief sera en pratique très difficile à démontrer. Et à supposer que l’on y parvienne, l’appelant pourra toujours régulariser la situation en saisissant une nouvelle fois la Cour.

 

En effet, l’article 2241 du Code civil prévoit que l’acte introductif d’instance (en l’occurrence, la déclaration d’appel) interrompt la prescription même s’il est annulé. En cas de décision reconnaissant la nullité, il sera donc possible de saisir une seconde fois la cour d’appel dans un délai d’un mois à compter de cette décision.

 

Toutefois, l’omission des chefs de jugement critiqués peut faire l’objet d’une autre sanction, bien plus lourde que la nullité de la déclaration d’appel : l’absence d’effet dévolutif. L’article 564 du Code de procédure civile énonce en effet que l’appel ne saisit la cour que des chefs de jugement qu’il critique expressément.

 

L’omission d’un chef de jugement dans la déclaration d’appel ne défère donc pas à la Cour d’appel l’examen du point litigieux : la cour n’en est tout simplement pas saisie et les parties devront donc s’en tenir à ce qui a été jugé en première instance.

 

Deux cas de figure sont alors à distinguer :

 

    • premièrement, lorsque la déclaration d’appel ne comporte aucun chef de jugement, la cour n’est saisie de rien et elle ne peut statuer. Le jugement sera donc définitif dans sa totalité (Cass. civ. 2, 30 janvier 2020, n°18-22.528 ; Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n°19-16.954, ; Cass. civ. 2, 9 septembre 2021, n°20-13.700) ;
    • deuxièmement, lorsque la déclaration d’appel vise certains chefs mais pas d’autres, elle n’est saisie que partiellement du jugement et ne peut donc pas examiner les points qui ne sont pas visés par la déclaration.

 

Un arrêt récent rendu en matière de résiliation judiciaire porte précisément sur ce deuxième cas de figure (Cass. civ. 2, 23 mars 2023, n°21-20.823).

 

En l’espèce, le conseil de prud’hommes de Valence avait prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail d’une salariée. Cette rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce qui avait amené le conseil de prud’hommes à condamner l’employeur à verser au salarié la somme de 21240 euros à ce titre.

 

L’employeur a alors interjeté appel du jugement devant la cour d’appel de Grenoble. Cependant, sa déclaration d’appel visait, certes, la condamnation aux dommages et intérêts mais pas le chef de jugement prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail.

 

La cour d’appel a cependant ignoré ce point et, au vu des éléments de l’espèce, a considéré que la demande de résiliation judiciaire n’était pas fondée et a donc infirmé le jugement en ce qu’il avait prononcé la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.

 

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation censure précisément l’arrêt pour cette raison. Elle constate en effet que l’employeur n’avait pas inclus dans sa déclaration d’appel le chef de jugement ayant prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, mais uniquement celui ayant déterminé le montant des dommages et intérêts auxquels l’employeur avait été condamné.

 

Il s’en déduit que la cour d’appel ne pouvait pas revenir sur le principe même de la résiliation mais uniquement sur le quantum des dommages et intérêts, dans les limites prévues par le barème Macron.

 

Bien que rigoriste, cette solution semble justifiée : en matière de demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, si celle-ci est justifiée, c’est bien le jugement du conseil de prud’hommes lui-même qui, dans son dispositif, rompt le contrat de travail.

 

Cette résiliation entraîne ensuite nécessairement la condamnation de l’employeur à verser des dommages et intérêts. Mais si l’employeur entend contester la résiliation, il faut bien qu’il fasse appel du jugement sur le principe même de la rupture du contrat de travail tel que prononcé par le conseil de prud’hommes, et non des seuls dommages et intérêts qui n’en sont que la conséquence.

 

Point de vigilance n°2 : la rédaction et la notification des conclusions

 

La procédure étant écrite, la cour ne statue que sur les moyens qui sont développés au sein des conclusions (CPC, art. 954). Il importe donc de développer au sein des conclusions l’intégralité des arguments que l’on entend faire valoir.

 

Récemment, la Cour de cassation a rappelé qu’il était inutile de conserver des arguments pour l’audience de plaidoirie sans les avoir développés par écrit.

 

Elle rejette ainsi un argument de procédure qui n’avait été développé par l’avocat de l’intimé qu’à l’audience de plaidoirie puisque, précisément, «l’argumentation développée oralement par l’intimé ne figurait pas dans ses conclusions» (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n°21-17.407).

