Prestation de services internationale et obligation de vigilance : le donneur d’ordre doit disposer des certificats A1 pour tous les salariés détachés
29 juin 2023
Dans son bilan pour l’année 2022 en matière de la lutte contre la fraude de travail dissimulé, en date du 8 juin 2023, l’Urssaf a annoncé avoir redressé en 2022, 788,1 millions d’euros de cotisations et de contributions sociales au titre de la lutte contre le travail dissimulé à la suite de 38486 actions engagées.
De 2016 à 2022, les contrôles ont généré 331 millions d’euros de redressements relatifs à des fraudes en matière de mobilité internationale.
Ainsi, le développement de la prestation de services internationale s’accompagne d’un contrôle ciblé des pouvoirs publics français afin de lutter contre le dumping social et le travail dissimulé.
A cet égard, les contrôles liés au détachement et à la pluriactivité constituent un des axes de travail prioritaires pour l’URSSAF qui est parvenue, avec plusieurs Etats de l’Union européenne, à conclure des conventions ou protocoles d’accord permettant de meilleurs échanges d’information et une coopération des actions entre Etats.
En parallèle, et depuis plusieurs années, la Cour de cassation précise le cadre du contrôle de la prestation de service internationale, en particulier s’agissant des sanctions qui y sont attachées en cas de non-respect des obligations de vigilance.
Ainsi, depuis deux arrêts du 6 novembre 2015, les juges ont précisé que seul le certificat A1 était susceptible d’attester de la régularité de la situation sociale du cocontractant établi ou domicilié à l’étranger, ce que doit contrôler le donneur d’ordre (1).
Dans ce contexte, l’arrêt de la chambre criminelle du 21 février 2023 (n°22-81.903) confirme que le recours à des travailleurs étrangers par l’intermédiaire de sous-traitants :
-
- doit être organisé par le donneur d’ordre avec précaution,
-
- sous peine d’encourir les sanctions au titre du délit de recours au travail dissimulé.
Le point sur ce sujet sensible des obligations de vigilance qui s’imposent au donneur d’ordre.
Pour la Cour de cassation, le défaut de présentation par le donneur d’ordre des formulaires A1 des salariés étrangers de ses sous-traitants est susceptible de constituer le délit de recours au travail dissimulé par personne interposée.
Ainsi, dans le prolongement de sa jurisprudence de 2015, la Cour de cassation rappelle que la personne morale qui contracte avec une entreprise établie ou domiciliée dans un autre État membre de l’Union européenne en vue de la réalisation d’une prestation de service doit, dans tous les cas, se faire remettre par celle-ci le certificat A1 attestant de la régularité de la situation sociale du cocontractant au regard du règlement (CE) n°883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale pour chacun des travailleurs détachés auxquels elle a recours.
Il se déduit désormais de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’élément matériel et intentionnel de l’infraction, consistant dans le recours réalisé sciemment aux services d’un prestataire coupable de travail dissimulé, sont établis lorsque le donneur d’ordre ne recueille pas le certificat A1 pour chacun des salariés détachés par son prestataire établi à l’étranger (en cas de condamnation de ce dernier pour travail dissimulé).
En l’espèce, lors d’un contrôle sur un chantier, l’administration du travail a constaté la présence de trois ouvriers étrangers ressortissant de l’Union européenne embauchés par une entreprise de travail temporaire bulgare et mis à disposition du donneur d’ordre par l’intermédiaire d’une société spécialisée dans la recherche et le placement de main-d’œuvre européenne.
Au terme de l’enquête, la société bulgare, la société française et leurs gérants respectifs étaient poursuivis devant les juridictions pénales.
Dans le cadre de cette procédure, le tribunal correctionnel avait condamné :
-
- d’une part, la société bulgare et ses dirigeants du chef de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié et par dissimulation d’activité pour avoir développé une activité de prêt de main-d’oeuvre exclusivement en France sans y avoir procédé à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, ni s’être acquittée d’aucune cotisation sociale sur notre territoire (2) ;
-
- d’autre part, la société française et son dirigeant au titre du délit de recours au travail dissimulé, en raison du défaut de vérification de l’existence des certificats A1.
La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel qui avait relaxé les prévenus français en considérant que le donneur d’ordre s’était rendu coupable du délit de recours au travail dissimulé du fait d’avoir omis sciemment de vérifier que l’entreprise établie dans un autre État membre de l’Union européenne était en mesure de fournir les certificats A1 pour tous les travailleurs détachés qu’elle met à disposition
Pour retenir cette solution, la Cour vise l’article L.8221-1 du Code du travail qui pose le principe de l’interdiction de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services d’une personne qui exerce un travail dissimulé. Relevons qu’au cas particulier la société étrangère avait été elle-même condamnée pour travail dissimulé.
Le respect des obligations de vigilance doit constituer l’un des piliers de la relation entre le donneur d’ordre et le sous-traitant, dès la signature du contrat et tout au long de son exécution.
Au vu des sanctions encourues (3) et du risque réputationnel induit par ces condamnations, il est essentiel que le donneur d’ordre :
-
- réalise les contrôles au titre de ses obligations de vigilance ;
-
- et que cette démarche soit intégrée dans la gestion des projets à dimension internationale ayant une partie des services réalisée en France.
Cette démarche doit être menée dès la phase de négociation des contrats de prestations de service, étant précisé que les contrôles sont réalisés dès la signature du contrat puis tous les six mois (4).
S’agissant des contrats de sous-traitance conclus avec une entreprise établie à l’étranger, le donneur d’ordre doit se voir remettre par son co-contractant les documents listés à l’article D.8222-7 du Code du travail.
Or, si le contractant établi à l’étranger ne communique pas ces éléments, le donneur d’ordre se trouve souvent démuni en l’absence de disposition contractuelle précise sur ce point.
La précaution impose d’introduire dans les contrats de prestation de service une clause :
-
- portant sur l’obligation qui pèse sur le sous-traitant de remettre les documents nécessaires pour le respect des obligations de vigilance ;
-
- et de préciser les conséquences attachées en cas de non-conformité des obligations et des documents transmis.
Cette démarche permettra ainsi au contractant étranger d’avoir pleinement connaissance des enjeux attachés à la transmission de ces documents au donneur d’ordre.
Pour le donneur d’ordre, cette clause devrait lui permettre de lister les obligations incombant à son co-contractant et, le cas échéant, aux sous-traitants de ce dernier.
En complément de ces clauses contractuelles, il est recommandé au donneur d’ordre de contrôler les documents fournis par le sous-traitant car, en pratique, il n’est pas rare de constater que les documents transmis ne correspondent pas aux éléments exigés par les textes ou que les documents ne sont pas rédigés ou traduits en français, contrairement à ce qu’impose la loi (5).
Le donneur d’ordre aura également intérêt, lorsqu’il a recours à de nombreux sous-traitants, y compris étrangers, à les sensibiliser sur les documents attendus dans le cadre de sessions de formation.
Rappelons enfin que le donneur d’ordre ayant recours à un prestataire étranger pour la réalisation d’une prestation de service en France doit également se plier à des obligations de contrôle des titres de travail des salariés étrangers (au titre du détachement de salariés étrangers – déclaration SIPSI- et de l’emploi de travailleurs étrangers en France).
En conclusion, le recours à la prestation de services internationale doit s’accompagner d’une gestion stricte par le donneur d’ordre des prestataires et de la main d’œuvre affectée à la réalisation des missions confiées en France.
Compte-tenu de l’automaticité des sanctions en cas de non-respect des obligations de vigilance, une gestion formalisée en amont et strictement suivie tout au long de la prestation s’avère nécessaire afin de limiter les risques associés pour le donneur d’ordre.
(1) Cass. Ass. plén., 6 nov. 2015, n°14-10.182 et Cass. Ass. plén. 6 nov. 2015, n°14-10.193
(2) Dès lors qu’elle ne pouvait se prévaloir des règles du détachement au sens des règlements communautaires en exerçant aucune activité similaire en Bulgarie.
(3) Le donneur d’ordre ayant contracté avec une société exerçant un travail dissimulé s’expose à des risques financiers et réputationnels important. En premier lieu, le donneur d’ordre peut être tenu financièrement solidaire avec le contractant coupable de travail dissimulé (C. trav., art. L.8222-2 et L.8222-5), d’importantes sanctions pénales (C. trav. art. L.8224-1 à L.8224-6) et peines complémentaires, notamment l’interdiction d’activité et l’exclusion des marchés publics (C. trav. art. L.8224-3 et L.8224-5). Enfin, le défaut de production du certificat A1 lors d’un contrôle de l’inspection du travail par le salarié, son employeur, le représentant en France ou le donneur d’ordre / maitre d’ouvrage (sur le lieu d’exécution du travail et chez donneur d’ordre) entraîne l’application d’une pénalité forfaitaire spécifique à hauteur du plafond mensuel de sécurité sociale par salarié concerné (CSS, art. L.114-15-1).
(4) C. trav., art. L.8221-1 et s. et art. D8222-4 et D.8222-6
(5) C. trav., art. D.8222-8
AUTEURS
Maïté OLLIVIER, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats
Maud ROZENEK, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
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