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La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)

La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)

L’affaire commentée (CE, 21 juillet 2023, n°435896) est riche de précisions, dont certaines sont nouvelles, concernant :

    • la délimitation du périmètre du groupe pour apprécier la suffisance du PSE ;
    • la régularité de la procédure d’information-consultation ;
    • la question de la loyauté dans la négociation du PSE en cas de tentative préalablement à la voie unilatérale.

 

Chacune des réponses données par le Conseil d’Etat à ces problématiques met en évidence une jurisprudence pragmatique :

 

    • qui fait prévaloir une interprétation souple des textes applicables ;
    • dans le but d’assurer une certaine efficacité du contrôle administratif la procédure encadrant la mise en Å“uvre du PSE, notamment par document unilatéral.

 

Retour, dans un premier temps, sur la solution rendue concernant la problématique de la définition du groupe pour l’appréciation de la suffisance du PSE.

 

Pour rappel, depuis l’instauration, par la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, du nouveau régime des grands licenciements collectifs d’au moins dix salariés, c’est désormais l’administration – ou la Dreets territoriale (Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) -, sous le contrôle du juge administratif, qui est compétente pour apprécier les respect des règles applicables à la mise en place obligatoire d’un PSE.

 

En particulier, dans l’hypothèse de la mise en place d’un PSE par document unilatéral, le code du travail impose un contrôle approfondi des mesures prévues dans le PSE visant à éviter les licenciements ou en limiter le nombre au regard, notamment, des « moyens dont disposent l’entreprise, l’unité économique et sociale et le groupe » (C. Trav., art. L.1233-57-3, 1).

 

Ainsi, dans l’hypothèse d’un PSE mis en place dans une société qui appartient à un groupe, celui-ci constituera le cadre d’appréciation du caractère suffisant du plan au regard des moyens des sociétés incluses dans ce périmètre.

 

Or, tout au long de la procédure de mise en place du PSE, l’administration joue un rôle central pour apprécier le périmètre du groupe retenu par l’employeur, compte tenu :

 

⇒ non seulement des informations qui doivent lui être communiquées, telles que le projet de licenciement collectif ou encore les informations transmises au CSE-(C. Trav., art. L.1233-46 à L.1233-51) ;

 

⇒ mais également de ses possibilités d’intervention en cours de procédure, qu’il s’agisse d’observations ou propositions à l’employeur concernant le déroulement de la procédure et les mesures sociales (C. Trav., art. L.1233-57-6) ou encore d’injonctions en réponse à une demande du CSE ou, le cas échéant, des organisations syndicales représentatives de l’entreprise en cas de négociation d’un accord PSE (C. Trav., art. L.1233-57-5 et D.1233-12).

 

De même, au terme de la procédure de mise en place du PSE, lors du contrôle final d’homologation du document unilatéral, l’administration doit contrôler la suffisance du PSE au regard des moyens, notamment, du groupe tel que défini par l’employeur (C. Trav., art. L.1233-57-3, 1°).

 

S’il est saisi sur ce point, le juge administratif pourra vérifier, le cas échéant, l’appréciation portée par l’administration sur cette délimitation du groupe.

 

Tel est l’un des apports de l’arrêt commenté puisque le périmètre du groupe retenu par l’employeur et validé par l’administration pour la mise en place d’un PSE par document unilatéral avait fait l’objet d’une action contentieuse auprès des juridictions administratives.

 

Cette affaire donne ainsi l’occasion au Conseil d’Etat d’apporter des précisions nouvelles concernant, notamment, les modalités du contrôle juridictionnel des critères légaux d’appréciation du périmètre du groupe définis par le Code de commerce.

 

Contexte : faits d’espèce et rappel des conditions d’appréciation du périmètre du groupe

 

Faits d’espèce

 

En l’espèce, la société Flunch, qui exploite un réseau de restaurants en libre-service, avait mis en place un PSE sous la forme d’un document unilatéral puisque son projet de fermeture de plusieurs restaurants aboutissait à la suppression de quatre-vingts emplois.

 

contestant, notamment, le périmètre du groupe approuvé par l’administration pour apprécier la suffisance du PSE, avaient saisi le tribunal administratif en vue d’obtenir l’annulation de cette décision.

 

Le tribunal ayant rejeté cette demande, les requérants ont saisi la cour administrative d’appel qui a rejeté leur appel.

 

Il revenait donc au Conseil d’Etat, saisi notamment sur ce point, d’examiner les éléments retenus par l’administration pour exercer son contrôle de la délimitation du périmètre du groupe conditionnant l’évaluation de la suffisance du PSE.

 

Or, dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle les principes régissant ce contrôle.

 

Rappel des conditions d’appréciation du périmètre du groupe

 

Selon le Conseil d’Etat, il revient à l’administration de vérifier que le contenu du PSE établi par document unilatéral :

 

⇒ respecte les mesures de reclassement /d’accompagnement visées aux articles L. 1233-61 à L.1233-63 du Code du travail ;

 

⇒ et que ces mesures sont proportionnées aux moyens du groupe qui doivent s’entendre, par application de l’article L.1233-3, alinéa 13, du Code du travail, au sens « des moyens notamment financiers dont dispose l’ensemble des entreprises placées sous le contrôle d’une même entreprise dominante dans les conditions définies à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du Code de commerce, ainsi que de ceux dont dispose cette entreprise dominante, quel que soit le lieu d’implantation du siège de l’entreprise».

 

Ce faisant, le Conseil d’État applique la définition « capitalistique » du groupe introduite par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 (modifiée par l’ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017) et consacrée pour la définition du motif économique (C. trav., art L.1233-3, al. 13), ainsi que pour le cadre d’appréciation de l’obligation de reclassement préalable au licenciement pour motif économique (C. trav., art. L.1233-4, al. 2).

 

En conséquence, par application de l’article L.1233-3 al. 13, le «groupe de moyens» s’entend des moyens, notamment financiers, dont disposent :

 

    • l’ensemble des entreprises placées sous le contrôle d’une même entreprise dominante, dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du Code de commerce ;
    • et cette entreprise dominante.

 

Avant l’entrée en vigueur des dispositions issues de l’ordonnance précitée, le Conseil d’Etat retenait une définition similaire, mais fondée toutefois sur l’article L.2331-1, I, relatif au comité de groupe (CE, 7 févr. 2018 n°397900 et 406905).

 

En écho à ces décisions antérieures, le Conseil d’Etat, dans la présente décision, explicite, en filigrane, la différence entre le « groupe de moyens » comme cadre d’appréciation de la suffisance du PSE et le « groupe de reclassement », pour l’appréciation de l’obligation de recherche des postes de reclassement, dès lors que :

 

    • le « groupe de moyens» est formé d’entreprises «quel que soit le lieu d’implantation du siège de ces entreprises» ;
    • tandis que, pour « le groupe de reclassement», cette obligation ne s’exerce que pour les entreprises situées sur le territoire national (C. Trav., art. L. 1233-4, al. 1).

 

En l’espèce, pour l’appréciation du périmètre du groupe servant de cadre à l’appréciation de la suffisance du PSE, le Conseil d’Etat relève que l’administration a, conformément à ces dispositions, identifié :

 

    • une entreprise dominante, dès lors que celle-ci détient la totalité du capital – par effet de chaine – de sociétés, parmi lesquelles figure la société employeur ;
    • et l’ensemble des entreprises placées sous le contrôle de cette entreprise dominante.

 

Cependant, les requérants considéraient que trois autres sociétés détenant chacune une partie importante du capital de l’entreprise dominante, auraient dû être incluses dans ce périmètre d’appréciation de la suffisance du PSE. C’est sur ce point que le Conseil d’Etat apporte des précisions nouvelles.

 

Solution : Le refus d’un contrôle d’office de tous les critères légaux de délimitation du groupe

 

La Cour administrative d’appel avait exclu ces trois sociétés du périmètre du groupe de moyens après avoir considéré qu’aucune d’elles n’exerçait un contrôle exclusif sur l’entreprise dominante au sens de l’article L. 233-16, II du Code de Commerce.

 

Toutefois, selon les requérants, la cour n’avait pas vérifié l’existence d’un contrôle conjoint de ces sociétés sur l’entreprise dominante au sens de l’article L. 233-16, III, du Code de commerce, ce qui aurait nécessité de les inclure dans le périmètre du groupe de moyens.

 

Il revenait donc au Conseil d’Etat de déterminer si, pour apprécier le périmètre du groupe servant de cadre au contrôle de la suffisance du PSE, le juge doit, d’office, vérifier l’ensemble des conditions fixées par le Code de commerce, y compris lorsque l’une de ces conditions n’a pas été soulevée ou n’a pas été assortie de précisions suffisantes ?

 

Le Conseil d’Etat répond par la négative et rejette la demande des requérants.