 

Outre le caractère exhaustif des conclusions, les parties veilleront naturellement à les déposer à la Cour dans les délais prescrits.

 

En procédure ordinaire, l’avocat de l’appelant doit déposer ses conclusions d’appel au greffe de la cour dans un délai de trois mois à compter de sa déclaration d’appel.

 

Cette remise doit en outre se faire impérativement par voie électronique, c’est-à-dire via le Réseau privé virtuel des avocats (RPVA). La sanction est radicale puisqu’à défaut de remettre ses conclusions sous cette forme dans ce délai de trois mois, la déclaration d’appel est caduque : elle ne produit donc aucun effet et le jugement devient définitif (CPC, article 908).

 

Dans une décision récente, la Cour de cassation a également rappelé que le défenseur syndical était lui aussi tenu de remettre ses conclusions au greffe dans les délais impératifs.

 

Il faut en effet rappeler que, tout comme devant le conseil de prud’hommes, le salarié peut être représenté par un défenseur syndical devant la cour d’appel.

 

Celui-ci n’étant pas avocat, il n’a cependant pas accès au RPVA.

 

L’article 930-2 du Code de procédure civile lui offre une échappatoire à cette contrariété technique en prévoyant que «les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe ou lui être adressés par lettre recommandée avec demande d’avis de réception».

 

Dès lors on peut s’interroger sur le point de savoir si l’usage de la lettre recommandée avec avis de réception (LRAR) est impératif ou constitue une simple possibilité comme le laisse entendre l’utilisation du verbe «pouvoir»?

 

La Cour de cassation ne laisse pas de place au doute : si le défenseur syndical établit ses actes sur support papier, il est tenu d’user du LRAR. S’il ne remet pas au greffe ses conclusions par LRAR dans le délai de trois mois, il s’expose aux mêmes sanctions que l’avocat : la caducité de sa déclaration d’appel et donc la fin du litige d’appel.

 

La Cour de cassation l’a clairement énoncé par un arrêt du 8 décembre 2022 (Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n°21-16.487).

 

Devant la Cour de cassation, il avait été tenté de faire valoir qu’une telle sanction était contraire au droit à un procès équitable et, en particulier, au principe d’égalité des armes entre les parties.

 

Contrairement à l’avocat, le défenseur syndical n’est en effet pas un professionnel du droit et il pourrait paraître injustifié de le soumettre au même rigorisme que ses adversaires en robe.

 

Cet argument est rejeté par la Cour de cassation qui rappelle que le principe de l’égalité des armes entre les parties, garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, «exige un juste équilibre entre les parties, chacune d’elles devant se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires

 

Or, selon la Cour de cassation, l’obligation faite aux défenseurs syndicaux d’adresser leurs conclusions au greffe par LRAR ne crée pas de rupture d’égalité des armes à leur détriment.

 

Elle souligne, notamment, que ce mode de communication a justement pour but de pallier l’impossibilité pour les défenseurs syndicaux d’accéder au RPVA et que ce mode de communication est simple et peu onéreux. Par conséquent, l’obligation d’adresser les conclusions par LRAR ne place pas les défenseurs syndicaux «dans une situation de net désavantage par rapport aux avocats».

 

Là encore, bien que stricte, la solution de la Cour de cassation paraît pleinement justifiée.

 

En effet, l’obligation faite aux défenseurs syndicaux d’adresser leurs conclusions par LRAR permet de s’assurer de manière certaine de leur date de notification. En l’absence de cette date certaine, il serait moins aisé de s’assurer du respect par le défenseur syndical des délais impératifs fixés par la procédure d’appel.

 

Cette obligation ne créé pas non plus de contrainte procédurale trop élevée pour le défenseur syndical, l’usage du courrier recommandé étant en principe à la portée de tous.

 

Il est enfin équitable que le salarié ne soit pas avantagé en matière de procédure du seul fait que son représentant est un défenseur syndical et non un avocat.

 

Ces décisions récentes rappellent donc une nouvelle fois toute la vigilance nécessaire des salariés et des employeurs, et surtout de leurs représentants, dès lors qu’ils portent le litige les opposant devant la cour d’appel.

 

Thierry Romand, Avocat associé et Martin Perrinel, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats