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Acquisition de congés payés : une petite révolution pour les entreprises !

Acquisition de congés payés : une petite révolution pour les entreprises !

Par trois arrêts rendus en formation plénière le 13 septembre dernier, la Cour de cassation remet en cause les solutions retenues jusqu’à présent concernant tant l’acquisition de congés payés pendant un arrêt de travail que la prescription du droit à l’indemnité de congés payés.

 

En effet, la Cour de cassation, opérant une véritable révolution :

 

permet au salarié d’acquérir des congés payés pendant un arrêt de travail sans limitation de durée, même pour maladie ou accident d’origine non professionnelle ;

 

et précise que le délai de prescription des congés ne commence à courir si l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer son droit.

 

Ce faisant, la Cour de cassation met le droit français en conformité avec le droit européen.

 

Ces décisions interviennent après la condamnation de la France par la Cour administrative d’appel de Versailles le 17 juillet 2023 pour défaut de transposition de la directive 2003/88/CE dite «Temps de travail» (CAA de Versailles, 17 juillet 2023, n°22VE00442), alors même que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’était déjà prononcée en faveur de l’acquisition de jours de congés payés pendant les périodes de maladie dès 2009 (CJUE, 20 janvier 2009, Aff. C-350/06, Schultz-Hoff, point 41).

 

Un salarié en arrêt de travail pour maladie ou accident, de nature professionnel ou non, acquiert des congés payés sans limitation de durée

 

La mise en conformité du droit français avec le droit de l’Union rendue possible par un changement de contexte

 

Jusqu’à présent, la Cour de cassation s’était toujours refusée à appliquer directement les solutions retenues par la CJUE en matière de congés payés au motif que les directives n’ont pas d’effet entre les particuliers et que cela conduisait à une interprétation contra legem des dispositions du Code du travail (Cass soc., 13 mars 2013, n°11-22.285).

 

Néanmoins, depuis 2013, la Haute Juridiction invitait le législateur, par le biais de ses rapports annuels à modifier les articles L.3141-3 al.1er et L.3141-5 du Code du travail en ce qu’ils disposent respectivement que :

 

⇒ «Le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur»;

 

⇒ «Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : (…) 5° Les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle» (ce qui signifie a contrario que les périodes de suspension pour cause d’accident de droit commun ou de maladie non professionnelle ne sont pas considérées comme des périodes de travail effectif).

 

La Cour de cassation considérait en effet que ces dispositions devaient être mises en conformité avec les dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, telles qu’elles sont interprétées par la CJUE, laquelle retient que la directive n’opère pas de distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé maladie au cours de la période de référence et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de cette période (CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez).

 

Or, s’agissant du non-respect d’une directive, si le juge national doit interpréter les dispositions du droit national à la lumière de la directive pour en assurer une interprétation conforme au droit de l’Union, cette interprétation ne peut conduire, dans un litige entre particuliers, à écarter les dispositions du droit national contraires (V. en ce sens les arrêts de la CJUE du 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez, point 25 ; du 15 janvier 2014, aff. C-176/12, Association de médiation sociale, point 39, du 19 avril 2016, aff. C-441/14, DI, point 32 et du 7 août 2018, aff. C-122/17, Smith, point 40).

 

En conséquence, le juge national ne pouvait, pour faire application de la directive 2003/88/CE telle qu’interprétée par la CJUE, ni écarter les dispositions du droit national non conformes, ni procéder à une interprétation contra legem du droit national.

 

C’est un changement de contexte juridique qui a permis à la Cour de cassation de faire prévaloir le droit de l’Union sur les dispositions contraires du droit national.

 

En effet, ainsi que le rappelle la Cour, la CJUE a retenu en 2018 que «le droit de tout travailleur à une période annuelle de congés, consacré par l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, constitue «un principe essentiel du droit de l’Union». En tant que droit fondamental, l’article 31§2 peut être invoqué dans un litige entre particuliers (effet direct horizontal) et le juge national doit – lorsqu’une interprétation conforme des dispositions du droit national est impossible – écarter l’application du droit national contraire au droit de l’Union » (CJUE, 6 novembre 2018, aff. C-569/16, Bauer).

 

Ce raisonnement a conduit, par conséquent, la Cour de cassation à écarter en partie, dans les deux affaires qui lui étaient soumises, les dispositions des articles L.3141-3 al. 1er et L.3141-5 du Code du travail.

 

Portée des décisions de la Cour de cassation

 

La Cour de cassation écarte partiellement les dispositions de l’article L.3141-3 du Code du travail subordonnant l’acquisition de congés payés à un temps de travail effectif, en ce qu’elles privent le salarié dont le contrat de travail est suspendu en raison d’un arrêt de travail pour maladie ou accident d’origine non professionnelle, du droit d’acquérir des congés payés durant cette période d’absence (Cass. soc., 13 septembre 2023 n°22-17.340).

 

S’agissant d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle, la Cour écarte les dispositions de l’article L.3141-5, 5°, du Code du travail, au motif que, en ne permettant pas au salarié d’acquérir des congés payés au-delà d’une durée ininterrompue d’un an, le droit interne ne permet pas une interprétation conforme au droit de l’Union (Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-17.638).

 

Revenant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation décide donc qu’un salarié dont le contrat de travail est suspendu en raison d’une maladie ou d’un accident, quelle qu’en soit l’origine, acquiert des congés payés pendant sa période d’absence, sans limitation de durée.

 

En outre, ces arrêts étant rendus au visa des articles L. 3141-3 et L. 3141-9, leur solution s’applique :

 

à l’intégralité des droits à congés légaux, c’est-à-dire, sans faire de distinction entre les quatre semaines de congés garanties par l’article 7 de la directive 2003/88/CE et les cinq semaines de congé payés prévues par les dispositions du droit français. Le salarié soumis au droit français peut donc acquérir cinq semaines de congés payés s’il est absent pendant toute l’année de référence ;

 

et aux congés payés prévus par une convention ou un accord collectif.

 

Le délai de prescription des congés payés ne court que si l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer effectivement son droit

 

Dans cette affaire (Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-10.529), une enseignante, liée par un contrat de prestation de travail à un institut de formation pendant plus de 10 ans, a obtenu en justice la requalification de ce contrat en contrat de travail et a demandé le versement des indemnités compensatrices de congés payés y afférentes.

 

Considérant que, selon une jurisprudence constante, les congés payés ont une nature salariale et sont soumis à la prescription triennale applicable aux salaires (Cass. soc., 16 décembre 2015, n°14-15.997), la cour d’appel a limité le montant de l’indemnité compensatrice de congés payés aux trois dernières années précédant la requalification de son contrat en contrat de travail, le reste de ses droits à congés payés étant prescrit.

 

La salariée s’est pourvue en cassation.

 

La Cour de cassation rappelle, tout d’abord, que le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congé payés est fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris (Cass. soc., 14 novembre 2013, n°12-17.409).

 

Elle énonce ensuite que :

 

⇒ le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l’Union (CJUE, 6 novembre 2018, aff. C-570/16, Bauer) ;

 

⇒ et que la CJUE a jugé que l’article 7 de la directive 2003/88/CE et l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux doivent être interprétés en ce qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle le droit au congé annuel payé acquis par un travailleur est prescrit à l’issue d’un délai de trois ans qui commence à courir à la fin de l’année au cours de laquelle le droit est né, lorsque l’employeur n’a pas effectivement mis le travailleur en mesure d’exercer son droit (CJUE, 6 novembre 2018, aff. C-570/16, Bauer).

 

En conséquence, la Cour décide que le délai de prescription de l’indemnité de congés payés ne peut commencer à courir que si l’employeur a pris les mesures nécessaires pour permettre au salarié d’exercer effectivement son droit à congés payés.

 

Dans cette affaire, l’enseignante n’a pas été en mesure de prendre des congés payés au cours de ses 10 années d’activité au sein de l’institut de formation, puisque l’employeur n’avait pas reconnu l’existence d’un contrat de travail. Dès lors, le délai de prescription ne pouvait pas commencer à courir.

 

Quelles conséquences pratiques pour les entreprises ?

 

Ces décisions, qui écartent pour la première fois les dispositions du droit national sur l’acquisition des congés payés, font naitre un risque juridique nouveau pour toutes les entreprises confrontées à des arrêts de travail pour maladie ou accident.

 

En effet, les décisions de la Cour de cassation ayant une portée rétroactive, tout salarié ayant eu, par le passé, un arrêt de travail l’ayant privé d’une partie de ses congés payés légaux ou conventionnels, est désormais fondé à saisir le conseil de prud’hommes aux fins d’obtenir l’indemnité compensatrice correspondante.

 

Si le délai de prescription des congés payés est en principe de trois ans à compter de l’expiration de la période au cours de laquelle ils auraient pu être pris, on ne peut exclure, s’agissant de congés payés qui n’ont pas été accordés par l’employeur, que la demande puisse, au regard de la position adoptée par la Cour de cassation, porter sur une période plus longue.

 

Il pourrait en effet être soutenu que l’employeur n’a pas mis le salarié en mesure d’exercer son droit à congés de sorte que la prescription n’a pas commencé à courir.

 

Face à une telle situation, les employeurs se trouvent placés devant l’alternative suivante :

 

soit, en amont de tout contentieux, régulariser spontanément la situation de tous les salariés concernés ;

 

soit attendre l’issue des contentieux individuels susceptibles d’être initiés par les salariés pour procéder, au cas par cas, à cette régularisation.

 

On peut regretter qu’une intervention législative ne soit pas intervenue plus tôt, ce qui aurait permis de préserver les intérêts des entreprises puisque, sauf disposition expresse contraire, la loi ne dispose que pour l’avenir.