 

En effet, le Conseil, approuve l’analyse retenue par les juges du fond pour contrôler la délimitation du groupe et retient que seul un moyen expressément soutenu et assorti de «précisions suffisantes» peut faire l’objet d’un examen par le juge.

 

La Cour administrative d’appel n’a donc pas commis d’erreur de droit en ne vérifiant pas la condition d’un éventuel contrôle conjoint dès lors que les requérants ne démontrent pas avoir soulevé ce moyen en appel ni même l’avoir assorti de précisions suffisantes pour être examiné.

 

Pour éclairer cette solution, il ressort des précisions supplémentaires apportées par la note d’analyse jointe à cet arrêt, que :

 

    • le contrôle juridictionnel du périmètre du groupe de moyens pour l’appréciation de la suffisance du PSE est limité par la nature de l’argumentation des parties et leur degré de précision dans le cadre de la demande d’annulation d’une décision d’homologation,
    • ce qui exclut tout contrôle d’office de l’ensemble des critères légaux de détermination du périmètre du groupe.

 

En ce sens, il est précisé dans cette note :

 

« il appartient au juge, saisi d’un moyen tiré de ce que la décision d’homologation du PSE d’une entreprise qui lui est soumise est illégale faute pour l’administration, pour apprécier le caractère suffisant du PSE en tenant compte des moyens, notamment financiers, dont dispose l’ensemble des entreprises du groupe, d’avoir correctement délimité le groupe auquel appartient l’entreprise, d’examiner si les pièces du dossier permettent de retenir que sont remplies celles des conditions prévues à l’article L.233-1, aux I et II de l’article L.233-3 et aux I à III de l’article L. 233-16 du code de commerce qui sont, avec les précisions nécessaires, invoquées au soutien de ce moyen.

 

En revanche, il ne lui appartient pas d’examiner d’office l’éventuel respect des autres dispositions de ces articles pour lesquelles la requête ne présente, soit aucune argumentation, soit une argumentation non assortie des précisions permettant d’en examiner le bien-fondé ».

 

Portée de la solution : une décision fidèle à la jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE

 

En refusant de statuer ultra petita, le Conseil d’Etat consolide sa jurisprudence pragmatique en matière de PSE, remarquée par la doctrine (1), tendant à éviter l’introduction de règles jurisprudentielles complexes de nature à rigidifier les modalités du contrôle jurisprudentiel et administratif des PSE, alors même que ceux-ci sont mis en œuvre dans un contexte d’urgence, particulièrement dans l’hypothèse de procédures collectives.

 

Ainsi, antérieurement à cette décision, le Conseil d’Etat avait déjà considéré (2) qu’il n’appartient pas au juge administratif d’exercer un contrôle d’office de la suffisance du PSE au regard des moyens du groupe, alors même que le Conseil d’Etat relevait dans cette décision que le contrôle de la Dreets méconnaissait les dispositions de l’article L.1233-57-3 du Code du travail, ce qui justifiait l’annulation de la décision d’homologation (CE, 13 juillet 2016, n°387448).

 

On le voit, l’interprétation par le juge administratif des règles régissant la mise en œuvre du PSE unilatéral ne cesse de s’affiner tout en conservant une approche «pragmatique».

 

Cette même approche pragmatique transparaît encore à travers les deux autres solutions issues de cet arrêt, qu’il s’agisse du contrôle administratif de la régularité de la procédure d’information-consultation ou encore de celui portant sur la loyauté dans la tentative de négociation préalable du PSE.

 

Ces autres apports de l’arrêt seront commentés dans un prochain article.

 

AUTEURS

Astrid Duboys Fresney, Avocate, CMS Francis Lefebvre

 Béatrice Taillardat-Pietri, Responsable adjointe de la Doctrine sociale, CMS Francis Lefebvre

  

(1) V. par exemple, H. Nasom-Tissandier, « L’appréciation des PSE par le juge administratif ou la quête de l’efficacité », RJS 3/18 ; «Une jurisprudence pragmatique», entretien avec D. Piveteau, Sem. Soc. Lamy, 28 dec. 2015, n°1704).

(2) Selon le Conseil d’Etat « Considérant qu’ayant ainsi relevé que le contrôle effectué par l’administration avait méconnu les dispositions de l’article L.1233-57-3 du code du travail mentionnées au point 4, la cour, à laquelle il n’appartenait pas d’opérer elle-même ce contrôle, a pu, sans erreur de droit, en déduire que la décision d’homologation du 12 mars 2014 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l’emploi d’Alsace était entachée d’excès de pouvoir ».